A une dizaine de kilomètres d’Oran, deuxième plus grande ville du pays, un lac salé, Télamine, est chaque année le théâtre d’une belle histoire naturelle : le regroupement de milliers de flamants roses, élégants échassiers qui s’empourprent à la saison des amours.
Visiter le lac Télamine, situé dans la commune de Gdyel, à l’Est d’Oran, suscite des sensations contradictoires. L’émerveillement face à la beauté de ce site, où des milliers de flamants roses hivernent chaque année, est vite rattrapé par la désolation que vient réveiller une forte odeur d’égouts repoussante, qui agresse le visiteur déjà à de dizaines de mètres du lac.
Alors que ce lac offre un véritable plaisir pour les yeux, avec ses eaux étalées sur une superficie de 1.100 hectares, passant du bleu au blanc minéral et ses innombrables tâches roses blanchâtres, l’odeur qui se dégage du site suscite une sensation désagréable, et une multitude de questions sur le sort de ce site laissé à l’abandon, avec des promesses de sauvegarde qui n’aboutissent jamais.
Guidé par un élément de la Conservation des forêts de la wilaya d’Oran, en marge d’une visite officielle au site, cheminant une piste qui traverse une ferme d’élevage, l’APS a pu se rapprocher pour voir de plus près les majestueux flamants roses.
Pour approcher ces oiseux très nerveux, qui s’envolent en groupe au moindre bruit, il faut ruser : s’approcher à pas feutrés, comme un voleur affuté. Se cacher et même ramper pour tromper la haute vigilance des échassiers.
Avide de renouer avec la nature dont il a été privé, un citadin ne peut être que ravi de découvrir qu’à quelques kilomètres de la ville, il peut y avoir un site aussi beau et aussi sauvage que le lac Télamine.
Un site de reproduction …
Un consensus est fait, présentant la saline comme un site d’hivernage du flamant rose, où il séjourne entre les mois de janvier et juillet de chaque année. Pourtant, une étude menée par un laboratoire de recherche de l’université de Guelma a prouvé qu’il s’agit d’un site de reproduction.
Une raison de plus pour prendre des mesures pour conserver le site, estiment les spécialistes.
Le rôle des zones humides algériennes a longtemps été occulté. L’espèce étant considéré seulement comme hivernale, avec un effectif maximum ne dépassant pas les 5.000 oiseaux, a noté le Pr Boujemaâ Samraoui, président du Laboratoire de conservation des zones humides à l’université de Guelma, qui a mené l’étude sur la nidification du flamant au Lac Télamine.
Pourtant l’étude menée par ce laboratoire en 2015, a pu prouver que le flamant rose se reproduit bel et bien dans le lac Télamine. Mieux encore, l’effectif des oiseaux a été estimé à plus de 12.000 individus, ce qui hisse le lac au rang de deuxième plus important site de groupement du flamant rose en Algérie après Sebkhet Ezzemoul, dans la région d’Oum El-Bouaghi.
Au cours des dernières années, l’étude du flamant rose en Algérie a permis la localisation de 7 sites de nidification, a assuré le Pr Samraoui, dans un entretien à l’APS, ajoutant que sur trois de ces sites (Ezzemoul, El Goléa et Safioune), il a été constaté que l’espèce s’est reproduite à six reprises avec succès, conduisant à l’envol de plus de 20.000 poussins.
Derrière la découverte de la nidification du flamant rose au lac Télamine, apparaît un ornithologue amateur, Ali Mahadji, qui sillonne depuis une vingtaine d’années le territoire national pour photographier des oiseaux.
Son regard connaisseur a pu détecter les nids des flamants roses au lac Télamine. Après avoir posté les photos sur un forum réunissant les ornithologues maghrébins, le laboratoire de l’université de Guelma s’est intéressé sur le sujet et a décidé de lancer une étude.
Ali Mahadji, un sexagénaire natif d’Oran et établi à Paris, séjourne fréquemment dans le pays et connait bien le lac Télamine où il a passé des jours et des nuits à la recherche d’un beau cliché. Contacté, il a indiqué que la pollution n’est pas l’unique danger qui menace le lac et ses flamants, les chiens errants qui s’attaquent surtout aux oisillons et les braconniers sont aussi des prédateurs redoutables.
Un site en danger ….
A la Conservation des forêts, on reste vague sur la question des braconniers, estimant que la chaire du flamant rose n’est pas comestible.
Pour les chiens errants, le responsable du bureau de la protection de la faune et la flore de la Conservation des forêts a indiqué que plusieurs campagnes d’abattage ont été organisées, ajoutant que l’environnement immédiat du lac a été nettoyé, notamment des tas de déchets inertes souvent déversés par les riverains.
Le problème majeur du lac reste la pollution qui, selon le président de l’association Boudour, Mohamed Akroum, risque d’asphyxier le lac ainsi que sa flore et sa faune si rien n’est fait.
Le site est très dégradé. C’est écrit noir sur blanc dans toutes les présentations du site, dont celle de la Conservation des forêts. Ce n’est un secret pour personne. Quelque 10.000 m3 d’eaux usées provenant des communes de Benfréha, Hassiane Toual, Hassi Ben Okba, Hassi Mefsoukh et Gdyel ainsi que de la zone industrielle de Hassi Ameur sont quotidiennement déversés dans ce site.
A chaque fois que la voix de la société civile s’élève pour dénoncer le sort réservé à ce lac, les autorités promettent de régler le problème par le biais d’un projet de mise en place d’une station de traitement des eaux usées (STEP), avant de les déverser dans le site. Ce projet date de quatre années mais rien n’a été fait dans ce sens jusqu’à présent, souligne M. Akroum.
Le projet de la STEP exigeant une enveloppe de 700 millions de DA, n’a toujours pas été inscrit. L’association Boudour a proposé de construire des bassins de décantation en amont du lac pour filtrer les eaux usées qui viennent des communes avoisinantes, un projet beaucoup moins couteux.
L’ex-wali d’Oran, Abdelghani Zaalane, avait approuvé l’idée et assuré lors d’une visite au lac, le 14 mai dernier, à l’occasion de la journée mondiale des oiseaux migrateurs, que sept bassins de décantation seront construits.
En attendant que la protection de l’environnement et les questions relevant de l’écologie deviennent des priorités et que des mesures concrètes et urgentes soient adoptées, le lac Télamine risque de s’éteindre. Les flamants trouveront d’autres sites pour hiverner et même se reproduire, mais Oran aura perdu un site naturel où la richesse de la biodiversité a peu d’égale.