Karim Younès, ancien président de l’APN et écrivain, au Temps d’Algérie : «Je crains le blocage et la violence»

Karim Younès, ancien président de l’APN et écrivain, au Temps d’Algérie : «Je crains le blocage et la violence»

A l’écart de la chose politique depuis des années, Karim Younès, ancien président de l’APN, a bien voulu nous donner ses points de vue sur la situation politique actuelle. Il estime que nous sommes face à une situation qui fait craindre le blocage et la violence. Il soutient que pour redonner confiance au peuple, il faudrait assurer la crédibilité des institutions à travers l’instauration de nouveaux mécanismes de gouvernance du pays.

Il plaide pour une clarification de la question identitaire qui nous permettra de renforcer notre unité et d’avancer collectivement vers un avenir commun. Il s’exprime également sur l’initiative du FLN et la transition démocratique réclamée par la CLTD. Il appelle le régime en place à mettre en évidence son attachement à la démocratie par une pratique réelle de celle-ci.

Le Temps d’Algérie : Depuis plusieurs années, vous vous consacrez à l’écriture des livres sur l’Histoire du pays. Pourquoi un tel choix ?

Karim Younès : Le moment de l’écriture est venu parce que j’ai ressenti le besoin de m’exprimer sur certains sujets liés aux problématiques actuelles au niveau national, régional et international, au moment où une nouvelle carte géopolitique est imposée par l’Occident qui vise à spolier les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord de leurs ressources aussi bien naturelles qu’humaines.

Sans avoir la prétention de faire œuvre d’historien, je m’investis dans l’écriture de l’Histoire de notre pays en allant au-delà de l’histoire officielle pour mettre à jour des pans entiers de notre passé de grande importance et méconnus. Une passion citoyenne m’anime pour rappeler que notre existence au sein de l’Humanité, loin d’être usurpée, est riche de souvenirs marquants qui justifient notre fierté, inspirent le respect et appellent les dirigeants d’aujourd’hui à plus d’humilité et surtout à suivre l’exemple de nos ancêtres. Nous sommes les héritiers de cette histoire tourmentée, riche et prestigieuse, parfois sanglante, souvent héroïque. Il fallait en parler, j’ai ressenti le besoin de le faire.

En creusant dans «l’Histoire des Berbères», véhiculez-vous une revendication politique relative à la question identitaire ?

L’histoire elle-même ne peut échapper à la politique. Ce qui est à retenir aujourd’hui n’est pas de savoir si on est des Berbères ou non, car c’est d’une évidence que personne ne conteste. En remontant aux époques Numides, vous ne pouvez pas vous imaginer le nombre et la qualité des enseignements que l’on peut tirer sur le fonctionnement de «l’Algérien» durant cette phase.

Notre cohabitation avec les puissances voisines, phénicienne et romaine, est une chose intéressante à méditer. De même que nos degrés d’autonomie vis-à-vis de la puissance étrangère, le fonctionnement des institutions de l’époque et les modes de transmission des pouvoirs sont des éléments qui nous rejaillissent à la figure aujourd’hui même.

Pour revenir au cœur de votre question, oui, je suis toujours pour une clarification de la question identitaire qui nous permettra de renforcer notre unité et d’avancer collectivement vers un avenir commun, mais je suis aussi pour une diffusion large de notre passé dans toutes les couches de la société.

Des pays récemment constitués comme les Etats-Unis enseignent leur histoire dans toutes les filières universitaires, même dans les spécialités de pointe. Donc je suis pour que la question identitaire et tous les thèmes touchant à notre histoire, à notre passé récent et notamment notre glorieuse guerre de Libération, aussi délicats soient-ils, soient mis en évidence.

Et si on vous demandait de faire une lecture de la situation politique nationale. Quel sont votre constat et votre analyse?

Je dois d’abord vous rappeler que j’ai pris mes distances avec «la chose» politique et me consacre désormais à l’écriture qui est devenue pour moi un cadre d’expression inépuisable. Ceci dit, les choses sont dans une situation qui fait craindre le blocage et la violence. J’ai toujours dit que nos maux sont multidimensionnels mais leur solution est avant tout politique. L’adhésion à une vision politique devrait être notre élément commun. Pour redonner confiance à notre population, il faudra assurer la crédibilité des institutions et cela passera nécessairement par l’instauration de nouveaux mécanismes de gouvernance du pays.

Karim Younès était un cadre de la nation. Aujourd’hui, tout le monde s’accorde à dire que l’Algérie est en pleine crise. Seriez-vous prêt à assumer une responsabilité politique ?

Faire de la politique, ce n’est pas seulement occuper des postes de responsabilité mais aussi et surtout ouvrir un regard lucide et objectif sur la société. J’écoute et j’entends aussi la nouvelle génération qui arrive et qui a des atouts majeurs entre les mains : enthousiasme, ouverture sur le monde, pratique des nouvelles technologies. Je vois en elle notre futur et la capacité de défendre nos intérêts dans un environnement mondialisé. A ce titre, nous devons éviter la gérontocratie à tout prix et faire une place à nos jeunes dans nos structures sociales et politiques pour un apprentissage de la gestion publique.

Pour ma part, cultivant un esprit libre, libéré des carcans organiques, j’apporterai mon concours à toutes les causes qui s’inspirent de l’écoute de nos citoyens. Je crois que c’est la meilleure responsabilité qu’on doit avoir vis-à- vis de son pays. Je suis dans cet état d’esprit. Autre chose : n’est-il pas plus urgent de considérer les enjeux et défis du siècle pour appréhender les risques encourus par une déflagration généralisée qui redessinerait la carte du monde au détriment des vaincus, des peuples d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient, qui englobent l’Algérie, notre pays ? Il y va de la stratégie de survie.

Comment appréciez-vous le projet du FLN de constituer un front de soutien au programme du chef de l’Etat ?

Avant d’appeler nos citoyens à épouser des causes, il faut agir avec plus de transparence à leur égard et leur dévoiler en toute clarté le contenu de ces causes. L’unité est un bon principe en lui-même mais s’unir juste pour s’unir n’est ni sain ni productif. Dans ce cas, on ne nous appelle pas à l’unité mais à la pensée unique, un concept qui a détruit la réflexion et empêche d’évoluer et de progresser. De nos jours, le monde entier connaît la limite et la vanité de ces comportements anachroniques.

La réponse politique est dans l’investissement total dans la mouvance nouvelle, débarrassée des scories conjoncturelles, bien ancrée dans l’évolution du temps, porteurs d’indices réels de changements pour constituer le moteur de la construction de la société de demain. J’ajoute que pour trouver les meilleures solutions pour une vie paisible dans une société en ébullition, seul un réel projet démocratique, ancré dans les mœurs politiques d’une pensée de la démocratie peut apporter une réponse qui constituerait une véritable alternative au modèle en fin d’étape pour entrer dans celle du siècle qui court. On ne peut faire l’économie de ce postulat de base. Il est plus que nécessaire d’orienter les lignes de forces qui traversent la société vers un projet politique alternatif des forces sociales.

La CLTD appelle à une transition démocratique. Quel est votre avis sur cette question ?

La CLTD, rassemblement de partis et autres personnalités, a le droit d’introduire des propositions ou autres revendications en tant qu’opposition au pouvoir en place ; ce dernier l’entendra comme il lui sied en fonction de sa stratégie de sauvegarde de son hégémonie. Il demeure toutefois nécessaire d’accorder un examen de ces revendications. Sans écoute des voix de l’opposition, nous ne pourrons prétendre vouloir instaurer les germes d’une démocratie. Le régime en place doit mettre en évidence son attachement à la démocratie par une pratique réelle de celle-ci. Sans cela, il est inutile de lancer des appels à l’union sacrée autour de la république.

Dans mes précédentes réponses, je vous ai fait part de la nécessité d’instaurer de nouveaux mécanismes de gouvernance. Et bien que je sois hors du champ de bataille, je ne peux que souhaiter un échange d’intérêt pour la stabilité du pays et le bien-être des citoyens…

Je me retrouve donc dans toutes les nouvelles idées responsables et réalistes pour renforcer l’ordre démocratique et protéger le pays de dérives dont on n’a nullement besoin.

Partagez-vous l’avis de ceux qui évoquent la «vacance du pouvoir» et appellent à une présidentielle anticipée ?

Le spectacle actuel ne me convainc pas et me rebute encore plus qu’il ne m’attire.

Entretien réalisé par

Karim Aïmeur