Après le départ du président de la République, qui a inauguré la manifestation au chapiteau blanc à l’esplanade du complexe sportif du 5 Juillet à Alger, la ministre de la Culture avait le visage déformé par la colère. Aux questions des nombreux journalistes, elle répondait d’un ton inhabituel. Elle n’arrêtait pas d’évoquer « la solitude » de la ministre de la Culture. « Je ne suis pas en colère, je suis triste », a-t-elle lancé.
L’interrogation relative à la censure qui frappe le roman de Mehdi El Djezaïri, Poutakhine, Journal presque intime d’un naufragé, paru à compte d’auteur début octobre, était inévitable. Il fallait courir dans les travées du chapiteau surchauffé qui abrite le SILA pour arracher un début de réponse à Khalida Toumi sur cette drôle d’affaire. « Je ne parle que des livres, pas de choses qui s’appellent livre », a-t-elle répondu, en continuant de marcher et sans citer le titre interdit. Plus tard, avant de quitter les lieux, la même question lui a été posée de nouveau. La ministre de la Culture a montré du doigt une chaise : « Ce que vous voyez là n’est pas un livre, non ? » Approché par les journalistes, Yazid Zerhouni, ministre de l’Intérieur, a refusé de répondre à la question relative à la censure du livre de Mehdi El Djezaïri. « Posez la question à la ministre de la Culture », a-t-il répondu. Rappel lui a été fait que les policiers de la BRI, qui ont procédé à la saisie de l’ouvrage et à l’interrogatoire des libraires sur « l’identité » des acheteurs, relèvent de la DGSN qui, elle, est sous la tutelle du ministère de l’Intérieur. Même réplique de Yazid Zerhouni. L’ex-haut officier des services secrets restait imperturbable.
« La police ne dépend pas de Khalida Toumi »
Khalida Toumi a été interpellée sur la saisie du livre. « Je ne suis pas ministre de l’Intérieur. La police ne dépend pas de Khalida Toumi », a-t-elle lancé. Le livre de Mehdi El Djezaïri devait être exposé au SILA, sur le stand C 128 loué par Abassa Com, l’entreprise de communication de l’auteur. Hier en fin de journée, aucun livre n’était déposé au niveau du stand. La pancarte a été enlevée. Dans des précisions publiées hier par El Watan, Mehdi El Djezaïri a lancé le défi de trouver « un seul mot d’insulte dans les 432 pages du livre ». « Sauf à considérer que poser une question à son Président est en soi une insulte. La question que j’ai posée en exergue : “Où étiez-vous Monsieur le président quand l’Algérie saignait et pleurait ses enfants ?” a été régulièrement posée depuis 1999 », a-t-il écrit. « Il n’y a pas de censure au Salon du livre. Au salon d’Alger comme aux salons de Tunis, de Casablanca ou de Paris, il existe un décret qui précise les raisons qui font qu’un livre ne soit pas diffusé », a indiqué Khalida Toumi, faisant référence au décret exécutif n°03-278 du 23 août 2003 fixant le cadre réglementaire de diffusion de livres et ouvrages en Algérie. L’article 10 de ce texte stipule : « Sont interdites, sur le territoire national, l’introduction et la diffusion de livres et ouvrages édités sur quelque support que ce soit et dont le contenu se caractérise par l’apologie du terrorisme, du crime et du racisme ; l’atteinte à l’identité nationale dans sa triple dimension ; l’atteinte à l’unité nationale, à l’intégrité territoriale et à la sécurité nationale ; l’atteinte à la morale et aux bonnes mœurs ; la falsification du Saint Coran et l’offense à Dieu et aux prophètes. » L’article 11 indique que les mêmes interdictions citées à l’article 10 sont applicables aux livres et ouvrages sous tous supports édités et diffusés en Algérie. La ministre de la Culture a rappelé que les œuvres du philosophe français Roger Garaudy sont interdites en France. « Ils disent qu’il est révisionniste. Nos révisionnistes à nous ne peuvent pas accéder au Salon du livre. A chacun, ses révisionnistes », a-t-elle affirmé. Les Mythes fondateurs de la politique israélienne, de Roger Garaudy, a été qualifié de négationniste en Europe. L’auteur a été poursuivi en justice pour « contestation de crime contre l’humanité et diffamation publique raciale ». Selon la ministre de la Culture, les décisions relatives au contrôle des livres à exposer au Salon ne sont pas arbitraires. « Tout est bien réglementé. Les éditeurs sont avertis. Ils ne sont pas choqués », a-t-elle observé. Revenant sur la polémique qui a précédé l’ouverture du SILA, Khalida Toumi dit être étonnée par le débat sur le coût du Salon. « Jusqu’à la treizième édition du SILA, je n’ai pas entendu des interrogations de ce genre. Aujourd’hui qu’on pose la question, j’ai envie de rire. Vous savez qu’il y a plus de transparence… », a-t-elle soutenu, disant être entourée de gens qui ne savent pas ce que c’est un Salon du livre.
« Le seul pays où il y a une rentrée littéraire, c’est la France »
« Dans tous les salons du monde, le débat porte sur le nombre de livres vendus et de droits achetés. Qui a posé ce problème à Alger ? J’aime trop mon pays pour qu’il se donne en spectacle parce qu’il y a des gens qui n’ont rien à voir avec le livre et qui écrivent dessus », a-t-elle déclaré. Elle a invité la presse à lire les bilans des Foires de Frankfurt et du Salon de Paris. « Il s’agit de bilans de droits sur les titres vendus. Au lieu que le débat soit sur cela, il est délocalisé vers autre chose qui, d’ailleurs, m’échappe », a-t-elle ajouté, avant d’enchaîner : « Mesurez-vous la responsabilité d’écrire sur le livre. Trouvez-moi un article où l’on a posé la question centrale d’un salon du livre, celle de l’échange de droits. Qui a acheté quoi, à qui, combien ? Il y a des gens incultes qui décident d’écrire et de parler. Certains ont même parlé de rentrées littéraires. Il faut avoir honte et se taire. Le seul pays où il y a une rentrée littéraire c’est la France. » Elle a confié, sans trop de détails, qu’il existe « un lobby » d’importateurs de livres. Selon elle, l’Algérie doit cesser d’importer des livres. Citant l’exemple de Larousse, elle a estimé qu’il serait bien que ce dictionnaire soit fabriqué en Algérie.
Elle a plaidé pour une véritable industrie du livre qui pourrait créer des postes d’emploi pour les jeunes. Elle a souligné que des mesures fiscales ont été retenues dans le projet de loi de finances 2010 pour relancer la chaîne de fabrication du livre et pour la production cinématographique. « Notre intérêt est que le livre se développe en tant que produit culturel. Il faut sortir de l’opacité », a-t-elle relevé. Elle a regretté que les droits des grands auteurs algériens tels que Kateb Yacine, Mohamed Dib et Tewfik El Madani soient détenus par des maisons d’édition étrangères. Ces éditions imposent, selon elle, l’achat des livres fabriqués. « Des livres qui coûtent plus cher », a-t-elle noté. D’après elle, le Centre national du livre (CNL) sera bientôt installé avec la nomination d’un directeur. « Le CNL sera l’instrument de mise en œuvre de la politique du livre. On s’est inspiré des meilleurs exemples dans le monde », a-t-elle noté. Elle a qualifié la décision de transférer l’organisation du SILA de l’ANEP au ministère de la Culture de salutaire. « Si l’ANEP a organisé le Salon, c’est qu’on lui a demandé de le faire. En tant qu’entreprise publique, elle n’avait pas le choix », a-t-elle soutenu.
Par Fayçal Métaoui