Liberté : Vous avez constitué un panel de médiation avec d’autres personnalités. Pouvez-vous nous en parler ?
Karim Younes : Le panel est une initiative de la société civile, à travers le Forum civil pour le changement. Il se compose de personnalités indépendantes, engagées dans le seul souci de contribuer, par la médiation et le dialogue, à obtenir un consensus pour une solution de sortie de crise.
Le fait que ce panel se soit auto-installé, comme vous le déclarez, ne risque-t-il pas d’être vu comme une offre de service au pouvoir ?
Je ne suis pas gêné par cette suspicion d’offre de service, lorsqu’il s’agit de contribuer, de façon désintéressée, à faire sortir notre pays de cette impasse politique, dont la durée risque d’aggraver la situation économique et ses répercussions sociales sur la population.
Vendredi, soit au lendemain de votre rencontre avec le président Abdelkader Bensalah, la rue a exprimé son rejet catégorique de votre initiative. Maintiendrez-vous tout de même votre initiative ?
Le hirak rejette toute initiative soupçonnée d’être pilotée par le pouvoir. Notre panel est totalement autonome et s’engage à mener le processus de médiation et de dialogue, tout en respectant les revendications légitimes du mouvement citoyen. Abandonner la mission n’est pas responsable, bien qu’elle soit plus aisée pour nous car elle nous exposerait moins aux critiques. Nous attendons les réponses du pouvoir aux préalables exigés pour entamer sérieusement et sereinement notre travail et nous permettre de regagner la confiance de nos citoyens qui souhaiteraient retrouver la stabilité de nos institutions.
Par ailleurs, les personnalités, en l’occurrence Nacer Djabi, Saïd Salhi, Lyès Merabet et Islam Benattia, qui, selon eux, devaient, initialement, faire partie du panel, vous accusent carrément de trahison. Quelle est votre réponse ?
Ce n’est pas moi qui ai composé le panel, même si j’ai fait quelques propositions de noms. Je rappelle que l’initiative et la coordination du processus de concertation ont été menées par le Forum civil pour le changement sous la conduite d’Abderrahmane Arar qui a soumis la liste à l’approbation des parties de la société civile concernées par cette mission en gestation.
Dans un post sur votre compte Facebook, vous avez laissé entendre que Bensalah aurait accueilli favorablement quasiment l’ensemble de vos propositions, excepté votre appel au départ du gouvernement Bedoui et son remplacement par un gouvernement de consensus. Pouvez-vous nous en dire davantage sur le contenu de cette rencontre ?
Nous avons été reçus, à sa demande, par le chef de l’État, Abdelkader Bensalah, avec lequel nous avons eu un débat franc, basé sur la nécessité de respecter les revendications du hirak. Le chef de l’État a manifesté sa disponibilité à prendre en charge ces revendications et à leur trouver des solutions dans les plus brefs délais. Concernant le gouvernement, dont nous avons demandé le changement, le chef de l’État a saisi cette revendication du hirak et a promis de l’étudier conformément aux exigences constitutionnelles.
Mais le mouvement du 22 février pose comme préalable essentiel le départ des “2B”, en l’occurrence Bensalah et Bedoui. Comment comptez-vous le convaincre d’autant plus qu’il ne vous a pas mandaté à le représenter ?
Les revendications du hirak ont été soumises et défendues auprès du chef de l’État. L’engagement est pris de leur trouver les solutions nécessaires, tout en veillant à la stabilité des institutions de l’État, afin d’engager le processus de changement souhaité, dans un cadre serein et responsable.
Pour le panel, la solution passe inévitablement par l’organisation de l’élection présidentielle. Soit la même option défendue par le pouvoir. Or, le mouvement du 22 février se déclare foncièrement opposé à l’organisation d’une élection présidentielle sous le contrôle des représentants du pouvoir. Comment comptez-vous convaincre sur cette question ?
L’élection présidentielle est souhaitable pour doter notre pays d’un pouvoir légitime, en mesure de faire face aux exigences économiques et diplomatiques. Le pouvoir en place s’est engagé à ne contribuer à cette élection, qu’à travers l’apport matériel et logistique. La préparation, l’organisation et le contrôle du scrutin seront du ressort de la commission spécialisée issue de la conférence nationale que le
panel est chargé de préparer.
Pour avoir déjà organisé sa campagne en 2004, des observateurs vous soupçonnent de travailler en faveur de la candidature éventuelle d’Ali Benflis…
En 2004, j’avais pris mes responsabilités de soutenir la candidature d’Ali Benflis contre celle de Bouteflika, et je ne le regrette pas. Libre à ceux qui me feraient aujourd’hui le reproche de considérer ce choix comme une faute politique. Aujourd’hui, je suis dans une équipe chargée de mener la médiation et le dialogue pour une préparation sereine du prochain scrutin présidentiel. Notre mission n’est pas de faire campagne pour un candidat ou un autre.