L’été version 2016 a été pour le public algérien l’occasion d’être pris par l’émotion qu’a suscitée le tristement célèbre feuilleton d’amour de Ikram et Abdelkader.
Les deux jeunes tourtereaux qui, juste après une lune de miel passée aux Etats-Unis où séjourne ce dernier, ont raté le chemin vers le nid de l’union sous le même toit. Une histoire de vie privée vite mise au-devant de la scène, engendrant du « buzz » médiatique parmi la jeunesse, la blogosphère, les réseaux sociaux, la presse, etc.
Du coup de foudre pour la femme pieuse et voilée Ikram qui pleure à la seule évocation du nom du prophète avec des centaines de « likes » sur son profil « facebook » à cette image, pour le moins poignante, d’un mari, « Abdelkader », au bord de la déprime, rongé par le sentiment d’être à la fois volé et trahi par cette même femme qui est, paraît-il, arnaqueuse, dévergondée et infidèle, qui doit-on croire ? Ainsi converge-t-on vers les mêmes questions : des histoires à l’eau de rose peuvent-elles exister chez nous ?
Les nôtres sont-ils capables d’amour? Quel regard dressent-ils envers la femme ? Quelle est l’influence de la religion dans leur représentation mentale des rapports entre les deux sexes? Notre société est-elle conservatrice, misogyne, moderne, le tout à la fois, un mélange, etc.? Et puis, qu’est-ce qu’un bon conjoint aux yeux de la femme algérienne? Et qu’est-ce qu’une fille de bonne famille pour ce dernier? Quelle est la place de la virginité, des mœurs et de la bonne conduite chez certains des nôtres qui se déclarent conservateurs et vice-versa? Et bien, aucune réponse du tout ! On peut même prétendre, avec un zeste d’ironie en plus, que ce « thriller » de noces ratées, de sentiments contradictoires, de fugue, de tromperie et de polémiques prouve que la société a changé d’âge sans qu’elle mûrisse son âme.
Entre ceux qui croient à l’amour pur et pieux dans une société de tabous où le retour de refoulé peut faire des ravages et les autres qui s’y attachent, eux, à l’amour libre, émancipé et sans freins, il n’est de place que pour la machine du virtuel. L’amour avec un grand « A », l’amour avec pudeur, sans fards ni fond de teint est bien loin de correspondre aux relents du matérialisme qui ravagent les mentalités chez nous, à cette fausse dévotion qui en balaie toute sincérité, aux bris d’artificiel qui ont désossé la bonhomie d’antan. Les garçons et les filles de mon pays qui rêvent encore aux idylles de Antar et Abla, Roméo et Juliette ou même au poème de Ben Guittoun qui célèbre la mémoire de la belle « Hiziya » pleurée par son amant en seront pour leurs frais. Cet amour à vie qui a la beauté de l’insaisissable, qui porte sur ses ailes le charme de l’aventure, le don de soi, le sacrifice et l’innocence semble nous avoir déserté à toutes jambes.
Qu’il est lointain cet amour du bon vieux temps de nos parents : simple mais inimitable, discret mais joyeux, muet mais trop expressif, pudique mais combien chaleureux. Cet amour qui éveille à l’intelligence des cœurs, qui est avant tout plongé dans l’intime de l’autre, partage, convivialité, respect, fidélité, sagesse, etc. Le penseur Saint Augustin dirait un jour que la seule mesure de l’amour, c’est d’aimer sans mesure.
Les Algériens de nos jours peuvent lui rétorquer, à l’instar de Ikram et Abdelkader d’ailleurs, que « la seule mesure de l’amour, c’est de compter sans mesure ». Compter l’argent de son prétendant au mariage, le nombre de voitures qu’il possède, de villas, de comptes en banques, de passeports, etc. L’amour s’est matérialisé, la société s’est aliénée, les regards sont tournés vers le culte des gros ventres et les valeurs ne sont rien d’autre que des péchés mignons dont on devrait se débarrasser au plus vite pour se conformer à la médiocrité ambiante, hélas !