De nombreuses voix s’élèvent pour réclamer une nouvelle organisation de la pratique cultuelle afin d’endiguer le salafisme. Pour autant, on refuse que des amalgames soient établis entre islam et terrorisme.
Est-ce donc lui le coupable, cet islam de France qui aurait fabriqué, à travers une pratique débridée, des terroristes ? Pour la classe politique de ce pays et une partie de la population, le mal provient principalement de là. Les plus extrêmes parmi les responsables du Front national et ses partisans exigent tout bonnement que les “Muz” soient renvoyés dans leur pays, même si la plupart n’ont d’autre nation que la France. La droite, plus nuancée, demande à la communauté musulmane de choisir entre la valise et l’assimilation, comme au bon vieux temps du colonialisme. De leur côté, les socialistes au pouvoir, à tous les niveaux de l’État, estiment qu’il est nécessaire aujourd’hui de revoir la pratique de l’islam, qui, à leurs yeux, fait le lit du fondamentalisme.
Le Premier ministre, Manuel Valls, a été le premier à réclamer cette remise à plat, assurant après les attentats de Nice et de l’église de Rouen en juillet dernier, que le salafisme n’a pas de place en France. En guise de premières mesures, il a préconisé l’arrêt du financement des lieux de culte et la formation des imams par des pays étrangers. “Pourquoi pas, si de telles décisions peuvent circonscrire l’influence de certains pays comme le Qatar et l’Arabie saoudite, réputés pour financer le terrorisme. Mais, cela n’est pas tout le problème. Pensez-vous qu’un jeune Français, musulman ou pas, a besoin d’aller à la mosquée du coin pour devenir un jihadiste en puissance ?”, fait remarquer Malik, un ingénieur né en France de parents algériens. Selon lui, les candidats au martyr s’inventent une foi pour soigner un mal-être profond. Il leur suffit de cliquer sur le bouton d’un ordinateur pour se mettre en lien avec des gourous qui se trouvent à mille lieues de l’Hexagone. Cette vision des choses est diffusée dans les médias parisiens par des imams éclairés et des islamologues qui tous sont d’accord pour la conceptualisation de la pratique musulmane en France afin de la tenir à l’égard des opportunistes et des illuminés.
Ces spécialistes de la pensée islamique refusent, cependant, que le lien soit systématiquement fait, à chaque attentat, entre islam et terrorisme. Ce qui contribue à leur avis, à entretenir la confusion et une islamophobie grandissante. Nabil Mati, chirurgien-dentiste et président de l’association communautaire Trait d’Union 93, est lui, aussi exaspéré par la manie qu’ont les officiels français à poser le problème de l’islam en France comme une réponse aux attaques terroristes. “Nous sommes tous d’accord pour dire que la pratique de l’islam en France doit être mieux encadrée, que la pensée islamique doit se développer. Mais le discours qui est tenu par les politiques sur cette question est surtout opportuniste et électoraliste”, dénonce le militant associatif. Il déplore, par ailleurs, ce ton paternaliste, presque colonialiste, qui est employé par les autorités françaises à l’égard des musulmans, estimant qu’il appartient à ces derniers de s’organiser pour sortir l’islam de France des sentiers battus.
Des initiatives sont déjà faites dans ce cadre. Il y a un peu plus d’un mois, 42 personnalités musulmanes de tous bords, journalistes, chefs d’entreprise, médecins, enseignants universitaires… ont publié une tribune dans Le Journal du Dimanche où elles ont demandé une refonte de la gestion de la pratique musulmane dans l’Hexagone, estimant qu’elle doit être adaptée à la configuration sociologique actuelle de la communauté musulmane. “Cette organisation avait probablement un sens quand les musulmans étaient des immigrés. Or, aujourd’hui, les musulmans de France sont à 75% français. Ils sont majoritairement jeunes, voire très jeunes. Nombre d’entre eux sont la proie d’idéologues de l’islam jihadiste mais aussi de l’islamisme politique. Les représentants traditionnels ne les comprennent plus car ils ne les connaissent pas, tout simplement”, ont fait savoir ces personnalités. Karima, pédiatre dans un hôpital de la banlieue parisienne, n’a pas signé l’appel mais elle adhère totalement à son contenu.
Arrivée très jeune d’Algérie, elle a grandi dans un environnement familial où l’exercice de la foi était modéré, sans fioritures. “Mon père se rendait à la mosquée pour la prière du vendredi mais se gardait bien d’étaler sa croyance. Aujourd’hui, nous assistons à un déferlement de rigorisme religieux, parfois envahissant”, explique le médecin. Comme beaucoup, elle pense que les leaders musulmans doivent aider les membres de leur communauté à s’affranchir des codes dogmatiques pour se concentrer sur les vraies valeurs que véhicule leur religion. En même temps, elle attend aussi que les non-musulmans se libèrent de leurs préjugés et s’abstiennent de mettre l’islam dans le box des accusés.