Retransmis en direct par la télévision nationale, l’évènement avait clairement valeur non pas tant de réhabilitation de l’éminent dirigeant que de clôture de la phase de censure de l’histoire de la guerre d’indépendance par l’autoritarisme du régime.
Son assassinat, à l’exemple de celui de Abane Ramdane, brouille quelque peu l’itinéraire hors norme d’un fils de caïd, dont la scolarité dans la mythique école Sarrouy et l’obtention du certificat d’études devaient baliser le destin. Sur instance de son père, il rejoint les rangs de l’armée française en 1942 – il avait vingt ans- et sera démobilisé en octobre 1945, et rejoindra après, en qualité de secrétaire, les services de la commune de Draa El Mizan. Militant du PPA, il s’attache à en élargir l’ancrage en Grande Kabylie, ce qui lui a valu une condamnation pour atteinte à la sûreté de l’Etat au printemps 47. Cette année verra le premier grand tournant dans le destin de Krim qui, pour répondre aux pressions exercées sur son père, décide d’exécuter le caïd – son propre cousin – auquel il tendra une embuscade meurtrière à la suite de laquelle il sera condamné à mort par contumace.
1 – Des maquis de la résistance aux maquis de l’ALN
La clandestinité, la détermination morale au combat, Krim la vivra longtemps à l’enseigne de Messali Hadj et il ne sera pas associé à l’historique rencontre des vingt-deux – «Les Kabyles étaient messalistes», dira Boudiaf – et il enverra même deux de ses représentants au congrès d’Hornu de juillet 1954. L’hypothèque sera levée en août 1954, notamment lors de contacts avec Mustapha Benboulaid, après l’échec d’une première médiation de Didouche Mourad. Krim, à ses côtés son adjoint Ouamrane, prend une part active à la préparation de l’insurrection et participe à la rencontre de la Pointe Pescade, chez les Boukechoura, qui en fixera le lancement et l’emblème du FLN.(1)
Krim Belkacem, membre du «Comité des six», première direction du FLN, aura, en particulier, négocié et obtenu l’érection de la Grande Kabylie en zone – elle devait être rattachée au centre algérois- dont il allait devenir le chef historique. Les hommes de Krim renforceront, le 1er novembre, les opérations conduites en zone IV et c’est qui placera son adjoint Ouamrane à la tête de cette zone à la suite de l’arrestation de «Si Mohamed» Rabah Bitat. En réponse à l’ouvrage de Mohamed Lebjaoui – Vérités sur la révolution algérienne- Krim Belkacem rappelle, à propos de Abane Ramdane : «C’est moi-même qui l’avait désigné en 1955 au poste de chef de la zone autonome d’Alger, chargé particulièrement de certaines liaisons avec l’intérieur.»
2 – Du comité des six au CCE – Le symbole de la continuité
Il montera en 1956 une vaste opération d’organisation d’un contre maquis – l’opération Oiseau Bleu ou Force K- montée par les services français qui les conduira en fait à armer les maquisards de l’ALN.
Krim Belkacem apparait alors, aux côtés de Larbi Ben M’Hidi, comme l’une des cautions historiques du congrès de La Soummam et y sera désigné comme membre du CCE en charge de la direction de la lutte.
En mars 1957, l’arrestation et l’assassinat de Larbi Ben M’Hidi et les contraintes de la répression obligent le CCE à quitter le territoire national. Il transitera par les territoires de la wilaya 2, en compagnie de Benkhedda, avant de rejoindre Tunis. Sur des terrains qui n’étaient pas ceux familiers au maquisard de Grande Kabylie, Krim Belkacem n’allait pas tarder à montrer ses réelles compétences politiques et c’est quasiment en posture de leader qu’il marquera de son empreinte la réunion du CNRA du Caire en août 1957. C’est d’ailleurs en cette qualité qu’il accorde, à la même période, un entretien à un journaliste de la radio française dans lequel il relève notamment :
« La presse colonialiste, inspirée par les services psychologiques du gouvernement général, a tenté, mais en vain, de jeter le discrédit sur notre Révolution. A maintes reprises, les organes de propagande du colonialisme français, dont le cynisme n’a d’égal que le mépris qu’ils affichent à l’égard de l’opinion en général ont fait état de prétendues dissensions qui opposeraient les dirigeants de la Révolution en ce qu’ils appellent le clan militaire et le clan politique.»
C’est au nom de la réhabilitation des maquisards que Krim Belkacem mène son offensive qui devait aboutir à une claire reconfiguration des rapports de force au sein de la direction du FLN. Outre l’abandon des énoncés de primat du politique sur le militaire et de l’intérieur sur l’extérieur, c’est la mise en minorité politique de Abane et l’élimination de ses proches du CCE (Benkhedda – Dahlab) qui devaient caractériser le tournant validé par le CNRA du Caire. Abane Ramdane sera exécuté le 27 décembre 1957 à Tétouan et, pour beaucoup d’observateurs, cela ne pouvait se faire sans l’accord de Krim. La controverse se poursuit de nos jours qui avait, entre autres, nourri l’inspiration de l’écrivain Rachid Boudjedra qui dans un roman édité en 2010, «le figuier de barbarie», reprend à son compte l’imputation de la mort de Abane à Krim. (2)
Krim avait répondu à cette assertion :
«Abane, dit-il, faisait un «travail fractionnel «et tentait de dresser aussi bien les maquisards que les militants contre les autres membres du C.C.E. Plusieurs démarches furent faites auprès de lui pour le convaincre de modifier son attitude. En vain : on constate qu’Abane, loin de se modérer, persistait dans la même voie en aggravant ses attaques.
– Nous décidâmes alors – continue Krim – Ben Tobbal, Boussouf, Mahmoud Chérif, Ouamrane et moi-même, de le mettre en état d’arrestation en vue de le juger par la suite.
– Cette décision, ai-je demandé, a-t-elle été prise au cours d’une réunion régulière du C.C.E., en présence des autres membres de cet organisme ?
– Non, m’a répondu Krim. Ni Ferhat Abbas, ni Ben Khedda, ni Sâad Dahleb, ni Mehri n’ont été tenus au courant. »(3) Dans sa réponse à Lebjaoui, Krim fait le récit d’une mise à mort dont il aurait été menacé ainsi que Mahmoud Chérif qui l’accompagnait.
3 – Du chef de guerre au leader politique
Reconduit au sein du second CCE, Krim allait entrer dans une phase singulière d’alliance / compétition avec ses compagnons Boussouf et Bentobbal avec la question du pouvoir et de son exercice au centre des enjeux.
Cette jonction de ceux que Mohamed Harbi désignait comme des « seigneurs de guerre » devait traverser les épisodes les plus marquants de la conduite de la guerre sous l’égide du GPRA dont Krim sera l’inamovible vice-président. La création du CIG , comité interministériel de guerre avec les « 3B » par le conclave des dix colonels de l’ALN, appelés entre août et décembre 1959, à dénouer la crise du GPRA, illustre bien l’équilibre des forces entre Krim et ses deux compagnons.
Ministre des forces armées dans le premier GPRA, reconduit comme ministre des affaires étrangères dans le second, puis en qualité de ministre de l’intérieur dans la dernière formation du GPRA, Krim Belkacem aura le privilège de conduire la délégation algérienne aux négociations d’Evian et de signer, au nom de l’Algérie, les accords qui devaient concrétiser les objectifs fixés par l’insurrection de novembre 1954. Allié à Mohamed Boudiaf dans le groupe dit de Tizi Ouzou qui s’opposait au groupe de Tlemcen autour de la formation du bureau politique du FLN appelé à diriger l’Etat indépendant, Krim Belkacem sera dans les premiers rangs du FFS avant d’être contraint à l’exil. Il fondera avec ses anciens compagnons Slimane Amirat, Amar Ouamrane, Mourad Tarbouche, le MDRA (mouvement démocratique de la révolution algérienne) confirmant une exceptionnelle stature d’un homme voué à sa patrie.
M. D.
1 Hamdani (AZmar) «Le Lion des Djebel s- Bouchène Editions
2. Boudjera (Rachid) «Le figuier de barbarie » Editions Grasset
3. Harbi (Mohamed) Les Archives de la révolution algérienne Editions Jeune Afrique