LAPONIE:LA DANSE DU CIEL

LAPONIE:LA DANSE DU CIEL

Une longue file de touristes s’étend devant le guichet. Chaque nuit, des centaines de personnes se pressent pour les apercevoir…

Le ciel est dégagé, c’est donc la nuit idéale. Il faut être motivé, attendre patiemment derrière une rangée de boots fourrées, surmontées de combinaisons intégrales. C’est la tenue de soirée exigée. Puis il faut payer un ticket à un prix prohibitif. Ensuite, il faut recommencer à faire le pied de grue dans le parking. Les cars, eux mêmes, se suivent à la queue leu leu. Impression d’être un mouton. Les chauffeurs, affublés d’énormes doudounes fluo, donnent le ton. Il va falloir affronter le froid polaire. J’espère que ça vaut le coup.

Une fois assis, il faut supporter l’odeur de morue séchée qui se dégage du sac de voisins, ayant eu la bonne idée d’aller manger sur le port et de faire le plein de chips de poisson avant leur excursion nocturne. Il paraît que ça donne de l’énergie quand il fait froid. Le car s’ébranle. Pas de musique mais une guide qui débite une litanie d’explications scientifiques dans un anglais approximatif (qui serait de toute façon incompréhensible quelle que soit la langue). Elle explique comment régler son appareil photo, focale et temps de pause. Ces conseils sont surtout destinés aux personnes bien organisées qui se sont munies d’un trépied. Les têtes en l’air qui l’ont oublié ne pourront pas immortaliser le moment tant attendu. J’espère que ça vaut le coup, même sans photos à exhiber au retour. Elle nous prévient aussi qu’on ne voit pas les mêmes couleurs à l’œil nu et sur une photographie. La photographie intensifie les couleurs du phénomène. Il ne faut donc pas être déçu si l’on ne retrouve pas les teintes des cartes postales. On est prévenu.

On roule depuis un quart d’heure. Il faut s’éloigner des lumières de la ville pour éviter la pollution visuelle et avoir un maximum de chance de les admirer. Les bus s’arrêtent devant une petite église en bois. Dans le cimetière, des guirlandes lumineuses sont entortillées autour des croix. Des multiprises les alimentent formant un magma de nœuds derrière les tombes. On dirait des sapins de noël. Personne ne s’y attarde. Le troupeau s’ébranle déjà sur un chemin caillouteux. Il faut suivre de près ceux qui ont pensé à prendre une lampe de poche pour ne pas trébucher. Au bout de dix minutes, on arrive à une digue. On ne voit toujours rien, même pas la mer car la nuit est trop noire. J’espère qu’il va se passer quelque chose.

Certains se prennent en photo. D’autres discutent en chuchotant. Il règne un calme euphorique. De temps en temps, une lampe s’allume et s’éteint aussitôt. Quelques flashes éclairent l’écume. Il gèle. Au bout d’un quart d’heure, on range les appareils photos et on remet ses gants. Au bout de trente minutes, plus personne ne parle. Il faut lutter pour rester au bord de l’eau, tiraillé entre le désir d’en voir une et celui de courir se réchauffer dans le bus. Au bout de trois quart d’heure, on opte en grande majorité pour la seconde option. Après deux allers-retours entre la digue et le bus, la guide nous demande de rejoindre définitivement notre place. Personne ne bronche. On rentre. C’est raté. Je suis déçue et transie de froid. Demain je donnerai mon ticket à quelqu’un d’autre, peut-être un touriste à l’hôtel. Les tickets sont valables deux fois si jamais on n’a pas eu la chance d’en voir la première. Je le céderai à celui qui me laissera passer devant lui au petit-déjeuner.

Le car repart. La guide continue à parler mais plus personne ne l’écoute. Je pense que j’aurai bien aimé qu’on nous serve un petit thé… ou de l’aquavit. On roule depuis vingt minutes et nous ne sommes plus très loin de la capitale quand des voix s’élèvent au fond du bus :« éteignez les lumières, éteignez les lumières! ». Le chauffeur semble stressé. Il doit avoir l’habitude d’être malmené par des touristes déçus. Il n’ose pas s’arrêter comme ça, en plein milieu d’une route mal éclairée. En plein milieu de la seule route d’Islande. Il roule encore quelques centaines de mètres. Finalement, cédant à l’impatience des passagers, il se gare au bord d’un champ de lave. Tout le monde descend, pas encore tout à fait réchauffé et presque complètement endormi. J’espère qu’on va en voir cette fois-ci.

Ca ressemble à deux taches gris-jaune pailletées dans le ciel. La sensation de froid disparait à mesure que la couleur s’intensifie. Petit à petit, un arc parfait se forme entre les deux, juste au-dessus de nos têtes. Un peu plus plat que celui de l’arc-en-ciel. La couleur est plus proche de celle de la lune que des teintes agressives des dépliants. On enlève nos gants pour tenter d’immortaliser le moment. Au-dessus de l’arc, des milliers d’étoiles scintillent. En-dessous, il n’y a que le ciel d’un noir profond, comme un trou béant dans lequel on pourrait tomber si l’on marchait jusqu’au bout du champ de lave. La mousse absorbe le son de nos pas. Chacun cherche le meilleur endroit pour caler son trépied ou au moins un rocher pour poser son appareil. Une fois capturé à l’écran, l’arc est d’un vert presque fluo. Le bout droit de l’arc se tord, s’enroule sur lui même et commence à former une sorte de tourbillon. Le ciel danse. Les photos sont de plus en plus vertes. Juste en dessous du tourbillon, il y a une maison, toute seule dans son champ de lave. On aimerait aller dire à ses habitants de sortir pour profiter du spectacle. Mais ils doivent avoir l’habitude. J’espère que ça ne va pas s’arrêter tout de suite, que le ciel va nous accorder une dernière danse.

Au bout d’une heure, la lumière se dissipe doucement. On attend pendant quelques instants que ça recommence. Mais c’est terminé. Les mains piquent à nouveau. Le nez et les joues aussi. On avait juste oublié le froid pendant quelques minutes. Tout le monde rentre dans le bus. La guide a encore le temps de nous dire que l’aurore boréale que l’on vient d’apercevoir était de niveau quatre sur dix. Dans 70% des cas, où elles daignent se montrer, les tempêtes solaires sont d’un niveau un, deux ou trois. Tout le monde s’est déjà endormi.