Par
«Lakhdar Bouregaâ est l’un des onze membres fondateurs du FFS», nous a déclaré Djilali Leghima, qui en fait lui-même partie.
Jusqu’à quand allons-nous continuer à laisser salir les symboles du combat libérateur? A qui profite «le crime»? «Lakhdar Bouregaâ n’a jamais été membre fondateur du FFS. Il a simplement lu une déclaration, par opportunisme, de 1963 et retourné casaque immédiatement», écrit Samir Bouakouir. Sur les réseaux sociaux, ceux qui se disputent la mémoire de Hocine Ait Ahmed, la direction du FFS et les militants, d’un côté, et sa famille, de l’autre, offrent un spectacle des plus désolants. Fallait-il en arriver là?
Un des fondateurs du Front des forces socialistes et un de ses chefs militaires lors de l’insurrection de 1963, le chef de la Wilaya IV historique, Lakhdar Bouregaâ, est attaqué par des aventuriers politiques sans repères, anciens cadres du FFS, et s’autoproclamant héritiers de Ait Ahmed.
«Sabaâ snin barakat!»
Ces anciens cadres du FFS, par calculs politiques, se montrent alliés à la famille du défunt pour dénier à la direction du parti la légitimité de commémorer la mémoire de Ait Ahmed. Le commandant Bouregaâ a eu le malheur de répondre présent, comme il l’a toujours fait d’ailleurs, pour rendre hommage à son ancien compagnon de lutte, invité qu’il était par la direction légitime du FFS. Présent aux côtés de la direction du parti, lors de la commémoration du troisième anniversaire de la disparition de Hocine Ait Ahmed, le chef de la Wilaya IV historique est pris pour cible et accusé d’«opportunisme» lors de la révolte armée de 1963 par les vrais opportunistes et revanchards d’aujourd’hui qui se découvrent une proximité avec la famille de Ait Ahmed, laquelle se dit dépositaire et expose un testament du défunt selon lequel sa mémoire ne doit faire l’objet d’aucune exploitation politique.
Se recueillir sur la tombe de l’homme dont le nom se confond avec celui du FFS, entouré de cadres fraîchement exclus par la direction du parti et chasser cette même direction en invoquant un testament, cela ne constitue-t-il pas un parti pris? Mieux, cela n’est-il pas en contradiction avec les termes mêmes du prétendu testament? Les dommages collatéraux sont préjudiciables. Lakhdar Bouregaâ est traité d’«analphabète politique». Certes, il ne s’y connaît pas en politique politicienne et en alliances partisanes de circonstances, souvent motivées par des intérêts bassement personnels, mais il s’agit d’un produit pur du mouvement national forgé par le terrain, un militant dont l’engagement et la fidélité – cette denrée rare en politique – ont été reconnus par Krim Belkacem et Ait Ahmed, Boudiaf et d’autres chefs de la Révolution.
«Lakhdar Bouregaâ est l’un des onze membres fondateurs du FFS», nous a déclaré Djilali Leghima, qui en fait lui-même partie. Lakhdar Bouregaâ n’avait pas attendu la création du FFS pour s’opposer les armes à la main avec ses troupes de la Wilaya IV historique au coup de force de l’Armée des frontières, contre le GPRA. Il a été membre du Conseil national de la révolution algérienne (Cnra) qui s’est opposé aux résolutions de la rencontre de Tripoli en soutenant le GPRA et son président Benyoucef Benkhedda, auquel le Cnra a adressé une lettre, le 22 juin 1962, lui demandant de prendre des sanctions contre Ben Bella et Boumediene. Et il se trouve encore des personnes qui écrivent sur le Net des inepties du genre «Bouregaâ était proche de Ben Bella»! Après la prise d’Alger par l’armée des frontières, le commandant Bouregaâ ne signe pas sa reddition et continue à lutter contre le régime qui s’est mis en place. Il se met à la disposition de Krim Belkacem et Mohamed Boudiaf qui avaient signé un communiqué commun annonçant la création du Comité de liaison et de défense de la révolution (Cldr).
La mystérieuse rencontre
Ensuite, il rejoint Krim Belkacem en Kabylie, en juin 1963, et prend part à la création de l’Union pour la défense de la révolution socialiste (Udrs), qui allait entrer dans une logique de guerre, déterminé à chasser par la force des armes «les usurpateurs de l’indépendance». Le 3 juillet 1963 devait être la date fatidique pour mener l’assaut contre le groupe dit de Tlemcen. Les grandes manifestations populaires scandant «Sabaâ snin barakat!» (Sept ans, ça suffit!), la position de certains chefs historiques, dont Hocine Ait Ahmed, par principe «contre la violence», et l’arrestation de Boudiaf le 21 juin 1963, sont autant d’éléments qui se sont conjugués pour tuer dans l’oeuf ce projet d’insurrection.
On ne touche pas aux symboles de la révolution
Après sa démission de l’Assemblée nationale fin juin 1963, Aït Ahmed quitte Alger pour Michelet (aujourd’hui Aïn El-Hammam) et déclare son opposition radicale à Ben Bella et à son régime. C’est à ce moment-là que le chef de la Wilaya IV historique se mettra au service de l’union de l’opposition pour faire front contre le pouvoir né du coup d’Etat de l’armée des frontières contre le GPRA. Le commandant Bouregaâ et le colonel Mohand Oulhadj (chef de la Wilaya III historique) serviront de médiateurs entre Krim Belkacem et Ait Ahmed, comme nous l’a confirmé Lakhdar Bouragaâ en personne. «Nous avons été chargés par Krim Belkacem, le chef de la Wilaya III historique Mohand Oulhadj et moi, de rencontrer Ait Ahmed. Nous avons été chez lui à Aïn El-Hammam, nous lui avons soumis la sollicitation de Krim et des militants autour de lui pour combattre ensemble le régime de Ben Bella et Boumediene; mais l’initiative n’a pas marché», nous avait confié Bouregaâ. L’aventure de l’UDRS de Krim Belkacem n’allait pas durer et c’est sur ses ruines que Hocine Ait Ahmed créera le Front des forces socialistes. Et lorsque Ait Ahmed annonça que «le FFS a attaqué les troupes de Boumediene dans la Mitidja», il s’agissait en fait d’opérations menées par les troupes de… Lakhdar Bouregaâ, n’en déplaise aux bonimenteurs et aux falsificateurs de l’Histoire.
Proche de Ait Ahmed, Bouregaâ est associé aux actions les plus délicates et secrètes du chef du FFS, comme la fameuse rencontre de la villa Joly (à laquelle il a assisté) avec Ben Bella au lendemain des premiers accrochages à la frontière marocaine. Lakhdar Bouregaâ nous a confié dans le cadre d’un entretien pour un ouvrage, des détails de cette rencontre: «Dès qu’ils se sont vus, Ben Bella s’enquiert de la famille de Hocine Ait Ahmed: «Comment va Djamila (sa femme) et Jugurtha (son fils)?»; à son tour, Ait Ahmed demande des nouvelles de la famille de Ben Bella. La suite des échanges allait être plus corsée, mais toujours tintée d’une espèce de regrets et de nostalgie: «Jamais je n’ai imaginé qu’un jour, toi Hocine, tu retournerais les armes contre moi!» reproche Ben Bella à son invité. Et Ait Ahmed de répliquer: «Moi aussi, je n’ai pas compris comment tu as pu arrêter et emprisonner Boudiaf?». Selon Lakhdar Bouregaâ, il a été décidé par Ben Bella lors de cette rencontre de relever de ses fonctions le colonel Boumediene et de nommer à sa place Tahar Zbiri.
Ait Ahmed fait toujours parler de lui
C’est d’ailleurs, à cause de cette fameuse rencontre et du début de rapprochement Ait Ahmed-Ben Bella que ce dernier a été renversé par Boumediene. Après l’insurrection du FFS, Lakhdar Bouregaâ demeurera dans l’opposition et subira les pires sévices et tortures du régime de Boumediene. Il sera condamné à 10 ans de prison, accusé d’avoir fait partie du groupe dirigé par Krim Belkacem visant l’assassinat de Boumediene, puis à 20 ans de prison pour avoir participé à la tentative de coup d’Etat menée par Tahar Zbiri. Il passera 7 ans de prison ferme. Lakhdar Bouregaâ a su se tenir loin des rouages du pouvoir et des attraits de la mangeoire. Il est resté fidèle au combat démocratique et aux idéaux du Mouvement national. Il a toujours répondu présent aux rendez-vous commémoratifs de la révolution avec le peuple et loin des cérémonies officielles. Du haut de ses 85 ans, le fidèle compagnon de Hocine Ait Ahmed fait toujours parler de lui et jaser les mauvaises langues. La politique obéit aux fluctuations du moment. L’Histoire est immuable.