La Femme dans le mouvement populaire : Une révolution culturelle, grandeur nature

La Femme dans le mouvement populaire : Une révolution culturelle, grandeur nature

Reportage réalisé par Karim Aimeur

(…) Et souviens-toi ya bent bladi (fille de mon pays), tu n’es pas en marge de l’histoire du pays, tu construis ce pays ! Et souviens-toi ya bent bladi, tu n’es pas un objet de folklore d’hier, tu es citoyenne à part entière ! Et souviens-toi ya bent bladi, tu es la moitié de cette société et tu portes en tes entrailles l’autre moitié ! Et souviens-toi ya bent bladi, tu n’es pas âawra (à cacher), tu es waâra (dure), tu es rawâa (merveille), tu es thawra (révolution). Le texte, publié le 7 mars, soit à la veille de la marche historique du 8 Mars, le troisième de la révolution populaire, a été signé Taous Aït Mesghat, médecin très suivie sur les réseaux sociaux, en gloire à la participation massive de la femme aux marches populaires.

Le 8 Mars, journée internationale de la Femme, a coïncidé avec le 3e vendredi de la mobilisation des Algériens contre le système politique, enclenchée le 22 février. La mobilisation de cette journée mémorable est d’une ampleur jamais égalée.

La présence de la femme, que certains voulaient confiner à la cuisine, dans cette marche, comme dans toutes les autres manifestations, était très importante.

Indéniablement, la femme algérienne joue un rôle central dans la révolution en cours contre le système politique. Un rôle déterminant et décisif dans le maintien de l’arme fatale de la contestation : le pacifisme.

Avant le début du mouvement, lorsque des appels massifs furent lancés sur les réseaux sociaux pour protester contre le projet du 5e mandat, un véritable attentat contre la dignité populaire, les gens s’interrogeaient. Ils doutaient. Ils craignaient. Surtout que le pouvoir projetait les pires scénarios en cas d’opposition.

Mais le 22 février a libéré tout le monde, avec une mobilisation populaire massive.

« A partir de ce moment, il était évident que la société tout entière allait s’impliquer. En tant que partie prenante de cette société, la femme s’est naturellement engagée à côté de l’homme pour défendre l’honneur du peuple », explique Nora, étudiante fidèle aux marches «mardiennes» à Alger.

« Je vois cette implication (et non pas une simple participation) comme l’une des particularités fondamentales du Hirak, au même titre que son pacifisme. Pour la première fois, la rue se réjouit d’entendre la voix de la femme criant sa colère, scandant des slogans, proposant des solutions au même titre que l’homme ! Il me semble qu’à terme, le Hirak va permettre un effet d’entraînement qui bouleversera notre ordre socioculturel », soutient le politologue Mohamed Henad.

Depuis le début du mouvement, la femme s’est un peu plus émancipée. Et ça ne choque plus personne que des femmes s’attablent sur les terrasses des cafés algérois à prendre un café ou à griller une cigarette. Elles viennent même seules ou entre amies aux manifestations.

« La caractéristique de la révolution du 22 février réside dans la forte implication des femmes, toutes catégories confondues. Cela ne constitue pas une surprise ; la femme ayant toujours été de toutes les luttes et de tous les combats. Le combat actuel est celui de la démocratie, de la justice, de l’instauration d’un Etat de droit et du recouvrement de la souveraineté populaire. C’est donc tout naturellement que l’Algérienne a investi le terrain. D’évidence, cela traduit la recherche de l’égalité en droits et la concrétisation du statut de citoyenne, pleinement et effectivement. Par son rôle actif dans l’actuelle révolution, la femme œuvre à bâtir l’avenir et réaffirme ses revendications pour l’égalité et la citoyenneté », explique l’avocate Fetta Sadat, engagée, comme beaucoup d’autres de ses consœurs, dans le mouvement mais aussi dans les collectifs d’avocats pour la défense des détenus d’opinion.

Comment expliquer cet engagement ?

Notre interlocutrice affirme que le combat actuel est tout naturellement celui de la femme, car il s’agit d’une révolution contre un système basé sur le déni, les inégalités et les injustices de toutes sortes.

« La Femme en a pris conscience et a investi la scène dès le départ et ce, dans le prolongement de son combat pour un statut égalitaire. Elle réaffirme sa citoyenneté et son engagement politique. En cette période cruciale, l’Algérienne est consciente qu’il s’agit aussi d’un combat pour ses droits », a-t-elle expliqué.

En s’engageant dans le mouvement populaire, la femme ne fait que suivre ses ancêtres qui ont, de tout temps, pu et su comment servir le pays. Elles sont sur la voie de ces femmes qui ont fait la Révolution de 54 et qui poursuivent leur parcours en participant à la révolution en cours. C’est le cas notamment de Louisette Ighilahriz, Zohra Bitat-Drif et de l’icône Djamila Bouhired.

Dans une lettre à la jeunesse algérienne, cette dernière a écrit, début mars : « Par votre engagement pacifique qui a désarmé la répression (…) vous avez ressuscité l’espoir. Vous avez réinventé le rêve. Vous nous avez permis de croire de nouveau à cette Algérie digne du sacrifice de ses martyrs et des aspirations étouffées de son peuple .»

Plusieurs raisons expliquent cette forte implication. « C’est la femme qui vit la crise économique dans sa maison avec ses enfants. C’est elle qui supporte le drame de la harga, du chômage et de la déperdition scolaire. C’est elle qui vit aussi le plus la souffrance des emprisonnements. Ce n’est donc point étonnant qu’elle profite du Hirak pour exprimer ses préoccupations et celles des familles algériennes », soutient le sociologue Nacer Djabi.

En s’impliquant dans le Hirak, ajoute notre interlocuteur, « la femme algérienne investit l’espace public et contribue à changer l’image de la société algérienne. Elle mène une révolution culturelle sur le terrain. Elle prend la parole devant le public et défend ses avis politiques. Le Hirak est une opportunité historique pour afficher ses transformations positives que vit la société depuis des années .»

Sa présence a ancré le pacifisme

L’engagement de la femme dans le mouvement lui a donné des couleurs et un cachet particulier. Pour Saïd Salhi, vice-président de la Laddh, cette présence a marqué un tournant décisif pour la mobilisation.

« C’est cette présence rassurante de la femme et des familles qui a ancré le choix pacifique et qui a donné le caractère populaire au mouvement. Définitivement, la femme a reconquis la parole et l’espace public aux côtés de l’homme avec la même détermination et engagement. Cela devra changer sa condition et lui assurer désormais l’égalité citoyenne dans la nouvelle Algérie », explique-t-il.

Un avis partagé par Djabi qui affirme que la présence de la femme a un impact direct sur les jeunes qui se comportent de manière civilisée et pacifique.

Selon lui, cette présence reflète la sociologie et la démographie de la société algérienne.

Nombreux, en effet, sont ceux qui croient que le pacifisme du mouvement est préservé grâce à l’implication des femmes.

« La femme a protégé le Hirak de la violence de l’intérieur et de la violence du pouvoir, donnant une belle image du mouvement au monde et a encouragé les Algériens à s’y impliquer », estime le sociologue Djabi.

Mohamed Henad relève que de simple femme passive, elle est devenue une citoyenne active qui fait des discours au milieu des hommes qui l’applaudissent.

« Le Hirak a ouvert une grande brèche dans le conservatisme ambiant et permis de connaître le point de vue de l’autre moitié de la société. Bien sûr qu’il ne faut pas trop généraliser parce que le phénomène de la présence féminine demeure urbain, et varie beaucoup selon les régions et les villes du point de vue de son importance », tempère-t-il, toutefois.

Ce qui est sûr, à ses yeux, est que l’on assiste, en Algérie comme partout d’ailleurs (y compris en Arabie Saoudite), à une sorte de changement de paradigme, c’est-à-dire que l’homme commence à saisir ce que veut dire « l’autre moitié » de l’homme, celle à laquelle il est tenu de reconnaître le droit d’avoir, autant que lui, son mot à dire par rapport à tout ce qui engage l’avenir du pays.

Sabrina Malek est une militante de l’association RAJ, qui a échappé aux arrestations, qui a participé à la majorité des marches. Elle a été embarquée par la police et présentée devant le tribunal de Sidi-M’hamed. Arrêtée pour port du drapeau amazigh, elle sera libérée sans poursuite.

Elle nous étale ses raisons.

« La présence en force et remarquable de la femme dans le Hirak est très importante et donne espoir pour la réussite de la révolution pacifique du peuple, parce que le combat pour l’égalité est indissociable du combat pour la démocratie et l’Etat de droit », a-t-elle dit, précisant que la femme est aujourd’hui marginalisée et réduite par le code de la famille.

En s’impliquant donc dans le mouvement, la femme cherche à s’émanciper, à se libérer et à se mettre au service du pays. Et à prouver son existence…

De la rue à la prison

L’engagement de la femme est resté constant même lorsque le pouvoir a changé le traitement qu’il réservait à la contestation dont le caractère pacifique est préservé par le peuple lui-même.

A chaque fois que le climat est tendu entre les manifestants et les forces de l’ordre, des citoyens s’interposent pour éviter l’affrontement. Et parmi ceux qui s’interposent, il y a toujours des femmes. Ce qui fait dire à tous nos interlocuteurs que le pacifisme des manifestations est préservé, en partie, grâce à la présence féminine.

Ces dernières se sont également engagées avec les groupes de bénévoles qui nettoient les rues à la fin de chaque manifestation et avec les groupes de secouristes qui se déploient à chaque marche, les vendredis et les mardis.

Et lorsque le pouvoir a commencé à arrêter les manifestants et à les incarcérer, la femme, que le régime de Bouteflika a réduite à une histoire de quota n’a pas été épargnée.

Deux jeunes femmes sont actuellement en prison. Une étudiante et une élue du RCD, Samira Messouci, détenues pour une farfelue accusation : avoir porté le drapeau de l’identité nord-africaine.

Depuis sa cellule, Samira Messouci a répondu à la lettre de soutien d’un citoyen avec un message plein d’engagement et d’espoir.

« Il est vrai que nous nous retrouvons en prison, et que se retrouver privée de sa liberté est la chose la plus horrible que peut vivre un être humain, mais sachez que même si c’est difficile de se retrouver dans cet endroit, notre moral reste au plus haut », a-t-elle assuré.

« Ils nous ont jetés en prison arbitrairement, mais ils ne réussiront jamais à atteindre notre moral. Nous sommes rentrés pour nos convictions et nos principes, nous ne regrettons pas ce que nous avons fait, mais bien au contraire, nous en sommes tellement fiers», a-t-elle écrit.

En s’engageant dans ce mouvement de l’Histoire, comme le dit Me Sadat, l’Algérienne joue actuellement son avenir. Elle œuvre à le construire et rien ne sera plus comme avant.

K. A.