La Suisse a protégé Soltani dans sa fuite

La Suisse a protégé Soltani dans sa fuite

La justice helvétique se penche sur la fuite du président du MSP de Suisse, le 16 octobre dernier, alors qu’il devait participer à une rencontre à Fribourg. Comment Soltani a pu savoir, lors de son court séjour en Suisse, qu’un juge voulait le confronter à son accusateur, Anouar Malek ,qui se dit victime de torture, impliquant l’ancien ministre d’Etat ? Des pistes se précisent.

Nouvelles révélations dans l’affaire des allégations de torture qui collent à Bouguerra Soltani. Anouar Malek, qui se présente comme victime de torture, vient de déposer plainte auprès du ministère public de la Confédération suisse contre « des collaborateurs inconnus du département fédéral des Affaires étrangère (DFAE) ou de la direction du service d’analyse et de prévention (SAP, services secrets suisses) », qui dépend du département de la Défense. Anouar Malek, un ancien fonctionnaire du ministère de la Défense, réfugié à Toulouse, veut savoir qui, à Berne, a permis la fuite de Bouguerra Soltani en l’avertissant de son arrestation imminente par la justice fribourgeoise.

Qui a laissé filer à l’anglaise cet ancien ministre d’Etat alors qu’il était censé participer du 16 au 18 octobre à la rencontre de la Ligue des musulmans de Suisse, au Lac-Noir ? « Nous voulons comprendre le rôle joué par la Berne fédérale dans la fuite de Soltani », déclare Damien Chervaz, avocat d’Anouar Malek. Celui-ci, on le rappelle, accuse Soltani de torture : le président du Mouvement de la société pour la paix (MSP) l’aurait fait torturer en 2005. « Des personnes ont informé les autorités algériennes et permis à Soltani d’échapper à la justice. Au nom de la raison d’Etat », ajoute l’avocat. Erwin Beyeler, le procureur général de la Confédération, doit maintenant enquêter sur les faits. Dans sa plainte dont El Watan Week-end a eu une copie, Anouar Malek accuse des collaborateurs du département fédéral des Affaires étrangères ou du SAP d’avoir violé le secret de fonction selon l’article 320 du code pénal, ainsi que d’avoir entravé l’action pénale de la justice fribourgeoise. « Il y a suffisamment d’éléments qui prouvent des indiscrétions au niveau de l’Etat fédéral », poursuit Damien Chervaz qui martèle : « Cela justifie amplement l’ouverture d’une procédure pénale. Erwin Beyeler doit nous répondre. Sinon, on ira jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme. »

Quelles sont ces preuves ? Le texte de la plainte évoque l’intervention du SAP qui adresse un rapport daté du 15 octobre 2009 à Jean-Luc Mooser, le juge d’instruction fribourgeois qui voulait interroger Soltani. Or, ni le plaignant ni la justice fribourgeoise n’avaient rien demandé au SAP. Seul le DFAE avait été averti par Jean-Luc Mooser. Ensuite, les conclusions du SAP, qui tiennent en deux pages, tendent à dégonfler l’affaire et à dissuader le juge Mooser d’aller plus loin. Pour le SAP, il s’agit de chicaneries entre des membres de l’Etat algérien ou des dissidents du parti politique de Bouguerra Soltani. « Ces affirmations du SAP ne sont absolument pas fondées », rétorque Anouar Malek dans sa plainte. « Elles sont de plus biaisées dans la mesure où elle se réfèrent explicitement aux années 1990, soit une période qui n’est absolument pas visée par ma plainte du 13 octobre 2009 », poursuit-il. Les faits incriminés remontent, en effet, à 2005. Pour l’avocat du plaignant, il est évident que « des fonctionnaires de la Confédération ont empêché la justice fribourgeoise de faire son travail ».

Maître Chervaz en veut pour preuve les déclarations mêmes du juge Mooser. On lui a confirmé que le dépôt d’une plainte contre Soltani n’arrangeait pas le DFAE. Une attitude qui s’explique. Après les affaires Kadhafi et Polanski, Berne cherche à éviter à tout prix qu’une nouvelle grosse bombe diplomatique n’éclate avec un pays tiers. Et surtout pas avec l’Algérie, un pays riche en hydrocarbures et qui pourrait devenir le futur fournisseur principal de gaz et de pétrole de la Suisse. Pour maître Damien Chervaz, toute la lumière doit être faite sur cette affaire et surtout sur l’attitude des services de Micheline Calmy-Rey, chef du département fédéral des Affaires étrangères. « Comment la Confédération pourrait-elle combattre l’impunité dans le monde si elle laisse filer un homme accusé de torture ? La crédibilité de notre ministre des Affaires étrangères est en jeu », soutient l’avocat. La justice fédérale devra aussi expliquer comment Soltani, qui a été vu à la mosquée de Genève le vendredi 16 octobre, accompagné de son épouse, a pu s’échapper dans une berline noire de l’ambassade d’Algérie.

Par Sid Ahmed Hammouche