Aujourd’hui jeudi 16 avril 2015, le pays célèbre la Journée Nationale du Savoir, instituée en hommage au très célèbre savant Abdelhamid Ibn Badis, disparu le 16 avril 1940. Cette année nous avons choisi d’aborder la question du legs de notre illustre homme de Lettres et penseur natif de l’une des villes, vitrines du rayonnement culturel algérien ; Constantine devenue pour une année : Capitale de la culture arabe. Par ces écrits, il illumina le sentier de la Liberté du peuple algérien dont le colonialisme français avait plongé dans une noirceur révoltante.
En effet, la question du legs socioculturel et historique laissé par le savant nationaliste ressurgit avec insistance, au moment où l’émergence de l’ère numérique et de la rapidité de transmission du savoir se fait sentir, loin des traditionnelles veillées nocturnes glaciales autour du ‘’kanoun’’, le nez dans des livres plusieurs fois centenaires. Célébrer cette journée si particulière et importante n’est pas tant un menu exercice de rappel de la biographie de l’homme-institution que représente Abdelhamid Ibn Badis, mais plutôt une occasion de réflexion approfondie sur l’état général de notre patrimoine scientifique (au niveau qualitatif) et la situation de l’éducation et la conscience critique dans l’esprit des jeunes générations, appelées à reprendre « le flambeau » de cet héritage historique. Si le savoir désigne une construction mentale individuelle qui peut englober plusieurs domaines de connaissance, il y a par contre différentes manières d’acquérir ces connaissances.
Pour Littré (1877), ce terme ne s’employait qu’au singulier et était défini comme «Connaissance acquise par l’étude, par l’expérience. En général, et dans le monde occidental surtout, il est communément observé que les spécialistes font une distinction entre le savoir et croyance, mais la particularité d’Abdelhamid Ibn Badis ne faisait aucune cette séparation. El-Ilm (savoir en arabe) est indifféremment associé à toutes les sciences dites utiles y compris et surtout la science de l’Exégèse (c’est-à-dire la science du Coran et de la tradition prophétique). Instaurée depuis le 16 avril 1976, la journée du Savoir (Yaoum El-Ilm), qui correspond à la date commémorative de la mort, en 1940, du cheikh Abdelhamid Ben Badis, président de l’Association des oulémas algériens, sera célébrée aujourd’hui comme à l’accoutumée avec un florilège de manifestations liées à cette Journée nationale du Savoir. C’est également une occasion de dresser un bilan sur la situation de l’éducation en Algérie et débattre sur les progrès réalisés dans le domaine d’alphabétisation depuis l’indépendance à ce jour. Un sujet éminemment important pour la construction d’une société du Savoir pragmatique immédiatement applicable dans le monde du travail et de l’innovation. Selon l’Office national d’alphabétisation et d’enseignement pour adultes, le taux d’analphabétisme en Algérie aurait sensiblement reculé au cours des cinquante-deux dernières années, passant de 85% au lendemain de l’Indépendance à 22% en 2008, pour atteindre la barre des 18% en 2013 et 14% en 2014.
Cette baisse est le fruit des efforts soutenus déployés en matière d’alphabétisation en Algérie tant par l’État que par les instances et les associations concernées. Pour lutter contre l’analphabétisme, les pouvoirs publics ont mis en place un plan national d’alphabétisation s’étalant sur 10 ans. Cette stratégie s’inscrit dans le cadre de la décennie des Nations unies pour l’alphabétisation lancée par l’UNESCO en 2003 et qui vise à développer une prise de conscience globale de la responsabilité mutuelle que doit assurer toute nation, toute communauté et tout citoyen pour œuvrer à la concrétisation de l’un des objectifs fixés à «l’éducation pour tous», retenu par la suite comme un des Objectifs du Développement du millénaire, à savoir réduire de 50% le taux d’analphabétisme d’ici à 2016. Le savoir se présente donc généralement comme une valeur collective ; une ressource de nature immatérielle. De ce point de vue, laissant provisoirement de côté l’insaisissable dimension psychologique, cette valeur prend l’allure d’un bien et même d’un « bien économique ». On réifie donc cette réalité en la matérialisant dans le langage. On parle donc de l’acquisition du savoir, accès au savoir, appropriation des savoirs, la transmission du savoir, échanges de savoirs, partage du savoir, circulation du savoir, et enfin la gestion du savoir (GS), maîtrise des savoirs, valorisation des savoirs.
Abdelhamid Ibn Badis est issu de la fameuse Association des Oulémas musulmans algériens fondée dans les année 1930 avec d’autres oulémas réformistes algériens qui ont été à l’origine de la fondation, dans les années 1930 en Algérie, ont tous été majoritairement formés à l’Université Zaytouna de Tunis. De ce point de vue, les savants nationaux partagent avec les oulémas tunisiens, non seulement les mêmes profils de formation religieuse mais, sont également influencés par les mêmes idées de réforme religieuse et culturelle de la Nahda arabo-musulmane qui parvinrent très tôt en Tunisie. Cette journée fêtée le 16 Avril de chaque année par les intellectuels et les étudiants, nous rappelle les efforts fournis par les exégètes et militants algériens d’avant-guerre qui s’étaient démenés pour rebâtir ce que le colonialisme français avait détruit après qu’il se fut installé dans les différentes régions d’Algérie et qu’il usa de son travail de sape pour extraire culture et savoir et faire table rase de tous les enseignements ancestraux reçus. D’après des orientalistes de l’époque tels que Louis Bertrand, Massignon envoyés comme missionnaires « avaient pour tâche de semer le trouble dans les esprits en faisant croire à ceux qui voulaient les lire et les entendre que les écrits religieux c’est-à-dire le Saint Coran étaient mal interprété.
Les principaux objectifs de l’association selon une recherche académique ; « Le mouvement d’éducation de l’Association des Oulémas Musulmans Algériens, et de son chef de file Ibn Bâdîs en particulier, s’est caractérisé dans les années 1930 par le développement d’écoles enseignant les sciences religieuses associées aux sciences profanes élémentaires.
La défense de l’enseignement de la langue arabe et de l’Islam en contexte colonial a donné une dimension éminemment politique à l’action des Oulémas, qui arrive à son paroxysme en 1938 lorsque le gouvernement français promulgue un décret visant les écoles coraniques en Algérie, décret contre lequel Ibn Bâdîs a organisé la lutte. S’il sert la diffusion des conceptions religieuses de l’Association des Oulémas (l’iṣlâḥ), c’est aussi dans le but de fédérer les musulmans algériens par une culture commune qu’est pensé l’enseignement d’Ibn Bâdîs, dans un sens large allant de la madrasa au nâdî (le cercle) et de la troupe théâtrale au club sportif ». Les premiers fonds de l’Association des oulémas algériens lui vinrent d’un riche commerçant d’Alger. Elle s’était donné pour objectif de faire revivre en Algérie la culture arabe et musulmane. Son action s’est exercée, dans les milieux lettrés, par la publication d’un mensuel, Al-Shihāb, plus tard remplacé par un hebdomadaire, Al-Baā’ir ; elle a atteint les milieux populaires par des sortes de prédications en plein air, et les jeunes par la création d’écoles et de clubs privés.
La personnalité de Ben Badis domine, et de loin, celle de ses compagnons. Il s’était réservé le Constantinois, qu’il parcourait en prononçant des discours improvisés, mi-religieux, mi-nationalistes, dans les marchés et autres lieux de réunion. En règle générale, les autorités ne sont pas intervenues, peut-être en raison du caractère spontané de telles « prédications ». Après la mort de Ben Badis, en 1940, l’Association a été dirigée par le cheikh Bachir Ibrahimi : l’hebdomadaire Al-Baṣā’ir parut jusqu’en 1955. C’est dans cet organe qu’étaient publiés tous les manifestes de l’Association. Selon les époques et les cultures, la conservation du savoir et la transmission des connaissances s’appuient sur la communication orale et l’expression écrite. Des « entrepôts du savoir » sont créés et entretenus comme mémoire collective : bibliothèque, centres de documentation, etc. Dans une certaine mesure, le savoir se transmet de manière informelle par la communication entre pairs ou interaction entre membres de statuts comparables.
Justement, ces entrepôts du savoir peuvent constituer en partie le legs d’Abdelhamid Ibn Badis, qui reste toujours vivant à travers les manuscrits jalousement conservés dans les différentes bibliothèques des universités des sciences islamiques Émir-Abdelkader de Constantine et autres, représentent bien plus qu’un témoignage sur le savoir acquis par les aïeux, ils résument la mémoire de toute une nation. Patrimoine unique, représentant l’expression même de l’âme algérienne, ses différences et sa nature profonde, ces trésors sont chargés d’histoire et de savoir, et constituent aussi un reflet de la résistance d’un peuple que l’on voulut, en vain, asservir. En plus du devoir de préserver ces trésors inestimables des outrages du temps, il faudra nécessairement étudier et redécouvrir l’héritage culturel et l’œuvre toute entière de l’illustre réformiste en y consacrant des travaux de recherches afin de les élever au rang qu’elles méritent.
AZZI S. Mohsen