L’armée égyptienne règle ses comptes

L’armée égyptienne règle ses comptes

Une campagne a été lancée contre les activistes et les blogueurs qui osent critiquer les militaires.

Après les islamistes, les activistes. Deux mois après son coup d’État anti-Morsi, l’armée règle aujourd’hui ses comptes avec les militants pro-démocratie. Dans ce qui ressemble à une mise en garde adressée aux voix critiques de la junte militaire, le quotidienal-Ahram rapportait, ce samedi, avoir eu vent de plaintes déposées contre une trentaine de personnalités indépendantes. Dès le lendemain, le quotidien gouvernemental se rétractait, en publiant un démenti. «Mais le mal est déjà fait», s’emporte le blogueur Wael Abbas, qui y voit une volonté délibérée de nuire à la crédibilité des libres penseurs. Ce révolutionnaire de la première heure, dont le nom figure sur la liste des 35 personnes visées, a été de tous les combats: contre Moubarak, contre la transition menée par Conseil suprême des forces armées, puis contre les Frères musulmans. Fidèle à ses convictions, il dénonce aujourd’hui le «piratage de la révolution» et les dérives autoritaires du général al-Sissi, à l’origine de la destitution de l’ex-président islamiste.



Selon les informations transmises dans un premier temps par al-Ahram, le parquet aurait reçu «des plaintes de citoyens» qui accusent Wael et ses compagnons d’infortune d’avoir reçu des aides financières américaines, en affirmant que des câbles WikiLeaks soutiennent leurs propos. «Foutaise!», rétorque Wael Abbas. «Mon nom n’est jamais apparu dans ces câbles!» Alors que Washington est en pleine réflexion sur son maintien de l’aide militaire à l’Égypte, certains observateurs y voient un avertissement indirect adressé à Obama. Mais pour Wael Abbas, cette affaire s’inscrit dans une «campagne de dénigrement contre les rares Égyptiens qui osent questionner le rôle des militaires». Il sait de quoi il parle. Depuis le 3 juillet, date de l’éviction de Morsi, les médias gouvernementaux le traitent de tous les noms: «traître», «espion», «homosexuel»… Dernier exemple en date: cette sortie explosive d’un présentateur de la chaîne al-Faraeen, dirigée par un ex-supporteur de Moubarak, dans laquelle il appelle, photo de Wael Abbas en main, ses «chers concitoyens» à tabasser «ce pseudo-révolutionnaire» s’ils le croisent dans la rue. «C’est une dangereuse incitation à la violence. C’est pire que sous Moubarak», déplore le blogueur, qui craint pour sa sécurité.

C’est une dangereuse incitation à la violence. C’est pire que sous Moubarak

Wael Abbas, blogueur

En parallèle, les journalistes qui osent s’interroger sur les violences de l’armée – dont le massacre d’environ 600 personnes lors du démantèlement du sit-in des pro-Morsi – sont systématiquement discrédités quand ils ne sont pas arrêtés. La semaine dernière, l’avocat et activiste de gauche Haïssam Mohamedine s’est retrouvé devant un tribunal militaire pour «appartenance à une organisation clandestine menaçant l’État et l’armée». Encore plus troublant, le journaliste Ahmed Abou Deraa est toujours derrière les barreaux depuis son arrestation, mercredi, dans le nord du Sinaï, où les militaires sont en pleine offensive contre les islamistes. Le jeune homme travaillait également comme «fixeur» pour de nombreux reporters étrangers, témoins dérangeant du coup de force de l’armée qui n’épargne pas les populations bédouines locales.