Interview avec Soraya Mellali, présidente du Conseil africain du cancer du sein

Interview avec Soraya Mellali, présidente du Conseil africain du cancer du sein

Rencontre avec Soraya Mellali, une femme d’exception qui conjugue expertise et dévouement. Actuellement présidente du Conseil africain du cancer du sein et ancienne directrice exécutive à la Banque Africaine de Développement, elle revient sur son parcours remarquable et partage sa vision pour améliorer la prise en charge du cancer du sein en Afrique.

Lors de cette interview exclusive, elle évoque les défis de la lutte contre cette maladie sur le continent, les stratégies mises en œuvre sous sa direction et l’impact crucial des partenariats internationaux pour renforcer les infrastructures de santé.

Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et des étapes qui vous ont mené à la présidence du Conseil africain du cancer du sein ?

Mon engagement en faveur d’un développement durable et inclusif s’est construit autour de trois piliers : stratégie, finance et gouvernance, et m’a conduit à des cabinets de conseils en stratégie, à la Banque d’Algérie, puis au Programme des Nations Unies pour le Développement, avant de siéger aux conseils d’administration de la Banque Mondiale et de la Banque Africaine de Développement, où j’ai forgé une vision globale des enjeux de développement.

Plus récemment, j’ai présidé le conseil d’administration pour l’Afrique d’une organisation axée sur l’innovation technologique et l’exploitation des données pour améliorer l’accès aux soins de santé.

Ces expériences, enrichies par plusieurs années en Afrique subsaharienne m’ont permis de mieux appréhender les défis structurels des systèmes de santé et m’ont ouvert les yeux sur une réalité glaçante : une femme sur deux, atteinte d’un cancer du sein en Afrique, ne survivra pas, alors que cette maladie peut être traitée avec succès si elle est détectée tôt.

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Ce ne sont pas de simples statistiques, car il s’agit des mères, des sœurs, des filles, des amies, dont l’espoir de survie repose sur la nécessité d’intensifier l’action collective. C’est dans cette dynamique que s’inscrit mon engagement au sein du Conseil Africain du Cancer du Sein, que j’ai l’honneur de présider.

Quels sont les défis majeurs auxquels l’Afrique fait face dans la lutte contre le cancer du sein ?

De nombreux pays ont mis en place des programmes de dépistage et de traitement du cancer du sein, et des progrès significatifs ont été réalisés, cependant l’Afrique continue d’enregistrer l’un des taux de mortalité par cancer du sein les plus élevés au monde, avec environ 60 à 70 % des cas diagnostiqués à un stade avancé.

Ce phénomène est largement attribuable à un diagnostic tardif, dû à une sensibilisation insuffisante aux symptômes et aux facteurs de risque, un accès limité aux soins, des infrastructures insuffisantes, des disparités géographiques et un manque de personnel médical qualifié.

De plus, le coût élevé des soins, associé à des stigmates culturels, freine l’adoption du dépistage précoce, augmentant ainsi les risques de cancer avancés. Enfin, l’absence de mécanismes de financement durable et le manque de données fiables sur l’incidence et la prévalence du cancer rend difficile l’élaboration de politiques de prévention efficaces.

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En Afrique du Nord, malgré certaines avancées, l’allongement de l’espérance de vie et les transformations sociétales, contribuent à l’augmentation de l’incidence des cancers du sein. En Algérie, l’augmentation de l’espérance de vie à 79,3 ans en 2023, s’accompagne de nouveaux défis sanitaires : la hausse de l’obésité, une alimentation riche en graisses et en sucres, et un manque d’activité physique, sont des facteurs aggravants.

Ces dynamiques exercent une pression supplémentaire sur le système de santé et mettent en lumière des opportunités d’amélioration notamment pour renforcer l’accompagnement des femmes, en réduisant les délais d’attente, en améliorant la formation des aides-soignants et en développant l’information sur les signes précoces, en particulier dans les zones rurales où la stigmatisation demeure un défi.

En dépit de quelques évolutions positives, la situation globale du continent reste préoccupante, surtout en comparaison avec les pays à revenus élevés, où les taux de survie à 5 ans atteignent 90 %.

Quelles sont les orientations principales du Conseil sous votre direction ?

Le Conseil, composé de femmes leaders et expertes dans leurs domaines, mettra en exergue les lacunes critiques à combler pour accélérer le diagnostic et le traitement efficace du cancer du sein, tout en soutenant les réformes essentielles des politiques de santé dans des pays prioritaires.

Nos objectifs sont ambitieux, mais clairs : d’ici à 2030, nous visons à augmenter le taux de diagnostics précoces de 30-40 % à 60 %, réduire le délai de diagnostic de 183 à 60 jours et porter à 80 % le nombre de femmes recevant des soins de qualité, contre 35 % actuellement.

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Pour concrétiser ces ambitions, le Conseil plaidera activement auprès des gouvernements, des institutions publiques et privées ainsi que des organisations internationales pour qu’ils s’engagent pleinement à améliorer l’accès aux soins, mobiliser des financements et appuyer les réformes. Ce plaidoyer est au cœur de notre mission, visant à faire du cancer du sein une priorité de santé publique et à intégrer des solutions adaptées aux réalités locales.

Les défis sont considérables, mais notre engagement collectif est essentiel pour impulser le changement. Le Conseil bénéficie du soutien et de l’expertise de Roche Afrique, qui contribue à nos efforts pour améliorer la prise en charge du cancer du sein en Afrique.

Quel est l’impact des partenariats internationaux et comment contribuent-ils à renforcer les infrastructures médicales et les programmes de dépistage sur le continent ?

Le cancer du sein représente un enjeu majeur de santé publique en Afrique, qui nécessite un effort collectif et une collaboration accrue entre les partenaires nationaux et internationaux. Des partenariats innovants émergent. Au Kenya, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) soutient des programmes utilisant les technologies mobiles pour sensibiliser et dépister des femmes dans les zones rurales les plus reculées.

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Au Nigéria, un partenariat entre les acteurs locaux et internationaux, dont l’initiative lancée par le gouvernement fédéral avec Roche en 2024, renforce le dépistage précoce et l’éducation, pour améliorer les taux de survie et réduire les inégalités.

Il ne s’agit pas d’importer des solutions toutes faites, le succès repose sur un principe fondamental : placer les communautés locales au centre de la stratégie. Les partenariats efficaces sont ceux qui construisent ensemble des approches adaptées aux réalités culturelles et sociales, forment les professionnels de santé, s’assurent de l’intégration des solutions dans les systèmes locaux et renforcent de fait l’autonomie des systèmes de santé.

Quelles sont les répercussions économiques du cancer du sein dans les pays africains, et pourquoi est-il crucial d’investir pour contrer ces effets ?

L’impact économique est considérable. Dans des pays où les soins se paient souvent au comptant, un diagnostic de cancer du sein peut précipiter toute une famille dans la précarité et accentuer le cycle de pauvreté. Par ailleurs, la maladie qui touche souvent de nombreuses femmes en âge de travailler, diminue la productivité économique en raison de l’incapacité de travailler pendant les traitements.

De plus, la prise en charge des patientes à un stade avancé mobilisent des ressources importantes. C’est pourquoi investir dans la prévention n’est pas une dépense, c’est une nécessité sanitaire et économique. Prévenir coûte infiniment moins cher que guérir.

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En regardant vers l’avenir, quelle est votre vision pour améliorer la prise en charge du cancer du sein en Afrique et en Algérie dans les prochaines années ?

Ma vision est celle d’une Afrique où le cancer du sein ne serait plus une fatalité, mais une maladie que l’on peut prévenir, diagnostiquer précocement et traiter avec succès.

Pour cela, il faut renforcer les politiques publiques et consacrer les ressources nécessaires à la lutte contre le cancer, développer des programmes de prévention adaptés qui parlent à nos réalités, à nos cultures, rendre le dépistage précoce accessible, même dans les zones les plus reculées, former des équipes médicales capables de détecter et de traiter la maladie, et favoriser une meilleure coordination entre les acteurs.

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La télémédecine, les dispositifs d’imagerie portable et le développement de tests sanguins pour détecter le cancer du sein à un stade précoce, représentent un espoir pour un diagnostic plus simple et moins coûteux.

Il faut également encourager la recherche locale sur les facteurs de risque spécifiques aux populations africaines. La collaboration entre pays africains est essentielle pour partager des connaissances et des expériences qui renforceront nos efforts collectifs.

En tant que leader féminine, quelles leçons avez-vous tirées de votre expérience, et quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes souhaitant s’engager dans la santé publique ?

Le chemin vers le leadership est rarement linéaire, il se construit au fil de rencontres décisives, de convictions profondes et du désir constant de contribuer de manière significative. Chaque expérience, succès ou échec, est une occasion d’apprendre et de progresser.

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Aux jeunes femmes qui souhaitent s’engager dans la santé publique, je leur dirais de croire en leur capacité à provoquer le changement, d’être persévérantes, et de développer des compétences qui les rendront confiantes.  Et également, collaborez activement, car la santé publique exige un effort collectif et interdisciplinaire, soyez persévérantes parce que les transformations significatives demandent du temps, mais elles en valent la peine, et pratiquez l’écoute bienveillante, car l’expérience des patientes est aussi essentielle que le savoir médical.

Pour terminer, quel message souhaiteriez-vous transmettre aux femmes en Afrique concernant l’importance de la prévention et du diagnostic du cancer du sein ?

Le cancer du sein est une réalité douloureuse, mais la prévention et le dépistage précoce sont des outils essentiels qui peuvent sauver des vies et protéger des familles. Connaître les signes, être attentive aux changements dans la forme ou la texture du sein, et consulter au moindre doute peut faire toute la différence. Prenez soin de votre santé, n’attendez pas pour faire le premier pas. Ces gestes simples peuvent vraiment sauver des vies.