La géographie du danger de Hamid Skif relate la déliquescence, la misère morale et le désarroi de cette jeunesse désargentée, en perte de repères identitaires, ayant pour tout viatique ses espérances et ses rêves d’un avenir meilleur.
Paru aux éditions APIC, La géographie du danger bouscule les conventions. Il pose un problème d’une grande acuité, celui des sans-papiers et des clandestins. «Harraga», terme inconnu de notre langue qui s’introduit subrepticement, mais avec vigueur dans notre lexique, renvoie à une triste réalité. Celle des sans-papiers. L’auteur met en exergue un jeune ingénieur électronicien dont on ne connaît pas le patronyme qui s’expatrie en Occident pour une vie meilleure. Il trouvera des âmes compatissantes et une chaîne de solidarité qui le mettra à l’abri du besoin pour un temps. Dans cette chambre où il se cache, il a tout le loisir d’évoquer les réminiscences et autres souvenances de sa vie antérieure. Inactif toute la journée, il passe en revue sa vie. Il dit ses vagues à l’âme, ses ressentis, ses élans et ses souhaits freinés. Dans cette solitude et déréliction qui lui pèsent, il trouvera un semblant de bonheur à travers l’amour d’une femme. Mais les tenailles du destin le guettant, il se retrouve menotté et mené manu militari par la police suite à la délation d’un proche de cette femme. Une aventure qui se termine mal pour ce «harrag» qui ressemble à bien d’autres, dont bon nombre perdent la vie suite à leurs périlleuses traversées de la Méditerranée.La peur du futur
Ce roman très attachant, plein de sensibilité et de désarroi, traduit ce mal de vivre et ces rêves brisés de ces jeunes qui ne demandent qu’un «petit coin de soleil». Leur seul tort est d’être nés de l’autre côté ; dans cette rive sud, dans ce tiers-monde grouillant de malheurs et de difficultés, où il n’y a plus d’espoir ni de perspectives d’avenir. Dans cette histoire émouvante, captivante, on retrouve les recettes d’un roman ouvert à tous les vents, des émotions fortes et des quêtes de liberté. D’une plume exigeante, stylée, Hamid Skif intervient avec insistance sur certains détails de ce harraga pour mieux quantifier cette déchéance sociale qu’il subit malgré lui. Au quotidien. Ce témoignage fictif est un modeste réquisitoire de cette frange de population souvent marginalisée et mise à l’index. Dans ce terme harraga, c’est tout le désespoir, la déception, de rêves inaboutis et d’espérances contrariées. Un roman qui donne la pleine mesure au désarroi. Narré avec circonspection et réalisme, il marque cette ère nouvelle d’une migration autre. Ce magnifique roman, qui a recu le prix du roman francophone en 2007, se lit d’un trait.