Un nombre incroyable d’anciens ministres, hauts responsables, hommes d’affaires et cadres sont actuellement incarcérés et poursuivis par la justice pour des faits de corruption qui mènent tous à un seul nom : Abdelaziz Bouteflika. Va-t-on donc juger l’ex- président de la République ?
Abla Chérif – Alger (Le Soir) – Tous les éléments qui se sont accumulés au fil des terribles affaires qui se succèdent depuis de longues semaines conduisent à de lourdes interrogations : ces ministres, dont la plupart avaient la réputation d’être très proches du cercle présidentiel, auraient-ils pu verser dans une corruption aussi vaste, aussi systématique, sans le consentement du chef de l’Etat ? Se peut-il que deux anciens chefs d’exécutif et des membres très en vue du gouvernement, ayant occupé des secteurs stratégiques, aient pu se mettre au service d’hommes d’affaires avec une telle facilité sans que l’on s’en aperçoive en haut lieu ?
Dès son intronisation, Bouteflika a pourtant fait savoir qu’il n’était pas un «trois quarts de Président» et il en a donné la preuve en centralisant à son niveau tous les pouvoirs au point où les ministres ont fini par apparaître comme de simples exécutants incapables de prendre une quelconque décision sans se faire désavouer publiquement ou écarter avec des méthodes humiliantes. Ceux qui en ont fait les frais savent de quoi Bouteflika était capable. Tout l’exécutif fonctionnait ainsi, aux instructions.
Des sources concordantes affirment, d’ailleurs, que Ahmed Ouyahia utilise cet argument pour sa défense devant le juge qui instruit ces affaires. «J’appliquais des directives», affirme ainsi celui-ci lorsque les magistrats le mettent face aux preuves qui l’accablent dans l’octroi d’avantages au réseau d’hommes d’affaires qui s’est développé durant le règne de Bouteflika. Ce réseau porte un
nom : l’oligarchie composée de tous ces hommes connus pour leur grande proximité avec l’ancien Président et sa famille.
La relation qu’entretenaient ces patrons avec les Bouteflika leur a permis d’arracher des contrats juteux, des marchés importants octroyés par ces ministres en prison.
Dans ses communiqués qui sanctionnent ses enquêtes, la justice démontre, à chaque nouvelle affaire, que toutes les entreprises appartenant à ces oligarques n’ont pu voir le jour et s’étendre que par les énormes avantages fournis par les membres du gouvernement aujourd’hui incarcérés. En échange, ces derniers recevaient des pots-de-vin qui leur ont permis d’acquérir, à leur tour, de grandes richesses De même que ces oligarques étaient tenus de mettre la main à la poche lors des différentes campagnes électorales de Bouteflika. Le système mis en place par l’ancien Président et géré d’une main de fer par son frère conseiller a ainsi permis à la corruption de s’institutionnaliser, de s’ériger en une règle à laquelle peu ont dérogé, à en croire les affaires de justice en cours.
Certains de ces anciens responsables et des hommes d’affaires qui s’affichaient volontairement avec le frère du Président sont d’ailleurs aujourd’hui officiellement poursuivis pour financement occulte de la campagne pour le cinquième mandat. Dix personnes, parmi lesquelles Abdelmalek Sellal, ancien Premier ministre et directeur de campagne de Bouteflika seront jugées sur cette base dans l’une des innombrables affaires pour lesquelles elles se trouvent en prison. Des patrons d’entreprise qui ont prospéré grâce aux immenses privilèges fournis par les cercles dirigeants sont aussi concernés. Mazouz en fait partie. Les enquêteurs de la gendarmerie de Bab J’did ont aussi mis au jour une grande opération de financement occulte qui avait été mise en place pour les législatives de 2017.
El Wafi Ould Abbès, fils de l’un des plus puissants membres de la coalition présidentielle, gardait, au niveau de son domicile, des sacs pleins de milliards que lui fournissaient des hommes d’affaires ambitieux désireux de figurer en tête des listes du FLN.
Le fils Ould Abbès a pris la fuite et n’a plus réapparu depuis. Les Bouteflika qui régnaient de manière absolue sur toutes les affaires du pays ignoraient-ils alors qu’une présence à l’APN s’achetait et se vendait à un prix fort ? Ignoraient-ils encore que la difficile campagne qui s’annonçait pour le cinquième mandat était fiancée par l’argent de la corruption et que de hauts responsables de banques nationales (CPA) avaient été impliqués pour légaliser l’opération ?
La rue le crie depuis un long moment : Bouteflika doit être jugé. Des partis politiques accompagnent cette revendication, affirmant qu’elle doit constituer l’aboutissement logique de l’opération anti-corruption. La justice entendra-t-elle ces appels ?
A. C.