La prolongation du mandat de Bensalah vue par deux spécialistes en droit : «une décision hors-constitution d’exception»

La prolongation du mandat de Bensalah vue par deux spécialistes en droit : «une décision hors-constitution d’exception»

L’après 9 juillet 2019 est partout repris en chœur sur la scène nationale, tant cette date marque un virage décisif pour la suite des événements et le développement de la situation de crise en Algérie. Autrement, une lecture textuelle de la Constitution sonne la fin de la partie pour le mandat d’Abdelkader Bensalah à la tête de l’État, à partir d’aujourd’hui. Comme incidence directe à cette situation exceptionnelle, jamais vécue dans la jeune histoire de notre pays, un vide constitutionnel qui se met en place.

En effet, et comme le lui confère la Loi fondamentale jusqu’alors, Bensalah était chargé d’assumer l’intérim de la présidence de la République jusqu’à l’organisation d’une élection présidentielle. Sauf que, le rendez-vous électoral prévu le 4 juillet dernier a été renvoyé sine die. En cause, il y a l’absence de candidats comme motif direct. Ceci d’un côté. De l’autre, le mouvement populaire et citoyen refuse d’entendre parler d’une élection dont il rejette déjà les figures du système qui allaient les organiser. Dans un sens plus large, les Algériens revendiquent un changement radical qui va au-delà de fixer des échéances électorales. Mais, le Conseil constitutionnel a prononcé une décision qui aura accordé à Bensalah une prolongation de son mandat pour 90 autres jours supplémentaires à la tête de l’État. Un précédent qui a soulevé un tollé général dans le pays.

Du point de vue constitutionnel, deux spécialistes en droits, repris hier par l’Agence de presse nationale, font appel à l’esprit de la Constitution pour, non pas justifier un choix politique, mais celui d’une situation d’exception. Ainsi, pour Amar Belhimer, professeur de droit à l’Université d’Alger, en se prononçant pour la prolongation du mandat du chef de l’État, «le Conseil constitutionnel s’est éloigné de la lettre du texte fondamental mais a néanmoins respecté son esprit, et ce, en agissant dans le large cadre constitutionnel et dans le cadre des lois institutionnelles existantes afin d’éviter tout vide susceptible de mettre en péril la stabilité et la sécurité de l’État». Belhimer, qui se veut plus explicite, fait savoir que «l’initiative du Conseil constitutionnel est réputée être en marge de la Loi fondamentale en ce sens qu’elle s’appuie sur les articles 7 et 8 qui confèrent la souveraineté au peuple, dans le but d’éviter le vide constitutionnel et d’élargir l’effet de l’article 102 pour éviter le recours à l’article 107 en cas de péril pour les Institutions, la sécurité, la stabilité et la souveraineté nationale».

Toutefois, même en faisant appel à l’esprit de la Constitution, comme solution d’exception, pointe du doigt une «faiblesse» du socle de la Loi fondamentale et au-delà, tout le système juridique. «Le maintien de Bensalah à la tête de l’État après le 9 juillet conformément aux stipulations de l’article 102 de la Constitution dénote la faiblesse de l’édifice institutionnel et juridique de tout le système algérien et montre clairement les défaillances du système présidentiel exclusif, ayant abouti à un vide qui représente un danger pour le pouvoir central et l’État en général», a-t-il analysé comme pour décrier un régime présidentiel qui détient tous les pouvoirs, au détriment du Parlement et de la Justice.

Une solution à la crise «politico-constitutionnelle»
Sur un autre volet, et interrogé sur la nature de la solution à la crise à suggérer, Belhimer considère que celle-ci doit être politique et constitutionnelle, soulignant «l’impératif, dans les deux cas, d’une réforme radicale». Dans ce sens, il s’interroge sur «comment réaliser la revendication d’une transition et d’une assemblée constituante sans éloigner les partis des anciennes influences et pratiques, alors qu’ils prônent la démocratie, la transparence et le respect des droits de l’Homme?». Pour sa part, la constitutionnaliste Fatiha Benabou, considère, elle, que le Conseil constitutionnel a rendu sa décision en vue de «préserver les Institutions de l’État» et de «garantir l’organisation de l’élection présidentielle». Elle estime que «L’État ne doit pas rester sans institution constitutionnelle pour gérer ses affaires et un chef de l’État garant de sa pérennité».

D’ailleurs, la constitutionnaliste met en garde contre ce qu’elle appelle «les risques» induits par le vide constitutionnel «que le pays n’a jamais connu depuis son indépendance». À la question de connaître son analyse sur la prolongation du mandat de Bensalah au-delà du 9 juillet, Benabou estime que le Conseil «ne prévoit aucune prorogation pour le chef de l’État, néanmoins la crise politique que traverse le pays a requis une disposition juridique exceptionnelle prorogeant le mandat du chef de l’État jusqu’à l’élection d’un président de la République».
Farid G.