Houria Moula
L’arrestation de Saïd Bouteflika, frère cadet de l’ancien président démissionnaire Abdelaziz Bouteflika, et des deux généraux Mohamed Mediene, dit Toufik, et Athmane Tartag, alias Bachir, respectivement ancien patron du Département du renseignement et de la sécurité (DRS) et ex-directeur de la Direction des services de sécurité (DSS), samedi, a eu l’effet d’un véritable tremblement sur la scène nationale.
Personne, en effet, n’avait imaginé que deux anciens chefs des puissants services secrets algériens allaient se présenter devant un juge militaire pour répondre de l’accusation de « complot contre l’Armée » et « contre la sûreté de l’Etat ». Personne n’avait songé que le frère cadet du chef de l’Etat déchu pouvait être trainé devant un tribunal et voir sa tête mise à prix fort. Et même si une telle hypothèse avait pu circuler un moment, elle a été vite éclipsée par celle qui a consisté à faire accroire que l’ancien président de la République, M. Bouteflika, ne pouvait pas quitter la scène politique sans un « deal » pour protéger ses flancs et ceux de ses proches…
Maintenant qu’on est plus à ce genre de considérations, balayées en moins de quarante-huit heures par un emballement sans précédent des évènements politiques intenses que l’Algérie connaît depuis onze semaines au moins, d’autres spéculations émergent à la surface avec une insistance proportionnelle à la puissance de diffusion et de « partage » des réseaux sociaux, sur Facebook, la mise sous mandat de dépôt des trois personnalités par la justice militaire est interprétée par beaucoup d’internautes comme une « réponse » au mouvement populaire pour le changement qui réclame depuis le 22 février 2019 les têtes des responsables qui ont conduit l’Algérie à la situation peu réjouissante dans laquelle elle se trouve.
Le journal gouvernemental « El Moudjahid », lui-même, estimait hier que l’arrestation de Saïd Bouteflika et des généraux Tartag et Toufik sont une réponse du chef d’état-major de l’ANP Ahmed Gaïd Salah, l’homme fort du moment, « à la demande de plus en plus pressante du mouvement populaire, formulée dans les marches pacifiques chaque vendredi au niveau national ». Mais ce qu’affirme El Moudjahid est cependant fortement discuté sur les réseaux sociaux et il se trouve que les pages de Facebook et autres véhiculent aussi – et plus massivement sans doute – une opinion très sceptique et qui doute que la justice se fasse sans les arrières pensées politiques et sans un œil très perçant sur ce qui se déroule dans la rue et au sein du Hirak.
Pour cette opinion, le mouvement populaire pour le changement n’est pas dupe. Il ne renoncera pas à son appel pour une nouvelle République parce que trois personnalités, parmi celles qui faisaient la pluie et le beau temps durant l’ère Bouteflika, sont mises sous mandat de dépôt et risquent de lourdes peines de prison si elles sont condamnées. Son argument réside dans le fait de recenser toutes les initiatives prévues durant ce mois de jeûne et toutes les actions annoncées pour éviter toute rupture préjudiciable à la dynamique qu’il a mise en place pour que le pays change de logiciel de gouvernance.
Le Hirak plus que jamais mis à l’épreuve
En effet, tout se passe comme si toutes les mythologies de cette ère bouteflikienne aujourd’hui dépassée – et qui, pour certaines, faisaient trembler beaucoup de monde – étaient balayées par l’Histoire et que les situations qui les mettent aujourd’hui en scène – à l’occasion précisément de l’emballement judiciaire auquel on assiste actuellement dans le militaire comme dans le civil – se trouvent lourdement démonétisées et sans valeur devant l’essentiel qui reste la demande du grand changement et l’avènement de pratiques du pouvoir synonymes de la modernité à laquelle aspirent les millions d’Algériens qui manifestent chaque vendredi pour que leur pays devienne meilleur et conforme aux ambitions des pères fondateurs.
Les Algériens vont continuer à manifester donc et la preuve a été donnée hier par les étudiants qui sont sortis dans la capitale pour réitérer les mêmes demandes démocratiques, en dépit de l’interdiction imposée par les forces de l’ordre déployées aux alentours de la Grande-Poste. Le mot d’ordre est toujours le même : le départ du système et de ses symboles, notamment les 2 B restants, pour laisser place à une période de transition que le peuple confiera à des personnalités intègres non impliquées dans l’ancien système, dans l’objectif final d’organiser une élection présidentielle crédible.
Pour autant, l’affaire n’est pas conclue. Quoi qu’on en dise, le contexte est au rapport de force et à la confrontation entre deux visions de sortie de la crise dans laquelle nous sommes. Quoi qu’on en dise, ramadhan, parce que ce n’est pas un mois comme les autres, sera la séquence qui mettra réellement à l’épreuve l’endurance du mouvement populaire pour le changement. C’est durant cette séquence, aussi, que les intentions du pouvoir en place se préciseront et se déclineront davantage sur un terrain marqué, rappelons-le, par la balise de l’élection du 4 juillet qu’il a installée comme seuil à ne pas dépasser.
Dans l’esprit de ce même pouvoir, cette balise pourrait être déplacée, il n’est pas question, pour l’instant de la remplacer par une autre. A moins d’un bouleversement d’ampleur, il fera tout pour en faire le centre de gravité de toutes les évolutions possibles ou probables. Pour l’avoir compris, l’ancien leader du RCD a indiqué hier dans un texte de forte tonalité que « outre l’indispensable poursuite de la lutte qu’il faudra adapter à la conjoncture immédiate, les veillées du Ramadhan peuvent être mises à profit pour débattre des modes d’organisation et des agendas de la période de transition ».
« Il est impératif que tout un chacun saisisse qu’au-delà des spasmes qui agitent le sérail, c’est dans cette phase que se décidera le destin algérien. C’est là qu’il faudra mobiliser l’ensemble du potentiel moral, intellectuel et politique du pays car tout le reste en dépend et en découle. Si le plus dur, en l’occurrence le dépassement de la peur, est acquis ; le plus délicat, c’est- à-dire le plus important, est devant nous », a conclu Saïd Sadi.