Si aujourd’hui, des journalistes algériens font les beaux jours des télévisions étrangères comme Al Jazeera, Al Arabiya, Abu Dhadi TV et France 24, c’est avant tout grâce à l’Entv qui leur a permis d’exercer leur talent.
En annonçant à l’Assemblée nationale, le lancement, à partir de janvier par l’Entv, d’une émission politique, le ministre de la Communication, Nacer Mehal a, de nouveau, focalisé le débat sur sa méthode directe et sans ambages de la communication. Surtout quand il déclare que pour réussir ce difficile pari de faire une émission politique de qualité, il faut des journalistes compétents.
Une déclaration qui visait plus les journalistes de la presse écrite que les journalistes de l’Entv, mais qui a été mal perçue au niveau du boulevard des Martyrs. Les déclarations du ministre de la Communication sur l’information et sur le contenu du programme de l’Unique sont considérées comme «une ingérence» dans les affaires rédactionnelles de l’Entv. Même si le DG de l’Entv reste diplomate et accepte que le ministre de tutelle s’exprime ainsi, les 300 journalistes et rédacteurs de l’Unique n’apprécient pas.
Souvent critiqués, toujours incriminés, les journalistes de l’Entv ne s’expriment jamais dans la presse de peur de perdre leur poste. Ce sont des journalistes disciplinés et surtout fidèles à leur entreprise et cela, malgré les difficultés qu’ils rencon-trent dans leurs missions et parfois dans leur parcours.
Et pourtant des compétences, il en existe au boulevard des Martyrs. Il suffit de les laisser s’exprimer. Récemment, une page Facebook a été créée sous le thème: les journalistes algériens de l’immigration mettant les photos des principaux journalistes algériens qui travaillent sur les plus importantes chaînes satellitaires arabes et occidentales.
Les compétences existent
On y trouvera, bien sûr, les Algériens d’Al Jazeera: Wassila Leulmi, Khadidja Benguena, Feyrouz Ziani, Hafid Derradji, Lakhdar Berriche, Madjid Boutamine, Abdelkader Cheniouni, Leïla Smati, Abdelkader Ayadh, mais aussi les Algériens d’Al Arabiya: Mohib Charriar et Yazid Moaki, les journalistes algériens d’Abu Dhabi TV, Fadila Souissi, ceux de France 24 arabe: Hakim Zemmouche, Adel Kastal, Farida Bahamid ou encore Leila Bouzidi et Djoher Lakhel de Med1 TV.
C’est en grande partie grâce à l’Entv, qu’ils ont pu accéder à ces postes aujourd’hui. Ils ont quitté la télévision algérienne en partie à cause de la situation sécuritaire et des conditions difficiles de leur quotidien. En 1994, période noire pour la presse et la télévision algérienne, 11 journalistes ont quitté d’un coup le 21 boulevard des Martyrs. Surtout après l’assassinat de Djaâfar Yefsah, présentateur vedette du journal de 20 heures. Parmi eux figuraient des vedettes connues du petit écran comme Kamel Alouani, Mourad Chébine, Madani Ameur.
Entre 1990 et 2001, plus de 315 employés dont 69 journalistes ont quitté l’Entv, pour des télévisions et radios étrangères. 95% d’entre eux ont choisi des télévisions arabes, d’autres ont choisi de faire de la communication et de la radio. Aucune télévision française n’a recueilli des ex-journalistes de l’Entv.
Une large majorité d’entre eux, ont été formés par la télévision algérienne, travaillant dans le même format et cahier des charges d’aujourd’hui. Rien n’a changé dans le disque dur de l’entreprise, il a été cependant formaté trois fois depuis l’Indépendance. Durant l’avènement du pluralisme politique en 1990, avec le charismatique Abdou B. et entre 1999 et 2004, à l’occasion des deux élections présidentielles.
Il faut dire que mis à part l’ouverture de la télévision en 1990 à l’époque de Hamrouche, l’Entv est restée à cause de la situation sécuritaire un média doublement hermétique, politiquement et socialement.
En 1990, l’Eentv a contribué grandement à l’émergence et à la construction de la classe politique, nouvellement constituée dans la société algérienne. C’est à travers l’émission Face à la presse (la première émission politique dans le Monde arabe) qui était animée par Mourad Chebine et pilotée par le DG Abdou Bouziane et le directeur de l’information de l’époque, Amar Bekhouche, que les Algériens découvraient le visage, la culture politique et le programme de Saïd Sadi, Abassi Madani, Louisa Hanoune et même le fameux président du Pnsd, Bencherif qui avait étonné les Algériens avec son projet fantasmagorique d’une mer dans le Sahara.
A cette époque, la question de la compétence des journalistes ne se posait pas car il n’y avait tout simplement pas de ministre de la Communication. La presse écrite privée n’était pas encore constituée, seuls les ténors de la presse publique étaient là pour faire bouger les choses. Les Hocine Mezali, Bachir Rezzoug de Horizons et d’Algerie Actualité, mais aussi le journaliste Mourad Chebine, qui modérait à merveille le débat. D’ailleurs, l’une des plus importantes audiences de l’Entv (et qui était même très regardée par nos voisins marocains et tunisiens) fut le premier débat organisé avec le leader du parti dissous, à l’époque Abassi Madani. C’était d’ailleurs la première fois qu’un leader islamiste s’exprimait sur une télévision avant même Al Jazeera ou MBC.
L’autre audience était le duel télévisé entre Saïd Sadi et Abassi Madani dans l’émission Ouadjh li oudjh (Face à Face), présentée par Madani Ameur. C’est aussi la première fois qu’on assistait sur une télévision arabe à un débat politique entre un leader démocrate et un chef de parti islamiste. L’Algérie était sur la bonne voie médiatique. L’Entv avait de nombreuses émissions de débat au point que le téléspectateur s’y perdait. On retiendra par exemple l’émission El Hadah animée aussi par Madani Ameur et reprise par le jeune HHC et qui donnait la parole aux leaders comme Yasser Arafat. Un peu comme ce que fait actuellement Ahmed Mansour sur Al Jazeera. Il y avait les émissions Milef Maftouh (Dossier ouvert) de Nabila Ouatas. Mais voilà, l’arrêt du processus électoral, la tragédie noire sont passés par là, renvoyant aux calendes grecques l’ambition de développement politique à l’Entv. Une ouverture politique qui n’a duré de deux ans au plus au 21 boulevard des Martyrs.
Il fallait attendre 1999, à l’occasion de l’élection présidentielle, lorsque le DG de l’Entv de l’époque, un certain Abdelkader Leulmi, avait lancé l’idée d’une émission de débat politique avec certains leaders des partis politiques et plus tard avec les candidats à l’élection à la magistrature suprême. Le candidat faisait face à quatre journalistes: Mohsen Slimani de la radio, Ahmed Toumiat de Horizons, Salim Rebahi d’El Moudjahid, Ghania Oukazi d’Al Watan et Messaoud Dekkar d’Al Khabar la première émission, les journalistes avaient reçu Louisa Hanoune.
La représentante du Parti des travailleurs avait eu le dessus sur les représentants de la presse. L’émission suivante, le patron d’El Khabar décide de remplacer Messaoud Dekkar par Hmida Ayachi qui était dans El Khabar Ousboui, qui était connu pour ses questions pièges. Ce changement va animer le débat politique dans l’émission et avec des questions très pointues et des polémiques. De peur de froisser son image de zaïm, Hocine Aït Ahmed refuse de participer à l’émission la qualifiant de carnaval. Il sera remplacé par Boukrouh.
Hmida Ayachi s’illustrera avec la fameuse question au candidat Bouteflika sur le prix de la pomme de terre. Il reposera la même question face au même candidat cinq ans après à l’occasion de la même émission pour l’élection présidentielle de 2004. Une émission politique auquel les candidats Benflis et Saïd Sadi refusèrent de participer demandant de passer avant le candidat Bouteflika. L’Entv qui avait accepté d’ouvrir le débat politique faisait face aux caprices de l’opposition. Un peu comme Ségolène Royal, qui souhaitait passer seule sur le plateau du Grand Journal de Canal+. Les réflexes sont les mêmes partout.
Des idées louables, mais…
En 1999, Leulmi sera remplacé et l’expérience n’a pas été renouvelée. Dix ans d’arrêt total et d’amnésie, les réflexes de la communication avaient totalement disparu, laissant place au doute et la méfiance. Il fallut attendre les années 2000 et la démarche d’un jeune et ambitieux directeur de télévision, qui avait bien occupé le poste de ministre de à la Communication, rendu célèbre par ces trois initiales: HHC. Il relance la notion d’une émission politique en adaptant le concept de 7 sur 7, animée par Anne Saint-Clair sur TF1, à l’Entv.
L’émission s’intitulera Ousboue El Djazaïr. L’émission était animée par une journaliste de la presse écrite, Ghania Oukazi. Une intrusion qui a été mal acceptée au départ par les dizaines de journalistes de l’Entv. Mais l’ouverture politique à l’Unique n’était pas encore au rendez-vous. Les leaders politiques de l’opposition tels Sid Ahmed Ghozali, Taleb Ibrahimi, Réda Malek ou Hachemi Chérif n’étaient pas invités à cette émission. HHC avait répondu à l’époque que seuls les partis représentés à l’Assemblée ou dans les APC avaient le droit de s’exprimer, se référant au principe éternel du cahier des charges. Cela n’a pas empêché des leaders de l’opposition comme Saïd Sadi ou Ahmed Djeddaï de s’exprimer ouvertement et parfois de douter de l’impartialité de la journaliste. On se souvient notamment, quand Saïd Sadi disait à Ghania Oukazi qu’elle recevait ses questions à travers l’oreillette, alors que celle-ci avait une très bonne culture politique, mais recevait plutôt des directives du rédacteur en chef de l’époque, Nadir Boukabès, sur le ton à donner et le temps à respecter dans l’émission. On se souvient aussi de la misère que Ahmed Djeddaï avait causé à la journaliste de Ousboue El Djazaïr, en la traînant durant plus d’une heure et demie, avant d’annoncer le boycott par le FFS des élections locales. L’émisssions politique Ousboue El Djazaïr a fini par disparaître.
Les émissions politiques avaient été supprimées, mais revenaient à chaque échéance électorale, ce qui énervait les partis de l’opposition qui excluaient à chacune de leur conférence les représentants de l’Entv, venus couvrir leurs activités.
HHC, qui était favorable à une ouverture au privé, avait déclaré qu’avant cela il faudrait renforcer la télévision publique avec la création de nouvelles chaînes. Tout en excluant l’idée de créer une chaîne d’information.
Lors de l’élection de présidentielle 2004, l’idée sera reconduite après, avec Le Forum de l’Entv de Soraya Bouamama, qui dirigeait à l’époque le service des grandes émissions politiques à l’Entv. Elle a réussi durant plus de deux ans à imposer cette émission qui était destinée au départ, à donner la parole aux membres du gouvernement, puis aux partis membres de l’Alliance présidentielle. L’émission était programmée tous les samedi, à 15h, une heure injustifiée par rapport à ce genre d’émission qui s’apparentait à l’émission d’Arlette Chabot À vous de juger sur France Télévisions. L’émission n’était pas politique mais plutôt l’exposition d’un bilan sur les réalisations du gouvernement, toutefois la présence de certains journalistes de la presse privée, avait entraîné le débat vers la politique.
L’émission qui s’est essoufflée en 2008, suite à une redite des membres du gouvernement et à un mauvais choix des représentants de la presse, le Forum de l’Entv, a été suprimée par le DG Abdelkader Leulmi.
Ainsi, l’Algérie n’a connu, depuis l’avènement du pluralisme politique en 1989, que quatre émissions de débat politique: Face à la presse, Oudjh li oudjh, Ousboue El Djazaïr et le Forum de l’Entv. En janvier, le service de l’information lancera une nouvelle émission politique en prime time, animée par une journaliste de l’Entv, en présence de trois journalistes seulement. Deux de la presse privée et un de la presse publique. Le ministre de la Communication Nacer Mehal qui avait souhaité inviter les directeurs de journaux, s’est finalement rabattu sur les rédacteurs en chef.
On ignore pour le moment si les titres invités seront permanents ou seront-ils changés chaque semaine. On ignore aussi s’il faut adopter une émission-bilan des ministres ou présenter une émission 100% politique avec les partis politiques au pouvoir et dans l’opposition. Assisterons-nous un jour à un face-à-face télévisé entre Saïd Sadi et Ahmed Ouyahia, deux leaders de la communication politique? Quoi qu’il en soit, la jeune démocratie algérienne doit un jour être télévisée.
Adel MEHDI