C’est un projet de loi autorisant les extraditions vers la Chine de résidents de cette ancienne colonie britannique au statut très particulier, qui a mis le feu aux poudres. Entre un et deux millions de manifestants dans les rues de Hong-Kong, selon les estimations des organisateurs, ont déjà fait reculer le gouvernement pro-chinois.
La manifestation du 9 juin dernier a plongé Hong-Kong dans une crise politique sans précédent, au point où la cheffe de l’exécutif hongkongais, Carrie Lam, a reporté l’adoption du projet de loi dès samedi 15 juin et présenté ses excuses, mais a refusé de démissionner. La réponse ne s’est pas fait attendre. Le lendemain, dimanche 16 juin, deux millions de Hongkongais étaient dans la rue pour exiger des excuses pour la pratique démesurée de la répression, l’usage intempestif de gaz lacrymogènes et de balles en caoutchouc contre les manifestants, et la libération, sans conditions, de toutes les personnes arrêtées, notamment lors des heurts, sans précédent, et de la répression sanglante du mercredi 12 juin. L’opération de charme de Carrie Lam, ne semble pas avoir séduit. Les seuls signes de satisfaction proviennent du camp pro-chinois au Parlement. Sans grande conviction. Toutefois, les observateurs de la scène politique hongkongaise semblent convaincus que ce projet de loi finira aux oubliettes, surtout que la mobilisation ne faiblit pas.
Hong-Kong, talon d’Achille de la Chine
Cette enclave de 1100 km², sur la côte sud chinoise, ouverte sur la mer de Chine méridionale, est le royaume du libéralisme et la troisième place financière mondiale, après New-York et Londres. Ancienne colonie britannique, née au lendemain de la signature du Traité de Nankin, en 1842, mettant fin à ce qui a été convenu d’appeler la première guerre de l’opium et qui a marqué le déclin de l’empire chinois face à l’occident. Cet héritage est une marque de fabrique du colonialisme, britannique notamment, qui consiste à enclaver des territoires et des régions, dans d’anciennes zones d’influence et les exemples ne manquent pas de par le monde. Macao avec le Portugal, Ceuta et Melilla pour l’Espagne, et bien d’autres, devenant avec le temps de véritables bombes à retardement.
Rétrocédée en 1997 à la Chine, elle bénéficie néanmoins du statut particulier de « région administrative spéciale », en théorie, garanti jusqu’en 2047, selon les termes de la déclaration sino-britannique, signée en décembre 1984. Aujourd’hui, Hong-Kong est entièrement autonome, aussi bien sur les plans économique, financier que politique. Monnaie spécifique, le dollar hongkongais, multipartisme, un nom de domaine différent pour Internet, des lois souples sur l’immigration, son propre code de la route, d’inspiration british et son indicatif téléphonique. Mais l’influence chinoise y est très présente, pour preuve les tendances sinophiles de l’actuel gouvernement et de sa cheffe Carrie Lam, même si c’est une hongkongaise de souche, pétrie de culture british et qui a fait ses premières armes au sein de l’administration coloniale britannique dès 1980.
Ce qui semble déranger les dirigeants chiniois, au-delà du libertinage économique et financier de Hong-Kong, c’est cette insolence libertaire qui règne sur une enclave grande comme un mouchoir de poche et qu’il faut à tout prix endiguer, sous peine de faire des émules dans toute la Chine. L’enjeu se situe sur le plan des libertés individuelles et démocratiques, foncièrement antinomiques avec la vision autocratique et liberticide du régime de Pékin. Le souvenir de Tian’anmen plane toujours sur l’Empire du Milieu…
Le meurtre d’une Hongkongaise comme prétexte…
Ce qui a poussé l’actuel gouvernement à proposer le projet de loi, aujourd’hui décrié, c’est un malheureux fait divers qui s’est déroulé en février 2018 dernier à Taïwan. Le meurtre d’une jeune Hongkongaise, Poon Hiu-wing, par son petit ami Taïwanais lors des fêtes de la Saint-Valentin. Le petit copain retourne à Taïwan et finit trois mois plus tard par avouer le meurtre. Le corps de la jeune fille est retrouvé près d’une gare. Mais en l’absence de traité d’extradition avec Taïwan, Hong-Kong ne peut juger Chan Tong-kaï, ressortissant taïwanais, pour un crime commis à … Taïwan. Encore moins l’y renvoyer ! Il a écopé, cependant, d’une peine de prison pour… blanchiment d’argent. Il avait utilisé la carte de la défunte pour retirer 2000 $…
Une occasion en or pour l’exécutif hongkongais, jouant sur la détresse de la famille de la jeune fille assassinée, pour enclencher une procédure d’adoption d’une loi d’extradition vers Taïwan et la Chine, même si, Taïwan, en apportant certaines précisions sur cette affaire, a révélé avoir adressé trois requêtes à Hong-Kong pour que Chan puisse être jugé à Taïwan, restés lettres mortes. C’est dire toute l’arrière-pensée de l’exécutif Hongkongais à propos de cette affaire. Taïwan est juste un prétexte. L’objectif inavoué, c’est celui de pouvoir extrader vers la Chine tout opposant ou dissident du régime chinois. Dans les faits, toute personne critiquant Pékin sur le territoire de Hong-Kong, pourrait faire l’objet d’une plainte et partant d’extradition pour être jugée en Chine.
La rue hongkongaise a fait chavirer, en deux manifestations, tous les calculs de l’administration Hongkogaise, au grand dam de Pékin et du président chinois Xi Jinping. Dignes héritières de la « révolte des parapluies », en septembre 2014, ainsi appelée en raison de l’utilisation des parapluies pour se protéger des jets de gaz lacrymogènes, les dernières manifestations ont eu pour effet immédiat, la libération de Joshua Wong, leader du mouvement des parapluies qui risque, à nouveau, de devenir la figure de proue de la contestation à Hong-Kong. Le projet de loi d’extradition n’est pas près de voir le jour et Pékin comme Carrie Lam, qui risque vraisemblablement sa place, ont du souci à se faire dans les jours à venir.
Par Zoheir Aberkane