De faux billets de 1 000 DA imprimés en France et en Italie avec du papier destiné à la Banque centrale d’Algérie : voilà une affaire sur laquelle les autorités gardent un énigmatique silence, y compris auprès des enquêteurs français qui l’ont mise à jour.
“On attend que l’État algérien se manifeste d’une manière ou d’une autre”, a observé le directeur de la police judiciaire de Lyon lors d’une conférence de presse consacrée à cette découverte. Car l’affaire a beau se dérouler en Europe, c’est l’économie algérienne qui en pâtit. C’est un réseau de fabricants de faux dinars, capables d’imprimer des “billets quasiment parfaits” grâce à du papier fiduciaire volé, qui a été démantelé à Lyon et Marseille. Pour les enquêteurs français, c’est une belle opération qui constitue le premier démantèlement d’imprimerie clandestine en France depuis plus de 10 ans. Pour le responsable de la division économique et financière de la Police judiciaire (PJ) de Lyon, Jean-François Ligout, “la spécificité de cette affaire vient du fait que le papier utilisé était destiné aux banques centrales”. Il provenait d’une cargaison d’une quarantaine de rouleaux subtilisés lors d’une attaque à main armée à Marseille en novembre 2006. Deux à trois de ces rouleaux, permettant chacun de fabriquer jusqu’à 500 000 billets, soit 500 millions de DA, avaient été retrouvés à Naples, en Italie, en janvier 2009. Mis sur la piste des trafiquants, les enquêteurs ont pu assister, en septembre, à la remise de trois de ces rouleaux par des voyous marseillais au réseau lyonnais. Mais ils n’ont retrouvé que deux rouleaux intacts, le troisième étant en cours d’utilisation. Selon la PJ, ces faux-monnayeurs avaient déjà réussi à écouler au moins 200 000 faux billets. “L’essentiel du réseau a donc été neutralisé” avant qu’une “production de masse” ait pu se mettre en place, a précisé le directeur adjoint de la PJ, Michel Neyret, ajoutant que les billets, d’une valeur de 10 euros, étaient revendus 3 à 4 euros chacun. Les 12 délinquants constituant le réseau lyonnais, interpellés mercredi, notamment à Paris et Marseille après quelques mois d’investigation, ont été inculpés et écroués dimanche pour association de malfaiteurs et contrefaçon.
Ces hommes, âgés de 30 à 60 ans et dont certains étaient connus pour des faits de grand banditisme, encourent 30 ans de réclusion criminelle. Deux frères, imprimeurs dans le centre de Lyon, constituaient “le maillon essentiel du réseau” : des milliers de billets ont été saisis dans leur entreprise.
Le papier fiduciaire volé comportait déjà les trois signes de sécurité (bande holographique, filigrane et fil) nécessaires à la fabrication des dinars algériens (alors que l’euro en compte soixante), ce qui a facilité la tâche des faussaires. “Il leur restait à ajouter le visage et le montant, ainsi que les numéros du billet”, a souligné M. Ligout. L’enquête a révélé que l’étape de la “numérotation” était réalisée par un informaticien basé à Saint-Étienne et qui avait mis au point un logiciel spécifique. “Les billets étaient quasiment parfaits”, a ajouté M. Ligout.
Ce n’est pas la seule affaire : trois personnes ont été également inculpées, lundi, à Marseille, pour association de malfaiteurs en vue de contrefaçon de dinars algériens. Il s’agit d’un réseau distinct de celui de Lyon. Le juge Dominique Voglimacci de la seconde ville de France et le parquet ont requis un mandat de dépôt contre ces suspects qui devaient passer dans la soirée devant le juge des libertés et de la détention. Comme dans le dossier lyonnais, l’affaire marseillaise a démarré avec le braquage, en novembre 2006, d’un camion transportant des rouleaux de papier fiduciaire destinés à la Banque centrale d’Algérie et qui ont servi à la fabrication de faux dinars.
Une première personne, suspectée d’avoir recelé le poids lourd dans un hangar de la région, avait été écrouée dans ce dossier en 2007 par la juge Fabienne Adam du Tribunal de grande instance (TGI) de Marseille, avant d’être remise en liberté. Dans un second temps, le TGI d’Aix-en-Provence avait été saisi après l’arrestation de deux Tunisiens porteurs d’une valise pleine de faux dinars à l’aéroport de Marignane, proche de Marseille. L’affaire avait franchi un dernier pas avec la découverte de certains rouleaux marseillais en janvier 2009 dans une imprimerie clandestine du sud de l’Italie.