Irak: souvenirs de la «maison rouge», lieu de torture sous Saddam

Irak: souvenirs de la «maison rouge», lieu de torture sous Saddam

Souleimaniya (Irak) – Kamiran Aziz Ali grimace, se penche en avant, les mains dans le dos pour mimer l’instant où en janvier 1990 les sbires de Saddam Hussein l’ont envoyé valdinguer dans une cellule de la «maison rouge», le centre de torture pour militants kurdes à Souleimaniya, au Kurdistan irakien. «J’ai encore mal. Je ne peux pas rester longtemps assis», souffle le vieil homme.

La «maison rouge» est depuis 1996 un musée consacré aux horreurs de la torture sous le dictateur. L’établissement, un tantinet délabré et assez peu connu, est installé dans un quartier cossu de Souleimaniya, la deuxième ville du Kurdistan irakien, à 270 km au nord de Bagdad.

Les hauts murs qui l’entourent sont d’origine, la peinture rouge qui les recouvrait a progressivement disparu, mais les barreaux et fils barbelés censés prévenir toute évasion sont toujours là.

De 1985 à 1991, année qui a vu le Kurdistan irakien s’émanciper du joug de Saddam Hussein, le bâtiment en béton grossier a vu défiler dans ses geôles des centaines de militants kurdes, accusés de «subversion» par le régime, à l’instar de l’actuel gouverneur de la province de Souleimaniya, Bahroz Qachani.

«Ca n’était pas une prison à proprement parler. C’était un +centre d’enquêtes+. Les détenus restaient ici de six à huit mois puis étaient transférés vers (des prisons) à Abou Ghraïb ou Bagdad», hors du Kurdistan, raconte Ako Gharib, le directeur du musée.

Le vocable «enquête» est un euphémisme, produit de la novlangue en vigueur sous Saddam Hussein. La grande affaire des «enquêteurs» des Renseignements généraux était d’arriver à extorquer des «aveux» des détenus, quitte à recourir à des actes d’une barbarie inouïe.

Après la chute de Saddam Hussein en 2003, les forces d’occupation étrangères ont bien tenté d’inciter police et Justice à préférer les preuves aux aveux. Mais l’obsession du «faire avouer» reste chevillée au corps de tout enquêteur zélé.

«La torture et les mauvais traitements sont des pratiques communes et répandues dans les prisons (…) et sont commis en toute impunité», notait au sujet de l’Irak l’ONG Amnesty International dans son rapport annuel publié le mois dernier.

«La torture est utilisée pour extorquer des informations et des +aveux+ qui pourront ensuite être utilisés contre les détenus lors du procès», assurait l’ONG.

A la fin des années 80 et à l’aube des années 90, à la «maison rouge», chaque pièce était consacrée à une forme de torture bien précise, selon M. Gharib.

Dans un bureau insonorisé, les détenus étaient attachés par les mains à un solide tuyau, les pieds à 50 cm du sol.

Kamiran Aziz Ali a rejoint les rangs de l’Union patriotique du Kurdistan, le parti de l’actuel président irakien Jalal Talabani, dans les années 70. Il est aussi passé par cette pièce, et se souvient bien des paroles de ses tortionnaires: «ils m’ont dit: +si tu n’avoues pas, nous allons te torturer+. Ensuite ils ont mis un câble sur mon sexe et ils ont ouvert le courant électrique».

«Aujourd’hui, j’ai encore d’affreuses douleurs au dos. Elles datent de mon arrestation. J’ai des douleurs à la colonne vertébrale. Je ne peux pas rester assis trop longtemps, sinon je souffre horriblement. Quand je vais me coucher, je me souviens de cet endroit où pendant deux mois mon lit était un morceau de carton», raconte M. Ali, aujourd’hui employé au ministère de l’Education du Kurdistan irakien.

Dans une autre pièce sans fenêtre, les détenus étaient pendus par les pieds à un cylindre tenu par deux agents. Un troisième était chargé d’envoyer des coups dans la plante des pieds du supplicié.

«Les prisonniers étaient battus pendant 6 à 12 heures. Des câbles étaient utilisés pour les frapper et les torturer», précise Ako Gharib, le directeur du musée.

Kamiran Aziz Ali est resté un an à la «maison rouge» puis a été transféré à la prison d’Abou Ghraïb, à l’ouest de Bagdad.

Il a été libéré à temps pour vivre le soulèvement de Souleimaniya contre les forces de Saddam Hussein, au printemps 1991 et le point final mis aux activités barbares de la «maison rouge».

«Ce bâtiment, c’était un peu le donjon du dictateur. Jamais nous ne pourrons l’oublier», affirme-t-il.