Les jeunes ne sont pas apolitiques. En quête d’absolu à cause de leur âge, ils ne se retrouvent pas dans les discours vieillissants des partis qui n’arrivent pas à trouver les mots justes pour leur parler.
Le poids des jeunes continue d’être prédominant dans la pyramide des âges algérienne. Les moins de 15 ans en constituent le tiers et les moins de trente ans pratiquement la moitié, alors que les 15-64 ans, c’est-à-dire la tranche d’âge active, forment 65% du total.
D’autre part, chaque année, plus de 1 million de bébés naissent dans le pays auxquels il faudra préparer, six ans plus tard, des places pédagogiques jusqu’à la fin du collège. Ceux qui obtiendront leur brevet du cycle moyen rejoindront le lycée, les autres seront dirigés vers les centres de formation ou vers la vie active. Les moins chanceux connaîtront l’oisiveté, le travail au noir ou l’apprentissage sur le tas.
Une minorité atteindra, après avoir réussi au baccalauréat, l’enseignement supérieur à l’université, dans des instituts spécialisés ou dans de grandes écoles.
Cette logistique ne concerne que l’éducation et la formation. Il reste la santé, le logement, le sport, la culture, les loisirs et tous les services qui permettent à la jeunesse de s’épanouir et de créer des richesses.
Sans cela, le pays court le risque de faire face dans un proche avenir à une masse désorganisée et en colère qu’il faudra réprimer, au lieu d’une société civilisée et éduquée qui génère des solutions, non des problèmes.
Or, lorsqu’on entend les discours des partis politiques et qu’on lit leurs programmes, pour ceux qui en ont, on a l’impression que les jeunes ne présentent aucune spécificité comme s’ils étaient nés vieux.
La société algérienne est pourtant en mutation rapide et ses repères changent de jour en jour. A l’instar de toute l’humanité, elle subit l’impact des nouvelles manières de vivre et des nouveaux modes de penser, d’agir. Tout a pratiquement changé ou presque. Et la vitesse avec laquelle les moeurs évoluent dépasse même les sociétés avancées qui passent pourtant leur temps à sonder leur nombril.
Branchée en permanence sur ce magma en fusion à travers les réseaux sociaux et la télévision, la jeunesse algérienne mute, elle aussi, à un rythme accéléré et ajuste ses représentations, ses attitudes et ses besoins. La période actuelle ressemble à celle qui a prévalu dans les années cinquante aux Etats-Unis lorsque, sous l’influence du cinéma, de la musique rock et de la littérature, les moins de trente ans avaient commencé à se distinguer des autres catégories d’âge par leur façon de s’habiller, de parler et de consommer. Et alors que le train est lancé à toute vitesse, chez nous, on demande à ce groupe de demeurer sage, d’imiter les parents ou même les ancêtres pour s’étonner ensuite qu’ils soient totalement déboussolés.
En l’absence de sondages sérieux sur les motivations qui poussent certains jeunes à la détresse et parfois à l’autodestruction, on ne connaît rien de leurs aspirations, de leurs rêves, de leurs frustrations. Même leurs questions philosophiques ou métaphysiques qui atteignent un paroxysme entre 15 et 20 ans sont considérées comme des enfantillages ou des élucubrations passagères au même titre que l’adolescence.
Livrés à eux-mêmes, à la désespérance contagieuse, ils broient du noir, se démotivent mutuellement et ne voient que des horizons bouchés. Il suffit alors, à tel ou tel obscur manoeuvrier pour embrigader leur cerveau en formation, d’une caméra, d’une connexion Internet ou à partir d’un studio télé en carton.
Ainsi, au lieu de créer pour exprimer la vie qui s’agite en eux, certains d’entre eux ne songent qu’à se jeter à la mer quitte à périr de noyade ou dans une explosion afin de rejoindre, croient-ils, le Paradis. Heureusement que la majorité d’entre eux préfère pour l’instant l’apathie, qui est une autre forme de mort, au suicide et à la destruction. Il est indéniable que, comparés à leurs congénères dans d’autres pays, les jeunes Algériens demeurent raisonnables et assez accommodants. Sauf que cette inertie ne saurait durer si une réelle prise en charge de leurs préoccupations ne se mette rapidement en place.
La jeunesse, c’est l’énergie, l’optimisme, la curiosité, l’amour du risque et de l’aventure. Lorsqu’on la confine dans des HLM dépourvues d’âmes, de lieux vivants, de bibliothèques, de cinéma, de théâtre, elle invente d’autres jeux qui peuvent lui nuire et mettre en danger son environnement. Les jeunes ont soif de modernité, de choses qui bougent, de motifs d’étonnement sinon ils s’ennuient, tournent en rond et fomentent des bêtises en guise d’amusement. Il y a une dizaine d’années, le chanteur raï, Réda Taliani, avait connu un énorme succès avec sa chanson Joséphine dans laquelle il exprimait son intention de mettre sa tête sur les rails et attendre le passage du train. Cette année, le youtuber DZ Joker a créé le buzz, comme on dit aujourd’hui, avec «Mansotich» où il déclarait son intention de boycotter toutes les élections.
En une décennie, on est passé de l’apologie du suicide à celle de l’abstention avec une égale réussite. Il faut s’interroger sur le phénomène et peut-être commencer à chercher des réponses sensées.