Vue du Tell, Hassi Messaoud est pour le commun des Algériens la ville la plus riche du pays. Ses torches alimentées par le gaz naturel qui ne s’éteignent jamais, les va-et-vient incessants de jets privés transportant les patrons des puissantes multinationales et délégations officielles lui confèrent justement ce statut de ville prospère.
«Depuis deux ans maintenant, le commerce ne marche plus comme avant. Les gens, ici, comptent leurs sous et ne les dépensent que pour ce qui est nécessaire», a déploré Nadjib, un commerçant qui tient une boutique d’articles d’artisanat au niveau du boulevard principal de la ville. «Du temps où le pétrole valait 100 dollars et plus, ce boulevard derrière vous ne désemplissait pas, surtout le soir.
Alors, les commerces en tout genre restaient ouverts jusqu’à des heures tardives de la nuit et faisaient de bons chiffres d’affai»es», se remémorait-il avec beaucoup de nostalgie. Le regard perdu, Nadjib replie une djellaba qu’une femme ne voulait pas lui acheter, jugeant le prix élevé, pousse un soupir chargé d’amertume, avant de poursuivre : «De nos jours, et à défaut de clients, personnellement, je ferme boutique dès que le soleil vient à se coucher».
Quand le… pétrole va, tout va, et vice-versa !
Poumon économique de l’Algérie, tout tourne ici atour de l’or noir. Cette ville qui dans les années 50 et 60 n’était qu’une petite oasis où les bédouins et chameliers s’arrêtaient pour se désaltérer et faire abreuver leurs montures est sortie de l’anonymat grâce à la découverte de ce liquide visqueux annonciateur d’une nouvelle révolution industrielle et qui coulaient à flots, à tel point que la presse française de l’époque la nommait le «puits heureux» ou «puits du bonheur», traduction intégrale de Hassi Messaoud.
Elle connaîtra ses années fastes dans les années 70 avec la nationalisation des hydrocarbures, pour devenir ensuite la Mecque des multinationales qui jouaient des coudes dans l’espoir de se frayer une place malgré le soleil du Sahara.
Tel un mirage du désert, le temps de la vache à lait semble s’éloigner de cet immense univers.
«Je suis arrivé à El Hassi il y a plus de dix ans. J’étais jeune diplômé de l’institut de l’hôtellerie et du tourisme de Bou-Saada et tout le monde autour de moi me conseillait de venir ici. C’était vraiment l’eldorado algérien», se rappelait Ouali, comme si c’était hier.
Il a commencé par faire des petits métiers, et est actuellement maître d’hôtel. «Avant 2014, notre établissement affichait tout le temps complet. Mais depuis, nous avons connu des périodes où nous restions une semaine entière sans l’ombre d’un client», nous a-t-il confié, et d’ajouter avec toutefois une note d’humeur : «Restez encore quelques jours avec nous pour nous tenir compagnie. On va vous offrir un bonus».
Comme un invité de mauvais augure, cette crise semble vouloir prolonger son séjour. Et s’il y a un endroit dans la ville où elle a élu domicile, c’est bien à Batima hamra (le bâtiment rouge). Ce quartier où les constructions sont plus ou moins neuves abrite entre autres le marché de la ville. A l’intérieur et aux abords de ce grand bazar, on vend de tout, à condition, bien évidemment, de trouver preneur. Tissus, prêt-à-porter, électroménager, cosmétiques, fruits et légumes… El Hassi n’a absolument rien à envier à ses lointaines cousines du Nord. On se croirait à Sahat Echouhada d’Alger ou à la M’dina J’dida d’Oran avec la propreté et l’ordre en supplément.
Mais malheureusement pour les marchands, les clients se font rares et ce, malgré l’appui du climat clément qu’offre cette journée du mois de novembre. «Les affaires sont plutôt moroses», commente Rabah, un marchand de dattes. «Le peu d’acheteurs qui viennent s’approvisionner chez nous sont comme vous : des passants», fait-il remarquer, avec un air de dire qu’il a reconnu notre provenance et qu’il était inutile de trop marchander, car sa marge de profit était en tous les cas «minime».
Expliquant les mauvaises performances du commerce à Hassi Messaoud, du moins en ce qui le concerne, Rabah, au fait de la chose politique, remonte à plus loin. «Le recul du commerce de la datte chez nous n’est pas né avec la crise pétrolière. Notre chiffre d’affaires a commencé à baisser lorsque des instructions sécuritaires ont été imposées aux expatriés de ne pas s’aventurer seuls, après les prises d’otages ayant ciblé des étrangers en Algérie et dans le reste des pays limitrophes».
Cette localité, sortie il y a soixante ans du néant, implore les plus puissants des saints patrons du Sahara pour retrouver des jours meilleurs.
On a toutefois la conviction que son devenir se dispute autour d’une table à Vienne, où les animateurs sont des monarques du Golfe, suspendus à une décision qui viendrait de Washington, Londres ou Moscou.