Dans cette interview exclusive, Sabah Kaddouri, journaliste algérienne de renom chez Forbes France, nous a généreusement partagé son parcours professionnel remarquable et a abordé l’évolution significative du cadre des affaires en Algérie au cours des dernières années. Préparez-vous à plonger dans une exploration fascinante de la scène économique algérienne et de ses perspectives prometteuses avec Sabah Kaddouri.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et comment vous êtes devenue journaliste chez Forbes France ? Quels ont été les moments les plus marquants de votre carrière ?
J’ai démarré ma carrière au sein de la multinationale GDF Suez, rebaptisée depuis Engie, où j’assistais le directeur des Affaires Publiques dans ses missions de lobbying. A l’épreuve des dossiers, j’ai découvert le fonctionnement d’un grand groupe du CAC 40 et la sensibilité de concilier intérêts privés avec législation publique. C’était passionnant ! Par la suite, j’avais envie d’explorer le monde du journalisme afin de suivre au plus près l’actualité internationale et de la retranscrire avec ma plume. J’ai donc repris mes études afin de décrocher un master en journalisme, j’en suis sortie Major de promo. J’ai débuté par une collaboration au Figaro au sein du Pôle Actu. En 2016, j’ai appris que Forbes se lançait en France alors je me suis activée pour rentrer en contact avec le CEO de l’édition française, Monsieur Dominique Busso. Forbes, c’est le graal du journalisme, un média centenaire infiniment respecté et connu dans le monde entier.
C’était toutefois un défi que de positionner un média business & luxe en France car, ici, la figure entrepreneuriale qui réussit n’est pas si valorisée qu’aux États-Unis. Grâce à la puissance de feu de l’image de marque de Forbes et au travail acharné et ingénieux des équipes de Forbes France, nous sommes devenus un média de référence dans l’Hexagone. J’ai vu « grandir ce bébé », quelle belle aventure ! Je remercie Dominique Busso pour son leadership qui vous amène à vous dépasser et à vous dire que « Sky is the limit ! », et tiens aussi à exprimer mon admiration pour son associée, Madame Thuy Nguyen, une femme d’exception. Parmi mes souvenirs marquants, je citerai mes interviews de Jane Fonda, Melinda Gates, Khadidja Benganna, Ronit Raphael ou encore de Sir Paul McCartney, ex-Beatles, ainsi que ma rencontre avec la journaliste-présentatrice Hana Ghezzar Bouakkaz et la journaliste Sirine Errammach, deux autres femmes admirables.
Comment voyez-vous l’évolution du cadre des affaires en Algérie ces dernières années ? Pensez-vous que les récentes réformes et l’assouplissement du cadre des affaires ont favorisé l’investissement dans le pays ?
Au sein de Forbes, je suis une observatrice privilégiée de cet écosystème à l’échelon international. Je constate indéniablement un intérêt marqué pour l’Algérie et les nombreuses opportunités d’affaires qu’elle offre aux investisseurs. Cette désirabilité de la « destination Algérie » est portée par le triptyque : stabilité du pays, marchés n’ayant pas atteint leur stade de maturité et mise en place d’outils favorisant les IDE (Investissements Directs Etrangers) à travers un accompagnement volontariste des porteurs de projets. Sous l’impulsion du gouvernement en charge d’appliquer sur le terrain la doctrine de « L’Algérie Nouvelle » édictée par le président de la République Abdelmadjid Tebboune, en réponse aux aspirations des Algériens, la diversification de l’économie est amorcée.
Ce pivot s’exprime par l’orientation budgétaire en faveur de projets d’avenir tels que la Tech, la Transition énergétique, la Santé, les Transports (le fameux chantier de route Transsaharienne)…, mais aussi dans un plus grand effort de rééquilibrage dans l’assiette importation / exportation. Certains produits que l’Algérie importait auparavant, sont désormais fabriqués localement, voire commencent à être exportés (comme la filière d’excellence d’huile d’olive). Les entreprises étrangères l’ont compris et doivent s’inscrire dans cette stratégie de développement. Aussi, elles profitent d’un coût de l’énergie beaucoup plus accessible qu’ailleurs, ce qui participe à l’attractivité de la destination.
Enfin, à date, la Chine, la Turquie, les États-Unis, l’Italie et la France s’affichent comme les principaux investisseurs dans le pays. Dernièrement, on observe une véritable opération séduction des monarchies du Golfe désireuses de prendre des positions en Algérie en vue de profiter d’opportunités de croissance à long terme.
L’Algérie a organisé récemment la première conférence des : « hautes compétences algériennes établies à l’étranger ». Comment l’Algérie peut-elle profiter de ces compétences ? Comment peut-on concurrencer les pays qui leur offrent un salaire à six chiffres en dollar, un cadre de vie agréable et un environnement de travail sain ?
Avec une diaspora parmi les mieux formées au monde et résolument attachée à la patrie de ses origines, l’Algérie a compris qu’elle avait tout à gagner en s’appuyant sur ce vivier de talents. Récemment, il y a eu une traduction concrète de cette prise de conscience par cette conférence que vous citez, et dans l’organisation de réunions de travail sous la supervision d’acteurs étatiques. En France, par exemple, une quinzaine de corporations professionnelles (scientifiques, chefs d’entreprise, élus locaux, artistes…) ont été conviées à réfléchir sur ce rapprochement et sur les actions à mener afin de bâtir des ponts durables entre l’Algérie et le reste du monde, d’ériger une véritable passerelle entre les deux rives de la Méditerranée, dans l’intérêt réciproque des deux pays.
À mes yeux, après ce travail d’identification des hautes compétences, l’enjeu de la structuration doit concentrer toute l’attention des parties prenantes pour donner vie à des projets concrets.
S’agissant de concurrencer le cadre de vie des pays dont est principalement issue cette diaspora (France, Italie, Angleterre, Canada, Émirats…), il faut réfléchir à une manière d’offrir des packages capables d’intégrer cette donnée. L’opération séduction auprès des investisseurs étrangers doit donc aussi s’accompagner d’instruments incitatifs pour envisager une expatriation temporaire ou pérenne. Ceci peut être encouragé par le partenariat avec des écoles privées prestigieuses afin d’accueillir les enfants de cette main d’œuvre très qualifiée, par la création d’un incubateur de pointe sur l’exemple de Station F en France, qui s’est tout simplement inspiré de ce qui existait à la Silicon Valley… Regardons le projet de « Dzaïr Media City » qui prochainement verra le jour, l’ambition de cette « ville médiatique » est de s’adosser aux standards internationaux. C’est tout à fait la démarche à adopter.
L’Algérie a récemment accouché de sa première pépite de classe internationale, Yassir. Pouvez-vous nous en dire plus sur cette entreprise et sur son potentiel pour le développement de l’économie algérienne ?
Yassir, c’est la volonté d’un homme – Nourredine Tayebi – de se dire qu’un entrepreneur algérien pouvait lui aussi créer dans son pays de la richesse grâce à une startup Algerian native capable de révolutionner le marché et la vie des habitants. Les Américains ont l’habitude de changer le monde par leurs innovations technologiques et industrielles, mais dans chaque contrée du monde, il y a des cerveaux locaux qui démontrent que tout est question finalement d’audace, de créativité, de vision et d’exécution. L’entreprise Yassir (qui veut dire « facile » en arabe), fournit des services de transport et de livraisons à domicile tout en se posant comme un tiers de confiance en offrant des services financiers et de paiement. C’est aujourd’hui le plus grand employeur d’ingénieurs informaticiens dans la région du Maghreb et la plateforme de services leader sur plusieurs marchés du continent.
L’année dernière, la pépite algérienne a rejoint le club restreint des entreprises africaines les plus valorisées en ayant notamment réussi à Yassir lever des fonds à hauteur de plus de 220 millions de dollars. Surtout, le profil des investisseurs illustre la solidité de la société Yassir promise à un avenir radieux dans la mesure où l’Algérien Nourredine Tayebi a su convaincre les plus grandes firmes mondiales de capitaux. C’est un signal fort au monde des affaires qui prend de plus en plus conscience de l’importance d’accompagner les entrepreneurs d’origine africaine.
Cette success story a aussi une visée inspirationnelle car elle conforte les hommes et les femmes d’affaires d’origine algérienne à miser sur ce marché. Parmi eux, un certain Morad Attik, fondateur d’Evolukid au côté de son frère Rabah, qui démocratisent ensemble le secteur de l’Intelligence Artificielle en France avec l’ambition de déployer leur modèle de réussite en Algérie à travers différents projets. Avec « Kesk’IA », un programme d’excellence à destination des jeunes talents algériens pour développer des prototypes fonctionnels d’intelligence artificielle et leurs « DZ Digital Tour », une tournée nationale pour toucher 1 M d’algériens de tout âge afin de les sensibiliser et les former aux nouvelles technologies, ces génies du numérique marchent sur les pas de Nourredine Tayebi.
Le gouvernement algérien a dernièrement affiché son ambition d’intégrer les BRICS. Quels sont, selon vous, les avantages et les défis de cette intégration pour l’Algérie ? Comment cela pourrait-il affecter l’économie et les entreprises du pays ?
Dans ce monde en proie à l’incertitude et aux multiples crises, la puissance régionale de l’Algérie s’en est trouvée consolider. Son économie a fait preuve de résilience et sa voix politique respectée. L’Algérie démontre qu’elle a la capacité de parler à tout le monde. C’est un véritable numéro d’équilibriste dans ce monde devenu bipolaire avec ses deux blocs à l’agenda diamétralement opposé. Dernièrement au Sommet de la Ligue Arabe à Djeddah, on a pu observer que bien des choix politiques algériens ont été repris comme l’adoption d’une résolution actant du retour du dirigeant syrien, Bachar Al Assad… Alger doit donc penser que c’est le momento.
Outre ces aspects, l’Afrique – continent d’avenir et de toutes les convoitises – a aussi compris le besoin de ne plus compter en son sein qu’un seul membre des BRICS, l’Afrique du Sud. Le continent doit pouvoir s’appuyer sur d’autres poids lourds pour contrebalancer, faire valoir ses intérêts. Un axe Alger-Pretoria coule de sens. En cas d’approbation de la candidature algérienne, les entreprises du pays pourront s’engager dans des projets d’envergure avec leurs partenaires, monter en gamme dans des secteurs clefs : informatique, numérique, pharmaceutique, industries manufacturières…, quant à la population, elle bénéficiera de plus grandes opportunités dans l’éducation, par exemple, via un renforcement de l’accueil des étudiants. A l’Algérie de poursuivre ses efforts tous azimuts pour répondre aux critères d’entrée à ce club des BRICS.
L’Algérie souffre d’un manque de communication, promotion et lobbying à l’international pour promouvoir le business et la destination Algérie. Selon vous, comment l’Algérie peut-elle combler ce déficit et devenir un vrai pôle économique et touristique ?
Il faut se convertir à la doctrine du « soft power ». C’est un levier redoutable pour promouvoir l’attractivité d’un pays. L’Algérie ne manque pas d’atouts pour devenir un vrai pôle économique et touristique. Sa jeunesse très connectée peut être motrice, sa diaspora désireuse de développer des concepts, des entreprises à valeur ajoutée constituent un autre atout à exploiter. Le « soft power », c’est aider les talents à capitaliser sur leurs compétences pour qu’ils rayonnent mondialement, je pense notamment à nos chefs cuisiniers comme Sherazade Laoudedj, véritable ambassadrice de la gastronomie algérienne, à nos designers à l’image d’Eddine Belmahdi ou Menouba qui font un travail remarquable autour du Karakou et Caftan algérien, au cinéma algérien qui jouit également d’un grand respect, en témoignent les films salués par la critique « Heliopolis » de Djaffar Gacem ou « La Dernière Reine d’Alger » de Adila Bendimerad…
Derrière ces exemples, c’est la promotion et la défense du patrimoine algérien qui est en jeu. L’Algérie serait bien avisée de lancer son Festival international de la gastronomie et du terroir algérien, sa Fashion Week, sa compétition internationale de cinéma, son Festival de l’humour, … Je reviens tout juste du festival de Cannes où j’ai vu l’effervescence autour de la production franco-algérienne « Omar la Fraise », ainsi, il faudrait se positionner pour être une destination événementielle aux retentissements planétaires (Expo universelle, Gitex, Compétitions sportives comme le Paris/Dakar, Esport…). La réussite des Jeux Méditerranéens à Oran à démontrer un savoir-faire algérien.
En outre, il faudrait élaborer un plan d’attaque pour une vraie représentativité dans les instances internationales afin de faire valoir la voix, les intérêts annexes de l’Algérie, de la FIFA à l’UNESCO en passant par d’autres organes onusiens. C’est clairement un chantier prioritaire.