L’affaire, révélée par le Washington Post, pourrait nuire au début de rapprochement entre Ankara et Israël.
Le silence observé par les autorités israéliennes en dit long sur leur consternation. Vingt-quatre heures après les révélations du Washington Post, qui accuse la Turquie d’avoir «vendu» au régime iranien une dizaine d’agents opérant pour le compte du Mossad au début 2012, aucune réaction officielle n’avait encore été formulée, vendredi soir, par le gouvernement de Benyamin Nétanyahou. Dans son entourage, on se contentait d’observer que l’auteur du scoop, David Ignatius, «est réputé pour son sérieux et son excellente connaissance du Proche-Orient». Une manière de prêter du crédit à des allégations qui, en dépit de l’énergique démenti formulé à Ankara, menacent de faire voler en éclats le laborieux rapprochement engagé ces derniers mois entre les deux pays.
Imputée au chef des services de renseignements turcs, Hakan Findan, la dénonciation de dix ressortissants iraniens soupçonnés d’informer le Mossad aurait entraîné une perte «significative» pour l’État hébreu. Selon un responsable israélien s’exprimant sous couvert de l’anonymat, elle constitue «un coup bas», «un comportement très grave dont on ne se rend pas coupable même lorsqu’on est engagé dans une confrontation ouverte». L’ex-patron du Mossad, Danny Yatom, prédit que l’affaire va compromettre les liens construits par les espions turcs avec de nombreux services amis. «Qui va leur faire confiance, interroge-t-il, et qui va vouloir partager des informations sensibles avec eux?» Une interrogation d’autant plus aiguë que Hakan Findan a déjà été mis en cause pour sa proximité supposée avec les gardiens de la révolution iranienne.
«Qui va vouloir partager des informations sensibles avec les Turcs?»
Danny Yalom, ex-patron du Mossad
Selon l’entourage de Benyamin Nétanyahou, l’incident illustre en tout cas le peu d’empressement de la Turquie à se réconcilier avec Israël malgré les pressions exercées en ce sens par Barack Obama. Les deux pays, qui ont entretenu durant plus d’un demi-siècle une coopération étroite, sont en froid depuis près de cinq ans. L’opération «Plomb durci» menée contre le Hamas en décembre 2009, puis l’arraisonnement de la Flottille pour Gaza en mai 2010, lors de laquelle huit ressortissants turcs trouvèrent la mort, les ont conduits au bord de la rupture. L’ambassadeur israélien à Ankara fut expulsé en septembre 2011 et la coopération militaire, qui impliqua longtemps des exercices conjoints et l’ouverture de l’espace aérien turc aux avions de chasse israéliens, réduite à sa plus simple expression. En mars dernier, les excuses présentées par Benyamin Nétanyahou «pour toute erreur ayant pu conduire à la perte de vies» lors de l’arraisonnement du Mavi Marmara ont, un temps, semblé ouvrir la porte à un rapprochement. «Mais la vague de contestation anti-Erdogan a, depuis lors, conduit le gouvernement turc à geler toute initiative diplomatique et à mettre entre parenthèses le réchauffement avec Israël», explique Gallia Lindenstrauss, spécialiste de la politique étrangère turque à l’Institut israélien des études pour la sécurité nationale.
Pour Dorothée Schmid, chercheuse à l’Institut français des relations internationales, «la Turquie, à force de chercher par tous les moyens à s’imposer comme une puissance régionale, risque à terme de s’isoler et de poser un sérieux problème à son allié américain». Son attitude vis-à-vis du régime iranien est, en particulier, jugée ambiguë. Depuis l’éclatement de la guerre civile en Syrie, les liens entre les deux pays se sont distendus à mesure que la Turquie s’est engagée dans l’aide aux rebelles, tandis que Téhéran soutenait le régime de Damas. Mais en Israël, on n’a pas oublié les tentatives de médiations engagées par Ankara, il y a quelques années, dans l’espoir d’infléchir les sanctions imposées à l’Iran.