Les menaces, la répression et les manœuvres de division n’ont pas engrangé les dividendes souhaités. Il fallait tenter la carte de l’apaisement, afin de pouvoir exécuter une feuille de route axée exclusivement sur l’organisation d’une élection présidentielle à très brève échéance.
Le chef de l’État, Abdelkader Bensalah, a annoncé, jeudi, que les pouvoirs publics sont disposés à satisfaire certains des préalables posés par le panel des six personnalités — appelées potentiellement à conduire le dialogue — qu’il avait reçues le jour même au Palais d’El-Mouradia. Dans le communiqué de la présidence de la République, diffusé à l’issue de la rencontre, il est précisé que le chef de l’État consent à “inviter la justice à examiner la possibilité d’élargissement des personnes dont l’interpellation s’est faite en lien avec le déroulement des marches populaires”, “à envisager l’allègement du dispositif mis en place par les services de sécurité pour garantir la liberté de circulation
(…) lors des marches populaires” et enfin “à prendre les mesures de nature à faciliter l’accès aux médias publics à toutes les opinions, à travers l’organisation de débats contradictoires et ouverts à toutes les expressions politiques, sans exclusive”.
Pour l’heure, ce ne sont évidemment que des professions de foi d’un régime mis dos au mur par le souffle long d’un peuple déterminé à mener jusqu’au bout sa révolution. Les menaces, la répression et les manœuvres de division n’ont pas engrangé les dividendes souhaités.
Il fallait tenter la carte de l’apaisement, afin de pouvoir exécuter une feuille de route axée exclusivement sur l’organisation d’une élection présidentielle à très brève échéance. Dans cette optique, les tenants du pouvoir réel n’ont pas concédé les “préalables” exigés par la rue, soit le départ de tous les symboles du régime, à leur tête le chef de l’État, Abdelkader Bensalah, et le gouvernement Bedoui, ainsi que des garanties absolues d’un scrutin libre et transparent.
Ils acceptent, à vrai dire, de lever des contraintes et de régler des problèmes qu’ils ont eux-mêmes créés dans l’objectif d’étouffer la révolte citoyenne. Pendant des semaines, après le 22 février 2019, des millions de citoyens ont manifesté les vendredis dans toutes les villes du pays, sans aucun incident majeur. L’étendard amazigh a côtoyé l’emblème national et le drapeau palestinien lors des manifestations partout dans le pays sans toucher, outre mesure, à la revendication identitaire.
Après quelques jours d’omerta, les médias publics et privés, particulièrement du secteur audiovisuel, ont pris en charge correctement la couverture du hirak. L’évolution de la situation dans les normes usuelles ne servait, certes, pas les intérêts du régime. Pour s’extirper de l’engrenage de sa déstructuration programmée, il a mis en œuvre un plan machiavélique.
Alger, la ville miroir de l’insurrection populaire, est interdite d’accès, les vendredis, par une multitude de barrages filtrants de la Gendarmerie nationale. Ses placettes et rues emblématiques sont bloquées par les forces anti-émeutes de la police, qui utilisent, par ailleurs, des canons à eau et des gaz lacrymogènes contre des manifestants pacifiques.
Au début du mois de juin, le chef d’état-major de l’armée, Ahmed Gaïd Salah, donne injonction, dans un discours, de ne porter dans les manifestations que l’emblème national. Aussitôt, les agents de la Sûreté nationale se sont échinés à interpeller les citoyens qui bravaient l’interdiction en brandissant l’étendard amazigh. Depuis près de deux mois, une quarantaine de jeunes militants et manifestants sont sous mandat de dépôt ou sous contrôle judiciaire pour une accusation sans fondement juridique.
Dans l’intervalle, les chaînes de télévision publiques et off-shore, ainsi qu’une majorité de supports de la presse écrite ont subitement cessé de répercuter les images des grandes démonstrations de rue et d’inviter, sur les plateaux, les voix dissonantes.
Jeudi dernier, Abdelkader Bensalah a reconnu implicitement l’instrumentalisation de la justice, des services de sécurité et des médias contre la révolution citoyenne. Il a présenté la probable libération des détenus d’opinion, la levée de l’embargo sur Alger et l’ouverture du champ médiatique à l’opposition, comme des gages de bonne grâce.
Ces promesses relèvent, pourtant, davantage de la prestidigitation politique. La mobilisation et la détermination du peuple est en voie d’arracher ces acquis et continuera, sans aucun doute, à acculer le régime, qui ne cède pas encore sur l’essentiel. Le chef de l’État l’a clairement exprimé : “Mener à bien le processus devant conduire à l’élection présidentielle, laquelle est une priorité (…). Le dialogue doit être inclusif.”
Souhila Hammadi