Depuis quatre jours, c’est comme un air de guerre froide qui s’élève des confins orientaux de Russie. Sur l’ordre surprise, vendredi 12 juillet, du président de la Fédération de Russie, l’inamovible Vladimir Poutine, des manœuvres militaires, les plus grandes depuis l’époque soviétique, ont été déclenchées dans le district militaire de l’Est, un des quatre du pays-continent, prenant presque par surprise observateurs et Etats voisins.
Ces manœuvres, qui s’achèveront le 20 juillet, impliquent 160 000 soldats et environ 5 000 chars et blindés à travers la Sibérie et l’Extrême-Orient dans une énorme démonstration de la résurgence de la puissance militaire de la nation. Pas moins de 70 navires de la flotte du Pacifique de la Russie et 160 avions et hélicoptères de combat prennent également part aux exercices, qui ont débuté vendredi et se poursuivent cette semaine.
Vladimir Poutine a observé quelques-uns de ces exercices sur l’île de Sakhaline, dans le Pacifique, où des milliers de soldats ont été transportés depuis le continent. Le président russe est apparu aux côtés de toute la haute hiérarchie militaire, notamment le ministre de la défense, Sergueï Choïgou, et le chef d’état-major interarmées, Valéri Guérassimov.
Les entraînements militaires à grande échelle se multiplient depuis plusieurs années. Depuis début 2013, il s’agit du troisième exercice surprise en Russie. Les manœuvres précédentes ont eu lieu à la fin du mois de mars dans la région sud de la mer Noire, impliquant 7 000 soldats, 30 navires de guerre et des centaines de matériels militaires de différents types. L’objectif de telles manœuvres est detester la réactivité et les capacités opérationnelles des forces armées russes dans une région qui est une priorité stratégique pour le pays.
Les forces armées poursuivent un processus de transformation engagé en 1997, qui doit les rendre plus performantes et soutenir l’ambition du président Poutine deredonner à la Russie un statut de puissance mondiale et régionale mis à mal par et après l’effondrement de l’Union soviétique. Cette modernisation repose sur le triptyque « réduction d’effectifs, professionnalisation des personnels et acquisition massive de nouveaux matériels ».
Sur ce dernier point, 20 000 milliards de roubles (468 milliards d’euros) doivent être dépensés sur la période 2011-2020, pour qu’à cet horizon, près de 70 % des matériels en service soient très récents. Une partie seront déployés en Extrême-Orient. Un nouveau sous-marin nucléaire lanceur d’engins (SNLE) de la classe Boreï a déjà été mis en service en octobre 2012 dans la flotte du Pacifique, qui comptait au 1er octobre 2012 vingt-huit sous-marins et grands navires de surface, selon la publication spécialisée de référence sur les marines de guerre Flottes de combat 2012.
MESSAGES ADRESSÉS AUX ÉTATS VOISINS
Ces exercices ne laissent pas indifférents les voisins immédiats de la Russie. Coréens et Japonais ont fait décoller en urgence leurs chasseurs F-15, pour surveiller notamment les vols de bombardiers russes à long rayon d’action TU-95déployés dans le cadre des manœuvres aériennes.
Certes, le ministre adjoint de la défense, Anatoli Antonov, a assuré aux attachés militaires étrangers lundi que l’exercice faisait partie de la formation régulière des troupes. Il a déclaré que la Russie avait averti ses voisins avant le début des manœuvres et fourni des informations particulièrement détaillées à la Chine, en conformité avec un accord de 2004 qui prévoit un échange mutuel de données sur les activités militaires le long de la frontière commune mesurant près de 4 300 kilomètres. Selon lui, les manœuvres ne sont pas dirigées contre une nation en particulier. Les relations économiques et militaires entre la Russie et la Chine sont étroites, comme le montrent les manœuvres navales communes appelées « Mer commune 2013 » entre les deux pays en mer du Japon, qui ont mobilisé du 8 au 10 juillet dix-neuf navires de guerre et environ dix avions.
Il n’en demeure pas moins que certains analystes militaires estiment que la démonstration de force s’adresse bien à la Chine et au Japon. La partie terrestre de ce gigantesque exercice viserait à montrer à la Chine que la Russie peut déployer des moyens importants, s’il venait à Pékin l’idée d’envisager de s’emparer d’une partie de son territoire oriental. Il s’agit aussi d’apaiser les craintes russes face à la montée en puissance de l’armée populaire de libération et à la forte immigration illégale chinoise dans la partie orientale de la Russie.
La partie navale de l’exercice s’adresserait plus au Japon et à son allié américain, signifiant qu’il faut encore compter avec la puissance navale russe. « Konstantin Sivkov, un officier retraité de l’état-major général de l’armée russe, a déclaré au quotidien Nezavissimaïa Gazeta que la partie Sakhaline des manœuvres avait pour but de simuler une réponse à une hypothétique attaque par les forces japonaises et américaines », indique le New York Times. Et le quotidien américain de rappeler que la Russie conserve un important différend territorial avec le Japon sur la partie sud des îles Kouriles – que Tokyo appelle « Territoires du Nord » – à quelques encablures de Sakhaline, une dispute qui représente un obstacle à une véritable normalisation des relations entre le Japon et la Russie. Quelque 3 500 militaires russes sont d’ailleurs déployés dans ces îles situées au nord de l’île septentrionale japonaise d’Hokkaido.
Dans ce contexte, ces « messages » seront-ils suffisants ? La démonstration de force sera-t-elle convaincante ? Au plan intérieur, peut-être rassureront-ils militaires et populations inquiets de l’amenuisement de la grandeur russe. Mais certains observateurs militaires, y compris russes, estiment que l’ex-armée rouge a encore un long chemin à parcourir pour regagner les moyens militaires – et encore plus l’expertise – perdus depuis 1991.