Après des mois de répit, la problématique liée à la tension sur le lait se pose avec acuité. L’arrêt d’une dizaine d’unités de transformation de lait a mis en avant la complexité du problème et l’urgence de redoubler d’efforts pour une solution qui ne devrait pas être conjoncturelle.
Le citoyen, déjà éprouvé par la hausse des prix, s’est retrouvé, une nouvelle fois, face à une pénurie du lait en sachet qui ne dit pas son nom. La situation a duré plusieurs jours dans certaines wilayas de l’intérieur du pays, et encore une fois, la guerre des mots est lancée de plus belle entre l’Office national interprofessionnel du lait, les fournisseurs de la poudre de lait et les transformateurs. Dès lors, on a assisté à un scénario auquel le consommateur est habitué.
Chaque partie pointe du doigt l’autre sans pour autant arriver à cerner les défaillances et autres lacunes qui demandent des solutions en profondeur. Il s’agit, en fait, de trouver le meilleur moyen pour réduire notre dépendance de l’importation de la poudre de lait. En d’autres termes, il est impératif de lui substituer le lait cru produit localement.
Mais pour y arriver, il ne suffit pas de le décréter, car la réussite d’une telle démarche repose sur la stratégie à adopter pour amener les transformateurs à accepter de s’impliquer davantage et surtout d’organiser le circuit de la collecte, un des maillons faibles de la filière lait. L’intervention du ministre de l’Agriculture devant les professionnels de la filière, le week-end dernier, a été l’occasion pour débattre de ce problème de collecte et des autres circuits qui ne fonctionnent pas de la manière souhaitée.
Restriction ou manque de cohésion ?
La tension sur le lait en sachet réapparaît à quelques semaines du mois de Ramadhan durant lequel la demande est toujours plus forte.
Le consommateur s’interroge si l’arrêt momentané du travail des unités de transformation observé la semaine dernière n’est qu’un prélude à une nouvelle crise dans les jours à venir. Car il est évident que si la situation venait à perdurer, l’approvisionnement en lait sera perturbé et, du coup, le consommateur sera la première victime.
A coups de déclarations et de communiqués, l’ONIL et les transformateurs avaient davantage contribué à entretenir le flou que de trouver des solutions auxquelles s’attendait, du reste, le citoyen. Jugez-en.
Au moment où le citoyen était en quête d’un sachet de lait, les deux parties se rejetaient la balle et chacune désigne l’autre comme étant responsable de cette situation qui a pris de court tout le monde. Les transformateurs accusaient sans détour l’ONIL de «restriction sur les quotas de poudre de lait» dont ils sont habituellement approvisionnés à des «prix subventionnés».
Pour eux, leurs quotas ont sensiblement diminué, d’où la baisse de la production et la perturbation de la distribution constatée dans plusieurs wilayas. Il fallait, donc, chercher du côté du fournisseur qui n’est autre que l’ONIL qui, lui, s’en défend, précisant que l’approvisionnement se fait régulièrement.
Selon son directeur général, il «n’y a pas de crise de lait mais des inquiétudes des transformateurs». Les transformateurs sont, eux aussi, pointés du doigt car ne voulant pas intégrer dans la production des quantités plus importantes de lait cru.
Ce qui est perçu comme un frein à la stratégie du ministère qui veut réduire la facture d’importation de la poudre de lait. Qui croire alors dans ce bras de fer. Le hic est que d’autres transformateurs, ceux-là affiliés à la Confédération des industriels et patronat algériens, sont venus épaissir encore le flou qui entoure cette affaire en affirmant que l’ONIL a toujours honoré ses engagements.
C’est dire que même au sein des transformateurs, les avis sont partagés. Pourquoi y a-t-il alors cette tension sur le lait en sachet ? D’aucuns estiment que les mesures annoncées par le ministère de vouloir privilégier la production nationale, ce qui est en soi une disposition encourageante pour toute la filière, pose problème dans son application. Une telle stratégie ne pourrait donner de résultats probants sans une organisation en amont et en aval.
Objectif : réduire de 30% la facture d’importation
Dans ce climat «conflictuel», le ministre de l’Agriculture est intervenu pour tenter de mettre de l’ordre et tracer les objectifs à atteindre pour 2010 et les quatre prochaine années.
Rachid Ben Aïssa s’est montré catégorique devant les professionnels de la filière en réfutant les déclarations des transformateurs. «Le marché est stable et sera stable», a-t-il déclaré tout en mettant en garde contre «les actes de provocation de certains opérateurs qui prennent les consommateurs en otages».
Le citoyen reste sur sa faim quant aux visées réelles de ces «actes» car le ministre n’est pas allé loin dans son analyse pour permettre une compréhension approfondie de la situation. La poudre de lait achetée à des prix subventionnés par l’Etat doit être utilisée uniquement dans la production du lait en sachet. Est-elle alors détournée pour la fabrication d’autres produits ? Pour l’heure, pas de réponse claire.
Quoi qu’il en soit, le département de Ben Aïssa a mis le cap sur la réduction de la facture d’importation de la poudre de lait qui était de «300 millions de dollars en 2009 de 20% à 30% cette année». Pour cette année, l’objectif visé et affiché par l’ONIL est de faire baisser le niveau des importations de «10% annuellement jusqu’en 2014».
Il faut savoir que les importations de la poudre de lait sont passées de «145 mille tonnes en 2008 à 120 mille tonnes en 2009 et devraient s’établir à 100 mille en 2010». Mais tout repose sur le niveau d’intégration du lait cru dans la production. Car au rythme où vont les choses, il faudra encore des années pour que cette nouvelle façon de travailler soit acceptée et assimilée convenablement par les transformateurs.
Car sur les 129 transformateurs, seuls 4 font de la collecte régulièrement alors que 36 d’entre eux ne le font pas du tout. C’est un travail de longue haleine qui attend le ministère et l’office à qui incombent la tâche d’accompagner, d’un côté, les éleveurs et, de l’autre, les transformateurs. Parmi les pistes explorées par les pouvoirs publics, l’orientation du «soutien accordé à la subvention de la poudre de lait vers l’utilisation du lait cru par les transformateurs».
Il est à rappeler que le soutien de l’Etat à cette filière stratégique est estimé à «12 milliards de dinars par an, dont une partie sous forme de primes ; 12 DA/litre à l’éleveur, 5 DA/litre au collecteur et 4 DA/litre à l’intégration du lait cru dans la production du lait en sachet, subventionné à 25 DA/litre. L’autre partie est destinée à la subvention de la poudre».
Pour les pouvoirs publics, il était temps pour que la production nationale trouve sa place localement en visant un taux d’intégration du lait cru de «35% en 2010, soit une production de 550 millions de litres alors qu’en 2009, il n’était que de 18%, représentant une production de 400 millions de litres».
Autant de résultats escomptés qui ne sont pour le consommateur qu’un langage chiffré car lui sa préoccupation majeure est la disponibilité du produit sur le marché. L’espace de concertation auquel a appelé Ben Aïssa sera d’un apport considérable pour que la «guéguerre» ayant caractérisé les relations entre les différents intervenants ne porte pas préjudice à cette filière, deuxième produit stratégique après les céréales en Algérie.
R.E.H.