Féministe assumée, actrice engagée, mais aussi scénariste, productrice et réalisatrice, Adila Bendimerad multiplie les casquettes sans jamais perdre de vue l’essentiel : raconter des histoires qui bousculent, éveillent et questionnent. Entre création artistique et engagement citoyen, elle nous livre ici une parole libre et lucide.
Votre film « La Dernière Reine », coécrit et coréalisé avec Damien Ounouri, a profondément marqué le public et la critique. Qu’est-ce qui vous a inspirée à raconter cette histoire en particulier ? Et comment avez-vous vécu cette double casquette d’actrice principale et de réalisatrice ?
Ce qui m’a inspirée, c’est Alger. Clairement, c’est elle la reine. C’est la ville où je suis née, où je vis, et où j’aimerais finir mes jours. J’ai donc un lien quotidien et dynamique avec ma ville, mais aussi un lien d’espoir, de mémoire… et de trous de mémoire. À l’époque où j’ai commencé à écrire La Reine, je sentais qu’Alger bouillonnait, que ses habitants aspiraient au mouvement, au renouveau, à la beauté, mais qu’elle était constamment tenue sous une chape de plomb. J’attendais qu’elle déborde, qu’on sorte ensemble ce qu’on a dans le ventre.
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L’Alger du XVIe siècle est romanesque, complexe, riche et sacrément belle. J’ai senti que cet Alger du passé pouvait, paradoxalement, nous projeter et nous hisser vers l’Alger que nous rêvons, celle pour laquelle nous œuvrons : une Algérie ambitieuse, aventurière, rebelle, qui aspire à la vie et ne se laisse jamais abattre. Sauf que cette partie de l’histoire algérienne, comme tant d’autres, est méconnue, effacée par le colonialisme, pas représentée par nous… Aller la chercher pour la faire réapparaître fut l’une des plus belles aventures de ma vie. J’en suis sortie grandie. Merci à elle.
Durant ce mois de Ramadan, les téléspectateurs ont découvert un autre visage de vous à travers la série comique Rebaa. Qu’est-ce qui vous a attirée vers ce registre plus léger, et comment avez-vous abordé ce rôle dans un univers très différent de vos projets précédents ?
Rbaa et le registre comique… Je viens du comique. J’ai commencé au théâtre, dans la comédie et le vaudeville, que j’adore. Le public ne le sait pas forcément, ni le cinéma, mais Nabil Asli et ceux qui me connaissent depuis mes débuts au théâtre le savent. Nouzha fi Ghadeb (Promenade dans la colère) était la première pièce écrite par Nabil Asli à sa sortie de l’ISMAS (Institut Supérieur des Métiers des Arts du Spectacle et de l’audiovisuel), mise en scène par Djamel Guermi, à sa façon. Nous l’avons jouée au Théâtre National d’Alger. Cette comédie, forte et sérieuse dans le fond, était complètement loufoque.
Ce que j’en garde comme souvenir, c’est une salle pleine de 1000 spectateurs, les fous rires du public et les regards échangés avec Nabil pour ne pas rire à notre tour. La joie, la joie… La tournée dans les théâtres régionaux, etc. Quand Nabil m’a appelée pour m’inviter à rejoindre l’équipe, j’ai été émue et heureuse. J’ai compris, à travers cette invitation, que mon ami avait tenu une promesse que nous nous étions faite : un jour, on rejouerait ensemble une comédie, parce que LAZEM (il le faut). Merci à lui.
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Vous êtes une femme engagée, féministe, et vous avez pris part à plusieurs actions contre les violences faites aux femmes. Selon vous, comment évolue la place des femmes en Algérie, tant dans la société que dans le milieu du cinéma ?
La place des femmes en Algérie, je la vois dans la même dynamique que la question de la place des femmes dans le monde. Je préfère me dire que c’est une fausse question, car les femmes sont dans l’action constamment. Elles sont dynamiques. En réalité, je n’aime pas me demander quelle est ma place, comme si d’autres devaient me l’attribuer. En Algérie, les femmes travaillent, bougent, mènent plusieurs batailles de vie. Les Algériennes prennent leur place, changent de place, choisissent des places comme elles le veulent, comme elles le peuvent… En tout cas, elles bougent, et elles font bouger le monde.
Vous avez choisi de suspendre les projections de « La Dernière Reine » à Montréal en soutien à la cause palestinienne. Quelle place occupe l’engagement politique et éthique dans votre démarche artistique ?
Oui, nous avons annulé la projection de notre film à Montréal, dans une salle de cinéma qui avait annulé des projections de films palestiniens. C’est au-delà d’un engagement politique : c’est un engagement humain et un engagement pour mes enfants. Comment céder face à ceux qui annulent et éteignent nos voix pour mieux massacrer nos enfants, et en toute impunité ? Annuler un film, c’est le minimum. J’aimerais tellement, comme tant d’entre nous, faire plus et mieux pour les enfants palestiniens.
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En 2011, vous avez créé votre propre société de production, Taj Intaj. Quel regard portez-vous aujourd’hui sur le paysage cinématographique algérien ? Et quels défis rencontrez-vous en tant que productrice indépendante ?
Le cinéma algérien est étonnant. Il rencontre plein de difficultés, d’incompréhensions, d’incertitudes… Mais il continue à livrer des œuvres singulières, libres et étonnantes. Derrière cela, il y a des femmes et des hommes qui ne lâchent pas, qui continuent avec une force inébranlable. C’est beau. Ils ont tout mon respect et mon admiration, au quotidien.
Vous avez débuté sur les planches avant de vous imposer au cinéma. Que vous apporte encore le théâtre aujourd’hui ? Et en quoi cette discipline influence-t-elle votre regard de comédienne, de réalisatrice ou de scénariste ?
Je profite de ce moment pour faire un lien direct entre La Joie, le Théâtre National et la comédie, qui est justement le sujet de notre prochain film avec le réalisateur Damien Ounouri : ZAHIA, Alger 1926 (La Joyeuse). Il raconte l’histoire de la première troupe “indigène” de théâtre, à l’époque du colonialisme et du code de l’indigénat. Ce film est en cours de lancement. Nous commençons la bataille de la production pour rendre ce rêve réel et raconter cette histoire du mieux que nous pouvons, avec toute notre force, nos convictions et notre amour.