La petite bibliothèque de l’été 2016 (III) « Va lire, mon enfant! »

La petite bibliothèque de l’été 2016 (III) « Va lire, mon enfant! »

jadis, c’était le seul cri essentiel que les parents clairvoyants lançaient à leurs enfants qui passaient leur temps à des futilités au lieu de s’instruire, – ce qui les éloignerait des maux de l’Etat colonial et les aiderait ainsi à lutter contre l’analphabétisme, l’ignorance et la soumission…

Cette insouciance de la jeunesse, en ce temps-là, pouvait devenir inquiétante, car l’analphabétisme, l’inculture, l’oisiveté, l’inaction, l’irréflexion affaiblissent l’intelligence humaine, – ce qui éloignerait toute une génération montante des maux du système colonial et ne l’aiderait pas ainsi à prendre conscience de son état présent et à concevoir le projet d’une espérance future de libération.



Ici, vient naturellement à l’esprit la pensée de Voltaire; «Le travail éloigne de nous trois grands maux: l’ennui, le vice et le besoin.» Cela suppose que la lecture était courante en France au fameux «Siècle des Lumières» et l’on peut, a contrario, comprendre aussi la citation suivante: «Personne ne lit plus, aujourd’hui, sauf ceux qui écrivent.» Elle est de l’Académicien Henry Bordeaux (1870-1963), rapportée par Léon Treich (1889-1973) dans son article Histoires littéraires. (Voir Collection d’anas, numéro XIII, paru le 01.05.1926, chez Gallimard, Paris.

Il y a eu donc une jeunesse algérienne progressivement formée par des lectures et des discours politiques, culturels et artistiques qui éveillent l’esprit et la conscience… Ainsi, doit-on dire que la génération combattante était éduquée et instruite pour lutter résolument, coûte que coûte, contre l’armée coloniale française et libérer le territoire national algérien.

Tout en espérant vivement que nos jeunes s’intéressent au Livre Algérien, je leur propose des extraits d’ouvrages présentés dans Le Temps de lire de la saison 2015-2016:

«au temps des grands empires maghrÉbins» de Fatma-Zohra Oufiha, CHIHAB Éditions, Alger, 2015, 280 pages: «La décolonisation de l’histoire de l’Algérie. voilà une problématique qui est au fond très simple, sauf si l’on continue à être adepte du jugement des historiens imbus de l’esprit colonial extrême.[…] Au temps des grands empires maghrébins est un travail universitaire qui pourrait répondre à une forte «demande d’histoire». Il réunit une série de contributions (articles, causeries, conférences) restructurées pour l’édition d’un ouvrage aux thèmes complémentaires capables de réconcilier les Algériens avec leur Histoire, – ou plutôt de les sensibiliser à leur passé historique en essayant de leur faire découvrir leur Histoire. Or connaître son histoire, c’est se connaître soi-même. Fin de hiatus, renforcement de maillons faibles dans la chaîne des souvenirs, et c’est s’assurer définitivement des fondements des origines de notre propre personnalité individuelle et nationale. Â l’origine qui étions-nous? Comment s’est constitué le peuple… algérien?

L’histoire permet de réfléchir à cette problématique de la connaissance historique de soi. L’histoire est la mémoire des peuples. Interrogeons donc notre Histoire. Fatma-Zohra Oufriha, très jeune formée au goût de la recherche et parfaitement instruite dans les domaines scientifiques et littéraires a abordé avec succès son introduction dans l’histoire des empires maghrébins. Elle les aborde avec un étonnant naturel et une perspicacité intensément intellectuelle, exigeant à la fois une pleine objectivité et une fine analyse afin de percevoir l’âme authentique du fait historique. […]

Cette restructuration que j’ai évoquée plus haut, l’auteur du présent ouvrage l’expose ainsi telle «une gageure», – ce vocable est de Djillali Sari, son préfacier»: «Si l’écriture de l’histoire récente, celle de notre guerre d’indépendance, celle de la période coloniale aussi, est capitale, il nous semble que la longue période, n’a pas la place qu’elle mérite.» En somme, cette «longue période gagnerait à être éclairée» et constituerait le fondement de toute action vers la grande découverte de nous-mêmes. Notre histoire présente vient d’un riche passé historique, et spécialement des grands empires maghrébins que «l’amnésie collective» a refoulée loin, très loin dans le grenier du passé, legs non assumé par les générations des siècles et des siècles perdus dans la nuit des temps. Dans une introduction de plus de 32 pages pleines et denses en étude et analyse, F-Z. Oufriha transcende l’esprit curieux d’apprendre son passé, car l’Algérien a été radicalement empêché sourdement de connaître son riche héritage, et le peu d’intérêt – pour des raisons diverses et parfois d’ordre matériel ou administratif – que nos historiens semblent accorder au Moyen Âge musulman et tout spécialement à l’époque des grands empires, aggrave le déficit en savoir général de la vie d’un peuple et de sa constitution. […] Fatma-Zohra Oufriha oriente, à raison, ses lecteurs vers cette juste remarque l’attitude inégale de l’État espagnol envers les communautés vivant sur ses terres: les descendants des juifs sépharades et les musulmans. «On a là, conclut l’auteur, l’exemple parfait de ce que l’on inflige encore aux musulmans, même quand ils peuvent être considérés comme des modèles, à tout point de vue, et du traitement discriminatoire et blessant à leur égard.»

«BEÏT EL QACÎD (LE FIN MOT)» de Rabah Haouchine, Publication de l’AARLA-Casbah, Alger, 2015, 81 pages: «Une demande à ma conscience… […]…car elle est ni une maladie, ni une poltronne, ni même un insigne orgueil; elle est la consolation des désenchantements de la vie. […] Il me vient par ce temps qui court, une réflexion d’André Malraux, à propos de la notion de «conscience»: «La conscience grecque du monde était niée par le chrétien parce qu’il en avait une autre; toutes les consciences du passé sont interrogées par nous parce que nous n’en avons pas.» Étonnant, n’est-ce pas?… Sans doute, faut-il replacer ça dans son contexte, – néanmoins, une vérité première s’y élève. Plus simplement, Mahatma Gandhi disait: «La vie sans religion est une vie sans principe et une vie sans principe est comme un bateau sans gouvernail.» Encore plus simplement, plus modestement, se fondant sur le bon sens paysan – et sur la poésie populaire -, Rabah Haouchine publie une plaquette de poèmes en arabe parlé algérien, la langue pure de tous les jours, sous le titre évocateur et spirituel: Beït el qacîd (*), (Le fin mot), préfacé élégamment par Lounis Aït Aoudia, président de la dynamique et culturelle Association des Amis de la rampe Louni Arezki (Casbah-Alger). Cette publication sympathique mérite l’attention de mes lecteurs, car l’exposé est clair, l’intention aimable et le propos poétique bienvenu. […]

Rabah Haouchine nous propose un recueil de poèmes populaires, florilège de ses envies et de ses essais. Il n’y a aucune prétention, mais un bonheur simple et émouvant qui nous saisit. Il nous est offert par quelqu’un qui a en lui une douceur de rêver et de dire son rêve, en toute sympathie, sans grandiloquence, – avec joie. Il explique que «le recueil de poésie Beït el Qacîd (Le fin mot) est composé de plusieurs thèmes quasiment du registre de la chanson chaâbie. Certains textes peuvent être considérés comme qacîdâte de par leur dimension ou leur structure, tandis que d’autres sont considérés comme chansons (Mechmoum dans le langage chaabi), et enfin des chansonnettes qui sont de petits textes.» […]

Voici, traduit par Rabah Haouchine, un extrait de son long poème faisant l’éloge de la lecture. Intitulé «Ouvre un livre et lis», je pense qu’il «élève l’esprit», «ouvre une porte sur un monde enchanté», aide à comprendre ce que sont les autres et à comprendre ce que nous sommes.

«Quand tu ouvres un livre, tu contemples et tu lis / Tu ne ressens plus jamais ni faim ni mépris / Tu découvres des merveilles et tu te dis / Que le savoir n’a de limites qu’à l’infini / Tu le dégustes dans une coupe plein remplie / Pour arroser le cerveau qui pense et réfléchit / Tu en recherches le sens tu comprends et saisis / Entre les lignes sur une feuille, à la lueur d’une bougie. /

Le savoir et la science cultivent la pensée / Pour découvrir l’univers à travers leur fenêtre / Suivre l’histoire des nations très civilisées / Auxquelles tu te compares pour mieux te connaître / La légende des grands hommes qui bâtissent la paix / Contre les dictateurs qui se prennent pour les maîtres / Ceux qui pour la culture ont révolutionné / Des générations entières, assurant leur bien-être /

Tu découvres les créatures de Dieu Tout-Puissant / Le ciel, la terre, l’air, la mer et tout l’univers / Ce qu’il a créé chez l’homme cet être pensant / Ce que contient son corps et tous ses mystères / Ce qui pousse sur terre, chaque année, chaque saison / Ce qui naît à l’ombre ou sous la lumière / Le soleil et la lune qui règlent le temps / Le secret des planètes, de Mars à Jupiter./…[…] Accompagne-toi d’un livre comme meilleur ami / Tu vivras dans le bonheur et tu seras comblé.»

Maintenant, une conscience s’éveille aux constantes essentielles à l’intérêt de lire pour nos enfants, pour nous tous. Il n’y a pas d’inaptitude à la lecture, il y a absence de formateurs à la lecture. Un peuple qui ne lit pas, dit cette vérité universelle, est un peuple sans avenir. L’école – et sa bibliothèque, s’il en existe – peut-elle donner à nos enfants le goût de la lecture? Oui?… Allons-y donc!