La qualité de vie des algériens s’est améliorée ces dernières années: Le prix du confort

La qualité de vie des algériens s’est améliorée ces dernières années: Le prix du confort

L’accès aux logements neufs et les nouveaux besoins de la vie moderne provoquent l’explosion des budgets familiaux et mettent les ménages devant de nouvelles responsabilités.

Bientôt, il faudra peut-être devenir technicien en réseaux informatiques, programmeur, artisan, comptable et surtout avoir une bonne paie pour gérer un foyer. Si vous voulez vous en convaincre, comptez le nombre de fils électriques branchés dans votre maison puis additionnez ce que leur utilisation vous coûte par mois. «Avant, nous avions la télévision, le frigidaire et occasionnellement le fer à repasser ainsi que, pendant les chaleurs, un petit ventilateur», dit Amar, un sexagénaire, en évoquant les années 1960.

Aujourd’hui, difficile de faire l’impasse sur l’écran plasma ou 4K, sur le démodulateur, la parabole, la console de jeu, le four micro-ondes, le lave-linge, le frigo à double porte, le congélateur, la chaîne Hi-Fi, les chargeurs de téléphone et de tablette, l’ordinateur, le modem et parfois le lave-vaisselle, l’aspirateur, le climatiseur, le sèche-cheveux… Ces accessoires sont à multiplier par deux ou trois et par le nombre des occupants d’un même domicile. Des équipements devenus de nos jours nécessaires puisqu’ils forment les signes extérieurs de la modernité. En effet, il est impossible de résider en ville et se meubler comme si on résidait dans une chaumière.

Terre tragique

«J’ai habité pendant quinze ans dans un bidonville; donc pas de facture d’électricité ni d’eau, pas de charges, très peu de mobilier et d’appareils électroménagers, avoue Fatima. Maintenant que j’ai réussi à avoir un logement social, je ne m’en sors plus. Avec le maigre salaire de mon mari et les ménages que j’effectue chez les gens, il nous reste à peine de quoi manger et encore. Mais je ne peux pas me priver de ces moyens qui facilitent la vie.» L’accès au logement constitue pour de nombreux Algériens le rêve d’une vie, mais ceux qui l’ont réalisé ne savaient pas que cette joie était une pièce à deux faces.

«Les charges qui s’abattent sur moi me courbent le dos», se plaint Abdelkader père de quatre enfants. Avant, il lui suffisait de ramener le couffin pour nourrir ses enfants, mais maintenant il doit «faire comme tout le monde», c’est-à-dire s’équiper du matériel domestique indispensable. «Au baraquement, raconte-t-il, nous avions honte d’être traités comme des moins que rien, mais avec le temps nous nous étions habitués. Tout devenait normal. La pagaille, la saleté, les rats, nous fermions les yeux comme des bêtes dans une étable. Aujourd’hui nous avons accédé à la civilisation et il faut en être à la hauteur. Ce n’est pas facile et parfois, je vous l’avoue, je suis tenté de retourner dans ma cabane en zinc où je ne payais presque rien.»

Ces propos font étrangement écho au roman Terre tragique écrit en 1944 par l’Américain Erskin Caldwell qui raconte l’attachement paradoxal de nombreuses familles à la zone sordide où elles vivaient depuis longtemps. Malgré le chômage, l’extrême misère et les maladies qui les frappaient, elles refusaient de quitter le cloaque qui leur offrait une liberté anarchique où elles pouvaient s’adonner au vice, à la paresse et à l’alcool sans être contrôlées. Avoir un lieu de résidence patenté oblige le propriétaire à réunir un minimum de conditions de confort et d’entretien. Cela s’accompagne bien entendu d’une flambée des dépenses et d’une responsabilité envers le voisinage.

Il n’y a pas que les anciens habitants des bidonvilles qui souffrent du changement de régime induit par l’acquisition d’un logement neuf. Ceux qui partageaient dans l’indivision un bien familial subissent aussi la pression des nouveaux besoins imposés par la nouvelle adresse.

«Nous étions sept frères et soeurs à vivre dans une maison à deux étages héritée de nos parents, se rappelle Tahar. Trois des garçons, dont moi, étions mariés et avions des enfants. Pour ma part, j’ai occupé avec ma femme, ma fille et mon fils une chambre dotée d’une cuisine pendant près de vingt ans. Lorsque nous avons bénéficié de notre trois-pièces Aadl, il y a de cela trois ans, nous avons eu l’impression de déménager dans un palais. Et un palais, ça consomme beaucoup d’argent.»

Après l’euphorie, l’angoisse

Passés les premiers mois de l’euphorie, Tahar a dû faire face seul à l’explosion de son budget puisque sa femme ne travaille pas. «Dans mon ancienne chambre, il y avait une lampe ou deux, une toute petite télé, un minuscule frigidaire et des matelas par terre. Il a fallu acheter tout les meubles et depuis payer les redevances et un tas d’autres factures. Je ne sais pas comment j’y arrive. Je suis d’ailleurs souvent dans le rouge.» Du stress de l’exiguïté et de la promiscuité, la famille de Tahar est passée maintenant à l’angoisse des fins de mois difficiles.

«Il faut être capable de faire toutes les réparations soi-même pour n’appeler ni le plombier ni l’électricien ni un autre artisan, dit-il encore. Ce n’est évidemment pas possible.»

De toute façon, la spirale des paiements ne cessera pas de monter avec l’urbanisation galopante que connaît le pays. Chaque jour, de nouveaux besoins sont créés par la société de consommation et il faut être un saint pour résister aux chants de ces sirènes.

Les frais des télécommunications, de transports, des loisirs, des vacances et des nombreuses occasions de sorties de fonds décuplent. Et avec l’éclatement de la famille élargie qui se composait de toute la fratrie, du cousinage, de la parentèle proche ou éloignée, les ménages affrontent en rangs dispersés le fardeau et les aléas de l’existence. La famille nucléaire, celle formée d’un père, d’une mère et des enfants ainsi que la famille monoparentale gérée uniquement par l’un des géniteurs, en général la mère, sont de création récente en Algérie.

Elles deviendront cependant la norme dans un futur proche. Ce changement sociologique, dont on observe déjà les prémices, s’accompagnera par la refonte des liens entre les personnes et une nouvelle culture dominée par l’individualisme, voire l’égoïsme. Les vents du chacun pour soi en vigueur dans les sociétés consuméristes commencent à souffler sur nos quartiers et font déjà regretter à la majorité le temps d’avant qui, hélas ou tant mieux, ne reviendra jamais.