Air Algérie s’avère un gouffre pour les finances publiques. Dixième grande entreprise du pays avec un chiffre d’affaires de 77 milliards de dinars en 2014, elle se débat dans des difficultés financières et bénéficie annuellement de subventions pour équilibrer sa trésorerie.
En juin 2009, quand Abdelwahid Bouabdallah a communiqué les résultats financiers de l’année 2008 d’Air Algérie, annonçant un chiffre d’affaires en croissance comparativement à l’exercice précédent et un résultat net également en progression, il n’a pas mentionné le montant de la subvention accordée à la compagnie en prévision de cet exercice. L’ancien P-DG d’Air Algérie se réjouissait surtout de “la solidité financière” de l’entreprise qu’il dirigeait et des investissements qu’elle s’apprêtait à engager.
Le vocable “subvention” n’existe pas dans le lexique de la communication officielle de l’entreprise. Aucun responsable d’Air Algérie n’en a, en tout cas, parlé dans de pareilles occasions. Or, Abdelwahid Bouabdallah, devenu député à la faveur des législatives de 2012, a qualifié, dans un entretien accordé à TSA début 2015, cette subvention budgétisée en 2007 et reconduite pour les exercices 2008 et 2009 avant de se multiplier presque par quatre durant les années où il était à la tête de la compagnie, d’“illégale”. Budgétisée par l’État au titre de l’“exécution de la sujétion de service public”, elle est passée de 2,5 milliards de dinars en 2007 (31 millions USD), dernière année de feu Tayeb Benouis à la tête de la compagnie, à
8,25 milliards de dinars en 2011 (103 millions USD), dernière année de Bouabdallah à la tête de la compagnie, avant d’être ramenée à 4,5 milliards de dinars en 2014, avant-dernière année de Mohamed-Salah Boultif à la tête de la compagnie.
La descente aux enfers
Avant 2008, la situation financière d’Air Algérie était plus ou moins équilibrée. Son déficit était de 3,6 milliards de dinars en 2001 et de 3,3 milliards de dinars en 2002. Mais, une dotation d’un montant de 12 milliards de dinars (150 millions USD) qui a été octroyée à la compagnie en 2004 en guise de compensation “des sujétions de service public” exécutées en 2001, 2002 et 2003, lui avait permis d’assainir ses états financiers pour convaincre la banque américaine Eximbank de participer au financement du programme de renouvellement de sa flotte et aussi de faire appel à l’épargne nationale.
Elle a pu ainsi lever 42,42 milliards de dinars (près de 530 millions USD) à la faveur de trois emprunts obligataires lancés entre 2004 et 2005 pour financer la deuxième phase de ce programme qui consiste en l’acquisition de 6 ATR 72-500, 5 Airbus A330-200 et 3 Boeing B 737-800.
Le premier, d’un montant de 4,4 milliards de dinars, destiné à l’achat des ATR, le deuxième, d’un montant de 24,89 milliards de dinars, pour le financement des 4 premiers Airbus et le troisième, d’un montant de 13,13 milliards de dinars, pour le reste du programme (1 Airbus et 3 Boeing). Mais cet effort d’investissement à coups de crédits et d’emprunts obligataires s’est heurté à une baisse sensible des parts de marché de la compagnie sur le réseau international.
Selon des données communiquées par le ministère des Transports, les parts de marché d’Air Algérie ont reculé de 79,4% en 2003 à 54% en 2009, puis à moins de 50% en 2011, soit près de la moitié de ses parts de marché perdues en six ans. Cela s’est traduit par la contraction de son chiffre d’affaires, passé de 48 milliards de dinars en 2005 à 46 milliards de dinars en 2006. Le déficit s’est creusé pour atteindre 5,2 milliards de dinars en 2005 avant d’être en partie absorbé et ramené à 2,9 milliards de dinars en 2007.
Les recrutements des “fils de…”
En 2002, le cabinet américain de conseil en gestion Booz Allen Hamilton a recommandé à Air Algérie de fonctionner avec 5 500 employés. Un plan social a été mis en œuvre à partir de de l’année 2007 où la compagnie comptait au 31 décembre 7 687 employés et ployait sous une masse salariale contraignante. Ce plan a favorisé le départ de près de 1 600 employés dont 400 techniciens en maintenance entre 2008 et 2010, réduisant le nombre d’employés à 6 100. Mais, un recrutement massif durant l’année 2011 a porté les effectifs d’Air Algérie à 8 566 dont 430 employés répartis à travers les représentations commerciales de la compagnie à l’étranger. Soit 2 466 nouvelles recrues en une année.
Cette année 2011, qui a vu Abdelwahid Bouabdallah limogé dans un contexte marqué par des grèves des personnels navigants dénonçant, entre autres, le recrutement des ‘‘fils de…’’, a vu ainsi la masse salariale gonfler les charges d’exploitation qui ont atteint 69 milliards de dinars contre un chiffre d’affaires de 56 milliards de dinars. Soit un déficit de 13 milliards de dinars, épongé en partie par une subvention de 8,25 milliards de dinars attribuée à la compagnie au titre de cet exercice.
Des litiges onéreux
Par ailleurs, Air Algérie a lancé, pour un montant de l’ordre de 9 milliards de dinars (100 millions de dollars américains environ), la construction d’un nouveau siège à Bab-Ezzouar, dans la banlieue est de la capitale, dans des conditions chaotiques qui ont débouché en avril 2013 sur un litige avec l’entreprise de réalisation, la firme canadienne de génie-conseil SM International, laquelle a déposé une demande d’arbitrage devant la Cour internationale d’arbitrage de la Chambre internationale de commerce de Paris pour réclamer la prolongation des délais et 39 millions USD supplémentaires.
L’entreprise, sélectionnée en 2010 au temps de Bouabdallah, a découvert, une fois les travaux lancés en mai 2011, que les plans conçus par le bureau d’études libanais Khatib & Alami ne respectaient pas la réglementation algérienne en la matière, invitant Air Algérie à le sommer de corriger les anomalies.
Entre-temps la compagnie nationale s’est vu changer de management. Or, la version finale des plans corrigés, qui a mis du temps à être validée par les autorités compétentes, modifie la consistance des travaux, incluant des aménagements qui n’étaient pas prévus dans la première version. Le chantier est resté en souffrance durant de longs mois et Air Algérie, qui a refusé d’accorder une rallonge à SMI, a fini par résilier son contrat le 4 juin 2013, pour “non-exécution générale, non-achèvement des travaux dans les délais et défaillance de l’entrepreneur”.
Et de demander par le biais de son banquier allemand Commerzbank le paiement de la garantie bancaire de 22,7 millions USD obtenue par cette entreprise auprès de la Banque nationale du Canada en guise de caution de bonne exécution pour décrocher le marché. En tout cas, le chantier est à l’arrêt et le tribunal arbitral de Paris n’a pas encore prononcé sa sentence.
L’autre litige a été provoqué par la résiliation en décembre 2009 d’un contrat avec l’homme d’affaires Hamid Kerboua. Cet ancien pilote des Forces aériennes algériennes reconverti dans les affaires et dont le nom est lié aux faillites de trois compagnies aériennes low coast qu’il a fondées dans son exil aux Pays-Bas (Amsterdam Airlines, Denim Air et Maastricht Airlines), a créé la société K’Air BV pour soumissionner au marché de revente de la vieille flotte d’Air Algérie. K’Air a décroché le marché et un contrat a été signé avec Air Algérie en juillet 2008 pour un montant de 13 millions USD.
Une caution de 2 millions USD au titre de la bonne exécution a été payée par K’Air mais, cette dernière n’a pas pu obtenir auprès d’Air Algérie la documentation technique relative aux appareils à revendre, pour pouvoir exécuter le contrat qui a été résilié par Air Algérie en décembre 2009. Hamid Kerboua a engagé une procédure près du tribunal arbitral de Paris en mars 2011 pour réclamer les 2 millions USD qu’il a payés au titre de la caution de bonne exécution et il a obtenu, trois ans après, un jugement en sa faveur.
Un jugement qu’il a fait valoir pour saisir un avion d’Air Algérie à l’aéroport de Bruxelles et exiger le remboursement des 2 millions de la caution. Ce scandale n’a pas livré tous ses secrets. Air Algérie a refusé de payer, arguant qu’il n’y a aucune pièce comptable prouvant que la compagnie a perçu cet argent. Hamid Kerboua, lui, et après quelques jours d’agitation, a fini par libérer l’avion.
Un début de redressement
À partir de 2013, la situation financière d’Air Algérie a commencé à se redresser, même si elle a continué à bénéficier de la subvention pour équilibrer sa trésorerie. Cette subvention s’est divisée presque par deux, s’établissant à 5 milliards de dinars (62 millions USD) en 2013, puis à 4,5 milliards de dinars en 2014 (56 millions USD).
La compagnie a transporté 4,8 millions de voyageurs en 2013, réalisant un chiffre d’affaires de 70 milliards de dinars. En 2014, la compagnie a fait mieux en augmentant sa part de marché de 2,6% comparativement à 2013. Elle a transporté 5,2 millions de voyageurs et réalisé un chiffre d’affaires de 77,1 milliards de dinars, ce qui est un record depuis sa création. Une croissance qui s’est traduite aussi par une amélioration de la qualité du service. Sa ponctualité, qui était de 51% en 2011, est passée à 62% en 2014. Et Air Algérie se fixe l’objectif de la faire porter à 72% en 2015.
Ces indicateurs ont rétabli la confiance des banquiers dans la compagnie qui a pu décrocher un crédit de près d’un milliard USD pour financer un nouveau programme d’acquisition de 16 avions. Un crédit syndiqué avec pour chef de file la BNA. Le programme est mis déjà à exécution et Air Algérie devrait réceptionner les 8 avions restants d’ici à la fin de l’année 2016. Il y a, en tout cas, du chemin à faire pour redresser complètement la compagnie et l’ancien DG des Douanes algériennes, Mohamed Abdou Bouderbala, qui vient d’être installé à sa tête, a du pain sur la planche.
L. H.