Vingt ans après le Maroc, deux ans après la Tunisie, l’Algérie s’apprête à son tour à se doter, de nouveau, d’une carte nationale du journaliste professionnel. Le Ministère de la Communication a lancé une consultation des journalistes sur le projet de texte réglementaire.
Depuis la fin du mois de juillet, les professionnels des médias algériens peuvent laisser leur avis sur le site du Ministère de la Communication concernant le projet du texte réglementaire élaboré par la Commission consultative autonome qui fixe « les modalités de délivrance de la carte nationale de journaliste professionnel » et « énonce les critères nécessaires à l’exercice du métier de journaliste professionnel »
« La Carte nationale de journaliste professionnel est délivrée par une commission paritaire autonome dite « Commission de la carte nationale de journaliste professionnel (CCNJP) », indique l’article 3. Les membres de la commission, au nombre de 12, huit titulaires et quatre suppléants, sont élus pour une durée de quatre ans. « Le texte précise le profil des électeurs, mais pas celui des élus », regrette Mazouz Rezigui, ancien directeur du Conseil supérieur de l’information (CSI) et enseignant associé à l’Ecole de journalisme d’Alger. « Il serait bien, par exemple, d’avoir un magistrat spécialisé dans le droit du travail au sein de la commission », suggère-t-il. Le professeur relève par ailleurs l’absence d’indications sur le rôle de chaque instance, ce qui laisse craindre des « ambiguïtés dans les relations entre CCNJP et les autorités de régulation mise en place dans le projet de loi sur l’audiovisuel ».
L’Algérie avait pourtant pris une longueur d’avance sur ce terrain dès les années 1980, lorsqu’une carte de presse était délivrée par les ministères de la communication et de l’intérieur, sous le système du parti unique. La loi de 1990 avait ensuite mis en place un Conseil supérieur de l’information qui avait commencé à délivrer les cartes de presse. Le texte avait cependant été progressivement vidé de son contenu, et les prérogatives du conseil transférées au ministère de l’information par simple arrêté, ce qui avait débauché sur l’abandon pur et simple de la carte de presse. Des commissions plus ou moins indépendantes Contrairement à l’Algérie, la commission de la carte de presse au Maroc et en Tunisie n’est pas totalement indépendante du pouvoir.
Au Maroc, le Dahir ou décret royal du 22 février 1995 qui instaure la carte de presse professionnelle précise dans son article 6, que la carte de presse est délivrée « par l’autorité gouvernementale chargée de l’information, après avis d’une commission dite « commission de la carte de presse ». Cette dernière est composée d’un représentant de l’autorité gouvernementale chargée de l’information, de quatre représentants des organisations syndicales des journalistes et de quatre représentants des entreprises de presse. La commission se réunit deux fois par an pour étudier les dossiers et statuer sur l’attribution de la carte de presse. En Tunisie, le décret-loi 115 de novembre 2011 relatif à la liberté de la presse, de l’impression et de l’édition prévoit une commission nationale d’attribution de cette carte, mais la commission n’existe pas encore, en raison d’un problème de représentativité des structures médiatiques en son sein.
“Le gouvernement refuse d’appliquer le décret-loi 115”, déclare une responsable du Syndicat National des Journalistes Tunisiens (S.N.J.T.).
“Nous souhaitons la mise en place d’une commission indépendante, mais le gouvernement persiste à vouloir y être représenté, ce qui bloque tout le processus”, ajoute-t-elle. Suite à une réunion ministérielle tenue le 15 juillet 2013 et à une réunion des délégués des corps représentatifs des médias le 18 juillet 2013, une commission consensuelle provisoire a été mise en place afin d’appliquer l’article 2 du décret-loi.
Cette commission est composée d’un conseiller au tribunal administratif, de trois membres proposés par l’association de journalistes la plus représentative, d’un membre représentant les directeurs des organismes de presse public, d’un membre proposé par l’association des directeurs de journaux et d’un membre proposé par le syndicat des établissements de presse audiovisuelle. L’élection n’est pas la règle pour désigner les membres constitutifs de la commission. Un long chemin à parcourir Le Maroc, qui compte 2.700 journalistes professionnels et fait figure d’instigateur au Maghreb pour la règlementation du statut du journaliste professionnel, travaille actuellement à un code de la presse et de l’édition et à un code pour encadrer une nouvelle instance de régulation de la presse, inscrite dans la nouvelle constitution, le conseil national de la presse. Par ailleurs, un projet d’encadrement de la presse électronique par la loi est en cours d’élaboration, car les journalistes ne bénéficient pas encore de carte de presse dans ce domaine.
En Tunisie, où les 1.300 journalistes détenteurs de la carte professionnelle en 2012 ne sont pas parvenus à obtenir leur carte de presse pour l’année 2013 et ont obtenu une prolongation de la validité de leur carte précédente, le syndicat « collabore avec d’autres partenaires pour l’instauration d’un conseil de Presse », selon une responsable du Syndicat national des journalistes tunisiens. « Le projet d’un observatoire de déontologie de la profession journalistique a, quant à lui, été réalisé il y a 3 mois, son processus de développement suit son cours”. Aucune de ces préoccupations ne figure dans le projet législatif algérien. Avec l’instauration d’une carte de journaliste professionnel, l’Algérie rattrape légèrement son retard vis-à-vis de ses voisins maghrébins, mais le chantier d’organisation de la profession reste entier. Or, « le plus gros problème en Algérie est l’absence d’organisation professionnelle », souligne Mazouz Rezigui.