La machine judiciaire semble être partie pour ne plus s’arrêter, broyant à son passage l’oligarchie née des passe-droits et avantages sans limites offerts sous le règne de Abdelaziz Bouteflika.
Dans sa descente aux enfers, cette dernière a entraîné avec elle une cohorte de ministres et anciens hauts responsables officiellement accusés d’avoir utilisé leur fonction pour servir ces hommes d’affaires. Deux anciens Premiers ministres et un ministre sont déjà en prison, d’autres pourraient suivre car poursuivis pour les mêmes charges. La semaine s’annonce houleuse avec déjà plusieurs comparutions cette semaine.
Abdelghani Hamel au tribunal de Blida
L’ancien directeur général de la Sûreté nationale est attendu ce matin au tribunal civil de Blida où il doit comparaître dans l’affaire de son ancien collaborateur Noureddine Berrachdi. L’affaire est comme on le sait liée au dossier brûlant de Kamel Chikhi, plus communément appelé Kamel El Bouchi et principal prévenu dans l’enquête déclenchée après la découverte de 701 kilos de cocaïne au port d’Oran. C’est la première fois que le nom de Abdelghani Hamel est directement cité et associé à ce dossier par la justice. Jusque-là, le lien était plutôt politique et lié à ces déclarations fracassantes en direction des services en charge du dossier, la gendarmerie en l’occurrence. «Pour lutter contre la corruption, il faut avoir les mains propres, (…) je détiens des dossiers et informations que je transmettrai en temps opportun à la justice», disait-il alors, avant de faire volte-face et de se contredire une année plus tard dans un contexte marqué par le déclenchement d’une lutte contre la corruption et ciblant d’anciens ministres et hauts responsables.
Dans une déclaration au journal en ligne TSA, Hamel affirmait ne détenir aucun dossier, n’avoir ciblé aucune partie en particulier dans ces propos et affirmait au contraire soutenir la démarche du chef d’état-major. Ce qui sonnait alors comme un mea-culpa, ne lui a pas épargné d’être convoqués (en mai dernier) par le tribunal d’Alger où il a dû s’expliquer sur ses propos antécédants. Des sources bien informées ont fait savoir qu’il avait là aussi nié ses toutes premières accusations, considérant qu’elles avaient été mal interprétées. Au cours des semaines précédentes, l’ancien patron de la DGSN a été écouté à trois reprises, l’une par le tribunal de Tipasa, et l’autre à Alger sur des affaires de corruption.
Aujourd’hui, il comparaît pour une toute autre raison. Il doit être auditionné dans l’affaire dit El Bouchi et pour laquelle a été incarcéré Noureddine Berrachdi le 3 juin dernier. Peu de détails ont réellement filtré au sujet de l’implication présumée de l’ancien chef de la Sûreté d’Alger dans le dossier de la cocaïne, mais des sources sûres affirment qu’il entretenait des liens avec Kamel El Bouchi. Ces mêmes sources affirment que si Abdelghani Hamel comparaît aujourd’hui, c’est parce qu’il a été cité par son ancien collaborateur.
Des ministres devant la Cour suprême
La Cour suprême reprend dès ce matin l’audition d’anciens ministres et hauts responsables cités dans un communiqué publié le 26 mai dernier et comportant le nom de douze personnalités parmi lesquelles quatre ont été déjà écoutées et trois mises sous mandat de dépôt.
Des sources concordantes font savoir que les affaires d’aujourd’hui concernent l’affaire de Karim Djoudi et Amar Tou. Le premier a occupé plusieurs hautes fonctions au sein des gouvernements ayant servi sous Abdelaziz Bouteflika. De 2003 à 2004, il a occupé la fonction de ministre délégué chargé de la Participation et de la Promotion des investissements puis il est nommé ministre chargé de la Réforme financière avant d’être promu ministre des Finances de 2007 à 2014. Amar Tou a lui été successivement ( de 2003 à 2013) ministre des PT, de la Communication, de la Santé puis des Transports. Tous deux sont soupçonnés de s’être livrés à des faits de corruption très graves durant l’exercice de leur fonction.
Ces noms ont été cités dans le cadre de l’enquête menée autour du groupe ETRHB Haddad et dans le dossier Tahkout. Ils sont poursuivis pour abus de fonction, passation de contrats contraires à la réglementation et octroi d’avantages. Ces charges sont très lourdes puisqu’elles ont déjà conduit deux anciens Premiers ministres, Ahmed Ouyahia et Abdelmalek Sellal en prison. Il en a été de même pour Amara Benyounes, ancien ministre et chef du MPA (Mouvement populaire algérien). Abdelghani Zaâlane, ancien ministre des Transports et des Travaux publics est le seul à avoir échappé à la prison pour l’instant puisqu’il a été mis sous contrôle judiciaire. Des spécialistes en matière juridique ont expliqué que cela pourrait être dû au fait que le concerné ait été en fonction à partir de 2017 et que le plus gros des faits reprochés se soient déroulés bien auparavant. Ce qui n’est pas le cas pour Amar Tou et Karim Djoudi.
Hier, des informations contradictoires circulaient au sujet de la date de comparution de l’ancien wali d’Alger et de l’actuel wali d’El Bayadh. Ils seront cependant auditionnés au cours des prochaines heures à venir dans le cadre des mêmes affaires. Ces dossiers, il faut le dire, sont traités sous la supervision d’une nouvelle équipe tout récemment mise en place pour gérer «ces dossiers sensibles», a d’ailleurs confirmé le nouveau président de la Cour suprême dans une déclaration publique faite hier.
Le patron de Sovac au tribunal de Sidi M’hamed
Mourad Eulmi et son frère seront déférés aujourd’hui devant le parquet de Sidi M’hamed ont fait savoir hier plusieurs sources proches du dossier. Convoqué mercredi par la brigade de gendarmerie de Bab J’did où il a été écouté dans des dossiers liés à la corruption, il a été placé en garde à vue, pour les besoins de l’enquête, dit-on, avant d’être présenté devant le procureur. Propriétaire de l’usine de montage de marque allemande Volkswagen, il est considéré comme l’une des plus grosses fortunes d’Algérie. Le très controversé patron de Sovac était percu comme étant l’un des gros privilégiés du système Bouteflika et il n’est pas fortuit que son audition par les enquêteurs ait eu lieu en même temps que celle de plusieurs cadres du CPA, une banque que l’on dit à l’origine du financement de l’usine de montage de véhicules Volkswagen. Le patron de Sovac est également soupconné de transfert illicite de devises à l’étranger.
Le tribunal militaire de Blida procédera ce lundi à l’étude du dossier de fonds du groupe incarcéré dans l’affaire dite de «complot contre la Nation». Les généraux Tartag, Toufik, Saïd Bouteflika ont été incuplés et placés en détention pour des faits portant atteinte à la Nation et «atteinte à l’autorité de l’armée». Louisa Hanoune, secrétaire générale du Parti des travailleurs (PT) a été elle aussi placée en détention provisoire pour les mêmes raisons. L’étude du dossier de fond veut dire que le magistrat en charge du dossier se penchera sur les éléments reprochés aux concernés, car il n’a procédé qu’à l’instruction jusque-là. Il les écoutera donc à nouveau, séparément mais peut être amené à procéder à une confrontation s’il le juge nécessaire. L’opération se déroulera lundi, mardi, mercredi mais pourrait s’étaler à jeudi, a-t-on appris de sources sûres. Elle intervient immédiatement après la clôture d’une série d’auditions de témoins. Khaled Nezzar, l’ancien président du Conseil constitutionnel, Tayeb Bélaïz mais aussi plusieurs chauffeurs, ceux des prévenus ont été interrogés. Les chauffeurs concernés sont ceux ayant conduit les mises en cause à la fameuse réunion dénoncée par le chef d’état-major.
Abla Chérif