Nombre d’observateurs mettent en cause la politique extérieure de la France qui, selon cette assertion, lui fait payer aujourd’hui ses “errements”. Le journaliste français Jacques-Marie Bourget est de ceux-là !
Liberté : Après les attentats meurtriers de Paris, la France doit-elle réviser sa politique étrangère à l’égard de certains pays qu’on présente de plus en plus comme des sponsors du terrorisme international ?
Jacques-Marie Bourget : François Hollande, qui n’hésite pas à mettre les droits de l’Homme en avant tout en soutenant un dictateur comme Sassou Nguesso, qui est l’allié des dictatures qataries et saoudiennes, joue les professeurs de démocratie dès que l’on évoque Bachar al-Assad. Cette haine du président syrien a deux origines, une fidélité de Hollande à Chirac, qui est convaincu que c’est Damas qui a assassiné son ami Rafic Hariri, le président du Conseil libanais. L’autre origine de la vindicte trouve encore sa source dans une amitié, celle que Hollande entretient avec Netanyahou. Ce choix personnel a conduit la diplomatie française vers un isolement total, et plus personne n’écoute la France qui est “out” du dossier iranien, et “out” du dossier syrien. Rappelons-nous que Hollande a été le seul à proposer de bombarder Damas, après la fausse révélation de l’usage de gaz sarin par Bachar. Aujourd’hui, la France est nue ! Elle demande l’aide du Conseil de sécurité pour ne pas perdre la face et se joindre à une coalition sous la bannière de l’ONU…
De ce point de vue, doit-on estimer alors que certains États occidentaux qui se disent aujourd’hui menacés par le terrorisme sont véritablement la menace ?
Si la France est plus menacée que d’autres c’est qu’elle a refusé de prendre en considération ses données intérieures. Il y a dans l’Hexagone une population musulmane qui n’a jamais été protégée, ni respectée… Cette politique constante a créé une paupérisation, un défaut d’intégration et donc des ghettos. Les prêcheurs salafistes, souvent financés par les Saoudiens ou les Qataris, ont cueilli comme des fruits mûrs ces citoyens délaissés et considérés de seconde zone. Il suffit de quelques mois à peine pour faire passer un jeune de ses “petits boulots” à celui de kamikaze, puisqu’il est sans espoir sur terre et qu’on lui promet le paradis.
Certaines voix estiment que la politique arabe de la France, chère au général de Gaulle, a été abandonnée au profit d’un alignement “atlantiste” sinon “sioniste”. Qu’en pensez-vous ?
C’est hélas vrai ! Le Quai d’Orsay, la diplomatie française est entre les mains des néo-conservateurs alimentés en “idées” par les “durs” de Washington. En ce qui concerne les liens avec Israël, citons deux éléments. Le premier c’est la Cour de cassation qui, dans une décision incroyable, s’en vient à condamner les militants qui appellent au boycott des produits israéliens. Le second c’est une vidéo, que l’on peut consulter sur YouTube, dans laquelle on voit François Hollande au cours d’une soirée chez Netanyahou s’écrier : “Je suis prêt à apprendre la musique pour chanter la gloire d’Israël.”
Avec l’instauration de l’état d’urgence, voire des lois d’exception, la France, dite patrie des droits de l’Homme, ne va-t-elle pas sacrifier certaines libertés et perdre, ainsi, son âme ?
C’est certain. D’une loi d’exception à l’autre, alors que l’on sait qu’elles sont inutiles, on étrangle cette liberté que l’on commande aux autres. L’autre aspect est la stigmatisation de nos compatriotes musulmans. Samedi dernier, lors d’une manifestation d’extrême droite à Pontivy, en Bretagne, un Maghrébin qui passait par là a été roué de coups et l’évènement n’a pas ému les journaux. La France n’est plus en situation de donner des leçons au reste du monde.
Bio-express
Né le 5 juillet 1943 dans le Maine-et-Loire, en France, Jacques-Marie Bourget est un spécialiste du Moyen-Orient. Après avoir débuté comme journaliste radio et télévision à l’ORTF, il a travaillé comme grand reporter pour les titres les plus connus de la presse française tels que L’Aurore, Le Canard enchaîné, L’Express, VSD, Paris-Match, Bakchich… En 1986, il a obtenu le prix “Scoop” pour avoir révélé “l’affaire Greenpeace”. Correspondant de guerre, il a couvert de nombreuses zones de conflits. Le 21 octobre 2000, à Ramallah en Cisjordanie, il est grièvement blessé par une balle tirée dans le poumon par un sniper de l’armée israélienne. Son évacuation vers la France, empêchée par Tsahal, a nécessité alors l’intervention directe du président français Jacques Chirac auprès du Premier ministre israélien, Ehud Barak. L’épouse de Jacques-Marie Bourget, d’origine algérienne, est la fille d’un chahid exécuté par l’armée française en 1956.
Entretien réalisé par : M-C. L