Près d’une semaine après le déclenchement des incendies les plus mortels de son histoire récente, avec un bilan de plus de 100 morts, la Kabylie panse encore ses plaies alors que les secours recherchent toujours les corps de ceux dont on reste sans nouvelles. Les photos de cette zone, la plus touchée, ont tourné en boucle dans les médias algériens et internationaux.
Une intense lumière orange jaillit de l’un des versants de la montagne. C’est un gigantesque incendie. Depuis lundi, il ravage le centre de la Kabylie, dans la région de l’ex-Michelet, une zone rurale isolée. 08 personnes sont mortes, dont la plupart aux alentours de leurs maisons situées au milieu des forêts, à côté d’une route nationale devenue « la route de l’enfer ».
« De toutes les horreurs que j’ai vues depuis lundi fin d’après-midi, il y en a une en particulier qui restera à jamais ancrée dans ma mémoire. Dans la nuit de mardi à mercredi, nous avons enfin pu pénétrer dans la zone la plus touchée par les incendies, la commune d’Ain El Hammam. On les a vus là, soudain, au cœur de la nuit, dans une piste qui mène à leur propre forêt au-dessous de la cité Akkar : deux corps carbonisés de deux frères.
On voyait bien que l’un des frères (Said) avait dû chercher à protéger jusqu’au bout son autre frère (Mustapha) en essayant de l’éloigner des gigantesques flammes. Mais ils n’avaient aucune chance de survivre, entourés par les flammes qui se propageaient à une vitesse folle à cause de ces vents démentiels. Ils ont certainement dû chercher à atteindre la maison, mais l’intensité du feu, la hausse de la température qui a fait fondre jusqu’aux jantes des pneus, a transformé leur fuite en enfer », a déclaré un des cousins des deux victimes.
« J’ai eu les larmes aux yeux en découvrant tous ces corps recroquevillés, c’était terrible. En principe, je suis habitué aux incendies, il y en a quasiment tous les ans en Kabylie. Mais cette vision, tous ces corps enlacés, je n’avais jamais vu ça. Et j’ai beau être formé à ne pas me laisser submerger par l’émotion, le choc a été très fort », a déploré un autre citoyen.
« L’air est irrespirable, on respire beaucoup de fumée, je crois que c’est l’équivalent de 35 cigarettes par jour. C’est très toxique. C’est de pis en pis », racontent des citoyens de la région. Il y a des millions d’hectares qui ont déjà brûlé, la moindre sortie à l’extérieur vous donne mal à la tête.
« J’ai pleuré tout le long de la route en découvrant les paysages, j’ai eu très peur et je suis toujours sous le choc », ajoute un autre. Sur le trajet, le noir couleur charbon a remplacé le jaune des herbes sèches. De nombreux oliviers, emblématiques de la région, ne sont plus que des squelettes.
Un autre citoyen nous confie aussi sa tristesse : « C’est dramatique, ça donne l’impression d’une apocalypse, c’est très triste. J’ai un cousin qui vient de perdre sa maison », ajoute-t-il. « Quelqu’un de sa famille a également perdu une proche dans les incendies. On est tous touchés, c’est terrible. »
La fin du monde sera grise. Grise comme le ciel de Michelet, de Larbaa ou d’Ath Ouacif, obscurci par la fumée des incendies. Elle sera rouge aussi, comme le soleil de la région kabyle qui semble ne plus savoir distinguer le jour de la nuit. Elle sera noire, enfin, comme les forêts ravagées par les incendies qui brûlent sans discontinuer depuis des semaines.
Quatre membres d’une seule famille ont été tués, brûlés par les flammes alors qu’ils tentaient de prendre la fuite dans le village d’Azrou Kolal. Des dizaines de maisons et de propriétés privées ont été détruites. Un jeune de 36 ans du village Ighil Bougueni est décédé calciné en essayant de sauver son troupeau de bétail.
« Les flammes ont dévoré les villages et la ville, elles étaient très hautes, elles ont tout rasé (…) Subitement c’est devenu comme un volcan », nous a confié un autre citoyen. La vue qui s’étend devant les regards est apocalyptique. Le vert du massif du Djurdjura est devenu noir et sans vie.
Rachid, un Homme à grand cœur qui a tout perdu
Alors qu’ils avaient dû évacuer leur domicile pour fuir les flammes, des villageois ont commencé à regagner leurs villages. Ils constatent alors, dévastés, l’ampleur des dégâts. Certains ont perdu des êtres chers, ont été gravement blessés ou ont vu disparaître leurs biens les plus précieux.
Les citoyens qui ont perdu leurs maisons, de leur côté, se demandent par quelle formule cela sera-t-il possible. Des dizaines, voire des centaines de familles se retrouvent en effet sans toit. Pour une partie d’entre-elles, les demeures sont récupérables, mais pour une autre partie, les maisons ont été complètement anéanties par les flammes.
Rachid, chauffeur de Taxi et père de famille, a tout perdu, son unique refuge et la maison de ses 3 enfants ont été complètement dévorés par les flammes, « J’ai tout perdu, j’ai travaillé toute ma vie en Algérie et à l’étranger pour construire cette maison et loger ma famille, et en fraction de seconde, j’ai tout perdu. J’ai essayé d’éteindre les flammes, je me suis battu avec toutes mes forces, mais les flammes étaient gigantesques. Je n’avais pas d’autres choix que de m’enfuir et sauver ma famille. Ils nous ont brulés. » Nous a-t-il confiés.
À noter que, les derniers feux de forêt enregistrés sur le territoire de la willaya de Tizi Ouzou ont laissé un véritable désastre. Pertes humaines, dégâts matériels, désastre écologique, pertes agricoles… les premières estimations des dégâts font déjà état d’un véritable paysage de désolation.
Concernant les pertes humaines, le bilan est loin d’être arrêté à l’heure actuelle. Néanmoins, l’on parle déjà de pas moins de 100 victimes, dont 70 morts parmi les civiles et 30 parmi les militaires. La plupart des personnes décédées ont été soit calcinées soit étouffées par les fumées.
Des villages entiers ont été fuis par leurs habitants lorsque les flammes criminelles ont atteint les habitations. Plus de 64 habitations ont subi des dégâts majeurs tandis qu’environ 123 services publics ont été partiellement ou totalement brulés. Au niveau des petites et moyennes exploitations agricoles des particuliers, les premiers chiffres donnent déjà le tournis. Plus de 8800 ha d’arbres fruitiers, notamment des oliviers, réduits en cendres et 100 880 têtes d’élevage ont été calcinées.
Les incendies ravageurs ont dévasté pas moins de 10 000 ruches d’élevage d’apiculture, 60 bâtiments d’élevage avicole et de 35 bâtiments et étables d’élevage ovin et bovin. Pour ce qui est du désastre écologique enregistré, les premières estimations font état de plus de 25 000 ha de couvert végétal partis en fumée.