Lampedusa, une conséquence de la guerre en Libye : à l’époque, j’avais alerté Juppé…

Lampedusa, une conséquence de la guerre en Libye : à l’époque, j’avais alerté Juppé…

LE PLUS. Un bateau transportant entre 450 et 500 migrants somaliens et érythréens, venus de Libye, a fait naufrage jeudi 3 octobre près de la petite île de Lampedusa, dans le sud de l’Italie. Bilan provisoire :130 morts et 200 disparus. Oui, il y a de quoi s’indigner. Mais plus encore quand la sonnette d’alarme avait été tirée, en vain, déplore Alberto Toscano, auteur de « Ces gaffeurs qui nous gouvernent ».

Printemps 2012, les Occidentaux décident, sur pression anglo-franco-américaine, de renverser le régime libyen par une initiative militaire étrangère, se rajoutant à la révolte intérieure contre le dictateur Kadhafi. Le président Nicolas Sarkozy et son gouvernement sont extrêmement favorables à cette action militaire extérieure.

A ce moment précis le ministre français des Affaires étrangères, Alain Juppé, vient à la salle Empire (saviez-vous que la salle de presse de l’Assemblée nationale s’appelle ainsi ?) pour dialoguer avec la tribu des journalistes de l’Association de la presse parlementaire française.

J’ai posé une question sur Lampedusa

Après le discours du ministre Juppé, relatif surtout au cadre diplomatique de l’intervention militaire, je me permets de lui poser la question suivante :

« Monsieur le ministre, êtes vous conscient que les opération militaires en Libye et la déstabilisation de ce pays, où vivent un grand nombre de travailleurs originaires d’autres Etats africains, vont provoquer une vague migratoire vers l’Italie et en particulier vers l’île de Lampedusa ? Êtes-vous prêts à aider l’Italie face à la probable crise humanitaire qui va se vérifier dans la Méditerranée ? »

La réponse est en pure et simple langue de bois politicienne. On tourne la tête de l’autre côté. Comme si j’avais dit des banalités révélatrices de mon origine nationale, incapable d’apprécier les grands desseins stratégiques à la française, parrainés par le duo de tonnerre Sarko-BHL. D’ailleurs aucun journaliste français présent s’est montré sensible à mes arguments.

L’indignation humaine à géométrie variable

Automne 2013, tandis qu’un autre président français ne cache pas son envie d’intervenir militairement dans la région (cette fois en Syrie), la vague des émigrés partant de Libye, de Tunisie et de Syrie pour arriver à Lampedusa est devenue un tsunami impressionnant. Un exode biblique. Une tragédie humanitaire.

Certains génies politiques ont accusé d’ »esprit munichois » tous ceux qui – face aux horribles images des enfants tués en Syrie par les forces du dictateur Assad – n’étaient pas favorables à bombarder Damas. Que disent aujourd’hui les mêmes personnes face aux images atroces de Lampedusa ? Est-ce que l’indignation humanitaire est bonne seulement quand elle sert à faire de guerres et à montrer au monde entier la présumée supériorité du Rafale ?

C’est aussi notre crédibilité de démocrates qui se noie

Je suis sincèrement dégoûté par ces années d’indifférence européenne vis-à-vis de la catastrophe humanitaire qui se consomme dans les eaux d’un Mare nostrum, désormais débordant des cadavres des autres et de notre hypocrisie.

Les pays de la première ligne en Méditerranée – Grèce, Espagne et surtout Italie – ont été laissés seuls face à une tragédie qu’ils ne peuvent manifestement pas gérer tous seuls.

Nicolas Sarkozy et son gouvernement sont arrivés au point de fermer (heureusement seulement pour quelques heures) la circulation ferroviaire à la frontière de Vintimille pour empêcher d’arriver en France aux désespérés tunisiens, débarqués à Lampedusa à l’époque des jasmins (désormais fanés).

Les gouvernements nationaux et les grosses têtes de Bruxelles n’ont pas compris que, dans les eaux de la Méditerranée, risque de se noyer notre crédibilité de démocrates et de défenseurs des droits de l’homme ? Avait-on besoin d’une dernière (dernière ?) tragédie, bien plus épouvantable que les autres, pour faire avancer un peu de bon sens dans le brouillard de l’hypocrisie européenne ?