«Lors de la Supercoupe 1994, il avait supporté l’USC plutôt que la JSK» «Il était nationaliste au point où nous nous sommes disputés avec des Tunisiens pour défendre l’Algérie»
Abdelmadjid Yahi, le président de l’US Chaouia, parle dans cet entretien de ses relations avec Matoub Lounès, symbole de la chanson kabyle. Il nous apprend que le défunt avait un penchant pour l’USC et qu’il n’avait pas hésité une seconde à l’aider financièrement à l’occasion de la Supercoupe face à la JSK en 1994.
On sait que vous aviez des rapports très étroits avec le défunt Matoub Lounès. Pouvez-vous nous en dire plus sur vos relations ?
C’est avec une immense joie que je parle de ce grand artiste. C’était plus qu’un ami, c’était un frère. Il a toujours défendu les valeurs amazighes. C’est un artiste qui a beaucoup de considération pour les gens qui ne renient pas leurs origines.
Quand l’aviez-vous rencontré pour la première fois ?
C’était en 1994. J’avais recruté trois joueurs de la JSK : Mourad Karouf, Lyès Izri et Karim Doudane. Il était leur ami. Souvent, il se déplaçait avec eux à Oum El Bouaghi. C’est ainsi que je l’ai connu. Au fil de nos rencontres, j’ai découvert un homme de grande valeur.
Quelle image gardez-vous de lui ?
Tout d’abord, il avait beaucoup d’estime pour moi, surtout que j’étais un des fondateurs de l’US Chaouia, qui était pour lui un symbole de lutte pour la revendication de tamazight. Le but de Matoub Lounès était de consolider les rapports entre les dirigeants de la JSK et de l’USC. Il faisait le maximum pour que les relations entre les deux clubs soient excellentes.
Comment était la relation entre Matoub et les joueurs de l’US Chaouia ?
La relation était très conviviale. Il aimait les joueurs et leur parlait très souvent. Il suivait nos matchs avec une attention particulièrement. Il se déplaçait avec nous un peu partout, surtout lors de nos stages de préparation à l’étranger. Il s’adressait aux joueurs en chaoui et leur inculquait beaucoup de choses importantes, comme les valeurs ancestrales et l’identité nationale. Sans régionalisme aucun, il venait en aide aux joueurs qui parlaient le chaoui. Il respectait beaucoup tout ce qui est amazigh et algérien. Il donnait même des primes aux joueurs afin de les motiver pour certains matchs.
Il suivait donc avec attention les matchs de l’US Chaouia ?
Oui, il en était un fervent supporter et, comme je vous l’ai dit, il lui arrivait de se déplacer avec nous pour suivre certaines rencontres. Une anecdote : en 1994, lors de la Supercoupe face à la JSK, il avait supporté l’USC au lieu de la JSK, qu’il aimait tout autant. C’est une personne pour laquelle j’ai beaucoup de considération. De par ses actes, il impose le respect.
D’après vous, pourquoi avait-il autant de considération pour votre club ?
Il n’y a pas de secret à cela. Matoub avait une forte personnalité et des valeurs qu’il défendait avec ferveur. Il a vu qu’à l’USC, on défendait les valeurs de la région et ses traditions. Il a dépensé de l’argent pour apporter son soutien au Mouvement culturel berbère, le MCB. A Oum El Bouaghi, il était adulé.
On dit qu’il avait aidé matériellement le club juste pour pouvoir mettre sur son maillot le slogan du MCB. Est-ce vrai ?
Non, c’est faux ! Certes, il défendait la cause berbère, mais je vous assure qu’il était un grand nationaliste et un amoureux de l’Algérie. Ce qui s’était passé en Tunisie en est la meilleure preuve.
Racontez-nous…
Une fois, nous étions tous deux en Tunisie. Je m’étais chamaillé avec des Tunisiens qui s’étaient moqués de nous parce que nous étions Algériens. Matoub n’avait pas hésité une seconde à intervenir et avait failli en venir aux mains avec eux. Il leur avait dit qu’il ne faut jamais se moquer des Algériens ou de l’Algérie.
Avait-il organisé une fête en l’honneur de l’USC ?
Non, malheureusement.
A une certaine époque, vos relations avec Hannachi étaient froides. Quelle avait été la réaction de Matoub ?
C’est vrai que les relations entre Hannachi et moi avaient refroidi à une certaine période.Matoub n’était pas content de nous voir agir ainsi. Il voulait que nous nous réconcilions et, surtout, que les deux clubs s’unissent. El Hamdoulilah, mon problème avec Hannachi était purement sportif et, depuis, nous avons tout oublié. A présent, nous sommes très proches.
Quelle avait été la réaction de Matoub lorsque la JSK avait refusé d’effectuer le déplacement au stade de Oum El Bouaghi en évoquant un problème d’insécurité ?
A cette époque, la JSK avait refusé de se déplacer au stade sous prétexte qu’elle ne se sentait pas en sécurité à cause de ce qu’elle aurait vécu comme intimidation à l’hôtel. Matoub était contre cette idée. Ça ne lui avait pas plu du tout. Il ne voulait pas que les relations entre les deux clubs se détériorent et que cela profite à d’autres.
Matoub est connu pour ses positions, ce qui lui a valu des attaques terroristes. Lui avez-vous rendu visite lorsqu’il a été blessé la première fois ?
Bien sûr ! On se rencontrait souvent à Alger avant qu’il ne soit kidnappé. Notre relation était forte et sans calculs. C’était donc de mon devoir de lui rendre visite à l’hôpital lorsqu’il était blessé. Tout ce qui touchait Matoub me touchait.
Comment avez-vous reçu la nouvelle de son assassinat ?
Sincèrement, je me rappelle encore de cette pénible journée. C’était vraiment très dur pour moi d’apprendre la nouvelle. Je n’ai pas voulu croire au début, avant que cela ne se confirme à travers les médias. J’étais choqué, à l’instar de toute la population de Oum El Bouaghi. Le défunt était très apprécié dans toute la région, notamment par les supporteurs de l’US Chaouia, parce qu’il était aussi un fan du club. Toute la ville était triste et je me suis même déplacé dans son village natal pour assister à son enterrement. Que voulez-vous que je vous dise ? Allah yerrahmou ! D’ailleurs, après sa mort, je me suis rendu plusieurs fois à Béni Douala. Je ne peux pas oublier cette personnalité qui restera gravée à jamais dans ma tête. Matoub était quelqu’un d’exceptionnel, très attachant. C’est une vraie perte pour notre pays.
Continuez-vous d’écouter ses chansons ?
Naturellement. J’aime beaucoup ses chansons qui traitent de tous les sujets. J’avais un ami, Rabah Guettaf, originaire de Kabylie. A chaque fois, il me ramenait de nouvelles cassettes du défunt. On écoutait ses chansons en voiture. Depuis qu’il nous a quittés, je ne les écoute plus car, à chaque fois que je le fais, je ne peux retenir mes larmes. J’ai du mal à accepter sa disparition.
Quelle est la chanson que vous préférez ?
Comme je viens de le dire, Matoub Lounès a une collection de belles chansons, mais celle qui me touche le plus est Aghurru.
Un dernier mot pour clore cet entretien ?
Je veux rendre hommage à ce grand homme qu’est Matoub Lounès. Puisse Dieu l’accueillir en Son Vaste Paradis. Contrairement à ce que peuvent penser certaines gens, Matoub est un brave type, avec un grand cœur. Il aimait tout ce qui est amazigh, qu’il soit kabyle, chaoui ou autre. Un vrai homme. Dhargaz ! Nombreux sont ceux qui pensent qu’il a tenté de diviser le pays et qu’il roulait pour la France. Je tiens à apporter un démenti formel. C’était un nationaliste hors pair. Il était fier d’être Algérien et son amour pour l’Algérie n’avait pas de limites.