Ironie du sort. Celui qui a fait du respect des échéances électorales presque un sacerdoce termine son long parcours présidentiel par une chute brutale, après un report anticonstitutionnel de l’élection présidentielle.
Le président de la République, Abdelaziz Bouteflika, devra quitter le pouvoir par la petite porte, poussé vers la sortie par une rue qui réclame son départ et celui du système depuis maintenant 46 jours. Ironie du sort, donc, pour celui qui a fait du respect des échéances électorales presque un sacerdoce et qui termine son long parcours présidentiel par une chute brutale, après un report anticonstitutionnel de l’élection présidentielle.
En effet, Il y a 46 jours, et contre toute logique et bon sens, Abdelaziz Bouteflika annonce, par le biais d’un communiqué rendu public sous forme de “Lettre aux Algériens”, son intention de briguer un nouveau mandat présidentiel malgré une santé chancelante. Puis, pour faire admettre cette option, le chef de l’État, ou ceux qui ont écrit la lettre en son nom, expliquait que c’était là “son ultime engagement” pour le pays. Il promet d’organiser une révision profonde de la Constitution pour aller à une deuxième République.
Mais ça ne passe pas.
Quelques jours plus tard, une grande manifestation se tient à Kherrata, dans la wilaya de Béjaïa, pour s’opposer à l’option d’un cinquième mandat. Sur les réseaux sociaux, des appels sont lancés pour des manifestations nationales contre la reconduction de l’homme, malade, pour un nouveau mandat à la tête de l’État. Le vendredi 22 février, les Algériens marquent à nouveau l’Histoire. Des millions de citoyens, tous âges et sexes confondus, sont sortis dans les rues, y compris dans la capitale, interdites aux manifestants depuis juin 2001, pour dire à l’unisson : “Non au cinquième mandat.” Le mur de la peur est brisé. Et les Algériens surprennent le monde entier par le sens civique et pacifique de ces manifestations. Le pouvoir vacille, mais résiste.
Le Premier ministre d’alors, Ahmed Ouyahia, réagit 5 jours plus tard. Devant les députés qui devaient débattre de sa déclaration de politique générale, le Premier ministre, d’habitude offensif, a le verbe hésitant.
Il met en garde contre la reproduction du scénario syrien. Mais cela ne prend pas. Le vendredi d’après, beaucoup plus de manifestants sont sortis dans la rue pour réclamer le départ d’Abdelaziz Bouteflika, qui se trouvait, depuis le dimanche 24 février, en Suisse pour des soins, officiellement pour des contrôles médicaux. Ces manifestations n’ont pas dissuadé le pouvoir d’aller dans sa logique d’imposer un homme malade à la tête de l’État. Le 3 mars, dernier jour légal pour le dépôt des dossiers de candidature à l’élection présidentielle, le nouveau directeur de campagne du candidat Bouteflika dépose le dossier du chef de l’État.
Le dossier est accompagné d’une lettre attribuée à Bouteflika où il s’engage à organiser une élection présidentielle anticipée s’il était élu et qu’il s’engageait à ne plus se représenter. Pas convaincant. La rue dit, une nouvelle fois, non. Pendant ce temps, l’armée, dont le chef s’est exprimé plusieurs fois, change de ton. Après avoir menacé les “égarés”, Ahmed Gaïd Salah se met, désormais, à évoquer la fraternité qui existe entre le peuple et l’armée. Il n’a pas désavoué le chef de l’État, mais il y allait progressivement. La semaine dernière, il évoquait “l’existence de solutions”. C’était un pas de franchi vers ce qui allait suivre.
La promesse de Bouteflika ne passe pas. Le 8 mars, des millions d’Algériens sortent de nouveau. Ils refusent les propositions du pouvoir et demandent le départ du système. De retour de Suisse, Abdelaziz Bouteflika annonce, le lundi 11 mars, avoir renoncé à briguer un mandat présidentiel et promet une période de transition avec l’installation d’une Conférence nationale inclusive.
Il annule l’élection présidentielle, renvoie Ahmed Ouyahia et nomme Nouredine Bedoui comme Premier ministre, avec Lamamra comme adjoint et ministre des Affaires étrangères. Mais cela est perçu comme une nouvelle ruse du chef de l’État qui veut “poursuivre sa présidence sans élection”.
La rue ne décolère pas, et des millions d’Algériens sont encore sortis deux week-ends de suite. Ils sont rejoints par toutes les catégories de la société, y compris par les juges qui réclament une indépendance de la justice.
Hier, de la wilaya d’Ouargla, le chef d’état-major de l’ANP tranche. Il réclame l’application de l’article 102 de la Constitution. Il met fin au règne de Bouteflika.
Ali Boukhlef