L’Etat, ce grand dépensier, vit au-dessus de ses moyens ; nous fabriquons, aujourd’hui, les freins à la croissance de demain, en ne comptant que sur le pétrole
Les plus raisonnables parmi les experts, prédisent au pays exportateur de pétrole qui est le nôtre, des années insupportables. Il en serait de même concernant beaucoup de pays producteurs qui ont besoin d’un cours de l’or noir élevé, pour financer leurs dépenses, a affirmé l’Agence Internationale de l’Energie (AIE) dans son dernier rapport.
Le discours des pouvoirs publics, renouvelé à chaque fois, faisant part de la volonté de diversifier l’économie nationale pour échapper à la dépendance éternelle aux hydrocarbures a été battu en brèche, la réalité nous a rattrapé : le baril a perdu plus de 50% de sa valeur. Et par ricochet, les réserves de devises du pays sont passées de 194 milliards $ à la même période de référence de 2013, à 193,26 milliards $ à fin juin 2014 et, à moins qu’à ce niveau aujourd’hui.
Notre pays, selon les mêmes experts, a besoin d’un baril de plus de 100 dollars pour maintenir ses équilibres budgétaires et préserver sa position financière extérieure, sérieusement fragilisée par la diminution des rentrées du pétrole et du gaz, lequel gaz est indexé au pétrole et à sa chute.
Pour sortir de cette situation, Karim Younès, l’ancien président de l’APN estimait qu »’il est urgent de battre le rappel de toutes les intelligences pour dessiner la voie de l’Algérie du siècle en cours, et dresser l’inventaire des nouveaux défis. Il évoque, entre autres, les 40 000 cadres supérieurs exilés au Canada dans les années 1990 et tous ceux, partis bien avant la décennie rouge, fuyant la vindicte des cancres, accrochés aux postes de responsabilité. Il est grand temps, s’il n’est pas encore trop tard, d’activer le chantier d’une nouvelle perspective, de redéfinir une stratégie de développement du pays, de le projeter dans le monde pour y tisser des relations internationales, y faire reconnaître nos atouts potentiels, assumer notre part dans la coopération et le partenariat avec les pays de l’Afrique », avait ajouté l’ancien président de l’APN.
« L’indifférence du pouvoir »
Moins optimiste, Abderrahmane Hadj Nacer, ancien gouverneur de la Banque centrale d’Algérie, avait pour sa part prédit : « Si les pouvoirs publics ne changent pas de vision, l’Algérie ne pourra pas éviter le rééchelonnement, tout en mettant en exergue que le FMI n’est pas, comme on le croit, une institution financière mais plutôt un instrument de domination. Le FMI sert, selon lui, aux Etats-Unis à contrôler l’économie mondiale et soumettre les pays à sa volonté ». Mis à part le peuple qui, à la lecture notamment des journaux, s’inquiète, précocement, de la chute du prix du pétrole, la sphère dirigeante manifeste une espèce d’indifférence, singulièrement, effrayante ; des déclarations contradictoires émaillent la scène médiatique, des propos scindés entre ceux qui affichent un optimisme factice, en dépit de cette menace économique qui est à nos portes, et ceux qui exposent un pessimisme, réellement, tangible.
Tous ces débats, donnent le tournis au citoyen lambda, qui pense que « l’Etat, en fin de compte, ne dépense pas trop, au regard de tout ce qu’il a réalisé jusque-là, mais qu’il se fait voler » ; toutefois, il faut être, vraiment, de mauvaise foi pour ne pas reconnaître les énormes efforts déployés par l’Etat pour doter le pays en infrastructures de base, barrages hydrauliques, voies ferrées, routes, métros, tramways, logements etc. Le peuple s’attend, néanmoins, à des perspectives difficiles, d’autant plus qu’il se perd en conjectures, malgré les sorties optimistes des ministres les plus en vue du gouvernement, et en l’absence d’une communication officielle du Premier ministre sur le sujet.
L’heure est grave, disent les plus pessimistes, mais c’est à l’Etat qu’il revient de prendre les mesures qui s’imposent et à Abdelmalek Sellal de parler et d’affranchir la population sur ce qui l’attend ; il doit le faire, pour rassurer les uns et les autres et leur dire, par exemple, qu’il est temps pour le pays d’aller vers une économie de production, casser la dynamique routinière, c’est-à-dire libérer l’investissement et l’initiative de création d’entreprises et stopper, aussi, la tendance à « l’informelisation » de notre économie; l’informel a été chiffré, à 6000 milliards de dinars, il faut trouver le moyen de le taxer, d’autant plus que la formule de l’emprunt obligataire n’a pas donné de résultats probants ! C’est une des solutions admises, à même de faire face à la réduction des recettes suite à la chute du baril de pétrole. Ne pas collecter cet impôt, c’est rééditer l’exemple de la Grèce qui a payé cher son « laisser aller » en la matière.
La Turquie, a réussi, pour sa part, à s’extirper du poids du circuit de l’informel grâce à des mécanismes proactifs de recouvrement de l’impôt, des réformes macroéconomiques, notamment concernant les entreprises. Des politiques à prendre en modèles, selon certains !
L’heure est grave !
Un autre expert, Abdelmalek Lamiri, pense que « les pouvoirs publics peuvent, d’ores et déjà, s’attaquer à cette menace qui ne dit pas son nom, à savoir les importations ; on ne peut pas continuer, dit-il, à subventionner les importations de costumes Pierre Cardin ou les kiwis ! ». L’expert estime, par ailleurs, que les mesures prises par le gouvernement jusque-là sont isolées en ce sens qu’elles touchent, différemment les secteurs, alors que la solution passe par des décisions globales ; on ne peut pas, par exemple, développer l’agriculture si les autres départements ne suivent pas.
La chute du prix du pétrole n’est plus une vue de l’esprit, mais une réalité désormais présente et pressante. La crise affole médias et experts de tous bords. Tout le monde s’accorde à le dire, l’heure est grave. Déflation, récession, chômage accru et nouvelle tempête financière sur l’Algérie ne sont pas des menaces en l’air !
Le pays, en cette fin de semaine, est l’épicentre de l’économie mondiale. Le prestigieux Centre International des Conférences inauguré au début de ce mois par le président de la République Abdelaziz Bouteflika accueillera 72 pays participant aux travaux du 15ème Forum International des Energies. En marge des travaux, l’OPEP tiendra une réunion informelle pour débattre et éventuellement prendre des décisions concernant le prix du pétrole qui n’en finit pas de baisser. Les enjeux sont énormes pour tous les pays producteurs taraudés, à coup sûr, par cette question lancinante : « Est-ce que le politique primera sur l’économique ou le scénario inverse qui l’emportera lors de cette réunion informelle de l’OPEP ? ».
Le ministre de l’Energie, Noureddine Bouterfa a tenu à rappeler aux journalistes que l’Algérie est connue pour avoir toujours joué un rôle de conciliateur au sein de l’OPEP. Un dialogue intense s’est instauré entre les pays producteurs avec lesquels il a été convenu les approches suivantes :
La production de l’OPEP doit être, significativement, inférieure au niveau du mois d’août passé
L’effort doit être partagé par tous les membres de l’OPEP en tenant compte du cas particulier de la Lybie
Tout accord doit être limité au temps nécessaire, pour résorber les stocks pétroliers
L’accord, s’il devait intervenir, devra être crédible aux yeux du marché
Le ministre de l’énergie a, néanmoins, occulté le facteur géopolitique et une probable volte-face des gros producteurs (Iran et Arabie-Saoudite) qui peuvent faire capoter la réunion d’Alger. Et l’OPEP perdra et son rôle du régulateur du marché et sa crédibilité. Alors il faudra attendre 2017 pour que se construise un consensus autour d’une limitation de la production afin que les prix atteignent les niveaux espérés. Entre temps, les pays producteurs tel que l’Algérie vont énormément souffrir de la dégradation de leurs recettes financières et partant, leur situation interne sera intenable.
Dans le pays justement, le nouveau plan économique ou modèle de croissance, est officiellement en cours d’élaboration ; il a pour ambition, laisse-t-on entendre, de freiner le ralentissement de la croissance en ouvrant la voie à la diversification de l’économie nationale, dans un contexte, comme il a été rappelé supra, de chute drastique du prix du pétrole. Ce plan compte sur l’investissement des énergies renouvelables, l’agro-industrie, les services, l’économie numérique et celle du savoir, l’industrie en aval des hydrocarbures, une amélioration du climat des affaires, une ouverture aux investissements privés et publics et la promotion des exportations hors hydrocarbures, note «Foreign Policy», un média américain.
Toutefois, la mise en œuvre de ce plan serait compromise ou entravée par une approche très bureaucratique et centralisée du développement économique et par un manque de transparence et de clarté quant aux modalités de mise en place et de gestion dudit plan. De plus, l’attractivité du pays pour les investisseurs étrangers, avec notamment la règle 51/49 et l’impossibilité pour ces derniers de contrôler leurs projets et entreprises ajoutent à la difficulté.
Il y a une semaine, rappelons-le, le Fraser Institute classait l’Algérie à la 151e place sur 159 pays en matière de liberté économique, avec une marge de commerce à la 154ème position et un système légal au 6ème rang. La perspective d’un accord possible entre pays de l’OPEP pour une hausse du prix du baril de pétrole peut permettre d’espérer un sursis, ce qui laisserait du temps à l’Algérie pour réformer son économie sur la voie de la diversification, conclu Foreign Policy. Pour cela, il faudrait que le gouvernement retrouve sa cohésion perdue ! Des ministres se contredisent et s’échangent des accusations et des mises au point, ce qui a fait réagir un éditorialiste qui a rappelé bien à propos que «majoritairement, les ministres n’ont pour seule ambition que leur maintien au gouvernement à n’importe quel poste ! Ils sont prêts pour la plupart, à tout brader pour y rester. Certains même se font remarquer par leur haut degré de soumission, ou carrément par leur incompétence en ce qui concerne les ministres issus de la filière des walis».
Il faut peut-être se souvenir écrivait encore un autre journaliste, qu’à l’entame de son mandat en 1999, le président de la République se plaignait déjà du niveau des ministres qui formaient alors le gouvernement, jugeant qu’ils n’avaient pas la stature d’hommes d’Etat, et que le meilleur d’entre eux ne pouvait postuler, au mieux, qu’à un poste de chef de service ! Aujourd’hui, 17ans plus tard, on n’ose pas imaginer, poursuit le même journaliste, ce que le Chef de l’Etat aurait dit de ses ministres, s’il avait la verve d’antan !
Actuellement, c’est le sort de Abdelouahab Nouri et Bakhti Belaïb qui préoccupe l’opinion, tant ces deux hommes ont défrayé la chronique en brisant l’omerta, même si depuis, le ministre du Tourisme semble avoir fait sienne cette recommandation de Jean Pierre Chevenement qui a affirmé qu’ »un ministre de la République, ça ferme sa gueule ou, ça démissionne ! ». L’avenir de la ministre de l’éducation nationale, Nouria Benghebrit inquiète également tous ceux qui veulent la voir poursuivre sa mission dans l’exécutif.
Le temps est venu peut-être pour le président de la République où il devra trancher pour, au moins, redynamiser ce gouvernement qui tâtonne, même s’il recèle en son sein un ministre de l’énergie qu’on disait »sans vision» mais qui vient pourtant de réussir un coup d’éclat diplomatique voire même économique, au point où Chakib Khelil en personne, n’a pas hésité à le complimenter «malgré son inexpérience », a-t-il, néanmoins, tenu à préciser en guise de bémol ! Noureddine Bouterfa pourra-t-il pour autant, faire entendre la voix de l’Algérie au sein de l’OPEP ?
Quelle sera désormais la stratégie pétrolière de notre pays ?
Ira-t-on vers une intensification de l’exploration, ou misera-t-on alors, sur l’intensification de l’extraction du pétrole ?
Va-t-on opter, maintenant, pour la valorisation des hydrocarbures nationales à travers la pétrochimie, ou continuera-t-on à vendre du pétrole brut pour importer, en définitive, de l’essence ?
Autant de questions que ne se posent pas, à l’évidence, ceux de l’opposition ! Ils se prétendent, pourtant, porteurs d’une alternative politique et d’un projet économique pour le pays. Mais, force est de constater, qu’ils en sont toujours aux constats et aux dénonciations des «dépassements» du pouvoir sans pour autant avancer des options et des perspectives de rechange. Il faut admettre que la régression politique est telle en Algérie, qu’une erreur d’infographie sur un manuel scolaire a, en définitive, pris plus de place que les idées politiques dans le débat national, l’été durant.
Pourtant le pays, en ces moments difficiles, a besoin de toutes ses énergies y compris celles de l’opposition qui peuvent intégrer le prochain gouvernement. Personne, d’ailleurs, n’imagine un exécutif où tout le monde se tiendrait, tendrement, la main pour le plus grand bonheur possible. Ce serait ridicule et même malsain, car la démocratie, c’est aussi la bagarre et l’alternance. Dans l’urgence d’aujourd’hui, on pourrait admettre qu’il existe des choses plus urgentes et plus importantes que celles consistant à exiger, de manière aussi redondante que lassante, une période de « transition » ou des élections présidentielles « anticipées » !
Bien entendu, ce n’est pas facile, car cela revient, pour chaque camp, à brutaliser son aile la plus conservatrice. Gouverner, c’est tendre jusqu’à casser tous les ressorts du pouvoir, disait Clémenceau, figure française de l’Union sacrée pendant la grande guerre, mais qui n’a jamais cessé de boxer, férocement, ses adversaires politiques. Tout en les respectant.