La Turquie hausse le ton dans l’affaire Khashoggi: Entre la menace et l’invite

La Turquie hausse le ton dans l’affaire Khashoggi: Entre la menace et l’invite

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En témoigne un chassé-croisé étrange qui voit les autorités turques demander aux Saoudiens de révéler où se trouve le corps du journaliste, tandis que les Saoudiens insistent pour que la Turquie leur remette les enregistrements audio de l’exécution.

Avec le retour impromptu à Riyadh du prince Ahmed ben Abdelaziz, muni de garanties de sécurité britanniques et américaines, il semble que la monarchie saoudienne soit en train de traverser une période de sourdes turbulences, nourries par une contestation du rôle du prince héritier Mohamed Ben Salmane qui fait face à des critiques de plus en plus vives, aussi bien au Royaume-Uni qu’aux Etats-Unis. Le prince Ahmed ben Abdelaziz, frère cadet du roi Salmane, fils du roi Abdelaziz, est rentré en Arabie saoudite après une absence prolongée à Londres «pour lancer un défi au prince héritier Mohammed ben Salmane» qu’il ne serait pas, dit-on, le seul à contester au sein de la famille royale, surtout en cette période où sa cote est au plus bas et où nombreux sont les membres de la fratrie qui lui reprochent d’avoir entraîné le pays dans des situations compromettantes. C’est ce qu’a révélé au site Middle East Eye une source saoudienne proche du prince Ahmed qui aurait multiplié les contacts avec des personnalités partageant ses propres préoccupations.

Du côté de Washington, si l’administration Trump continue à souffler le chaud et le froid, tout en gardant l’oeil rivé sur les importantes commandes d’armes saoudiennes, tel n’est pas le cas au sein de l’Union européenne où plusieurs pays, la France exceptée, se font de plus en plus critiques envers le royaume wahhabite et le prince héritier, soupçonné d’avoir commandité l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi.

Soupçon qui est également évoqué en sourdine par les autorités turques alors que les enquêteurs chargés du dossier commencent à s’impatienter face au «blocage» qu’ils rencontrent auprès des autorités saoudiennes. Le différend entre Ankara et Riyadh n’est certes pas insurmontable, dès lors que le président Erdogan a multiplié les gestes de bonne volonté à l’égard du roi Salmane et même du prince héritier, tout en maintenant l’exigence d’une extradition des 18 suspects du meurtre de Khashoggi. Pourtant, des couacs sont intervenus hier, durant le séjour du procureur général saoudien à Ankara, lorsque Riyadh a refusé aux enquêteurs turcs l’accès au puits situé dans l’enceinte du domicile du consul général, à 500 mètres du consulat lui-même et où, pensent-ils, il se peut que le corps ou une partie de celui-ci puissent se trouver. Et c’est la question que les dirigeants turcs ne cessent de poser aux saoudiens, convaincus que ces derniers savent où se trouve la dépouille de Khashoggi mais refusent obstinément de le révéler. Quant au commanditaire, c’est une autre affaire dont on peut penser qu’à la surenchère des uns répond le silence équivoque des autres. En témoigne un chassé-croisé étrange qui voient les autorités turques demander aux Saoudiens de révéler où se trouve le corps du journaliste, tandis que les Saoudiens insistent pour que la Turquie leur remette les enregistrements audio de l’exécution, dont des détails ont été à maintes reprises divulgués aux médias turcs et américains. Ce qui explique l’ attaque à peine voilée contre le prince héritier à laquelle s’est livrée mardi dernier le président turc Recep Tayyip Erdogan qui a accusé ce jour-là les Saoudiens de protéger le responsable du meurtre. «Un jeu visant à sauver quelqu’un repose en-dessous de cela», a déclaré Erdogan à la presse à la suite d’un discours prononcé devant le Parlement. «Nous n’abandonnerons pas le meurtre de Khashoggi.» a-t-il averti non sans promettre d’en révéler davantage dans les jours qui viennent. Un avertissement qui a tout l’air d’une invite! Toujours est-il que le procureur général d’Arabie saoudite Saoud al-Mojeb a rencontré le procureur général d’Istanbul, Irfan Fidan, à deux reprises au cours des deux derniers jours, sans que l’une ou l’autre partie ne fasse état d’un quelconque progrès dans l’enquête menée «en commun».