On pensait que son éclipse était destinée à éviter un surcroît de critiques, mais voilà que Gaïd Salah revient à la charge pour délivrer des messages dont la teneur fleure la menace, l’agacement et le déni des réalités. Avant-hier, depuis Ouargla, Ahmed Gaïd Salah a non seulement affiché son choix pour une sortie de crise dont il veut être manifestement le maître des horloges, selon une formule de Saïd Sadi, mais il s’est englué dans un terrain qui ne le mettra assurément pas à l’abri d’une nouvelle salve de critiques : le terrain politique.
Durant ces derniers jours, en effet, beaucoup d’observateurs ont relevé que son effacement de la scène, après l’avoir occupée pendant plusieurs mardis, procédait de ce souci de ne pas trop s’exposer pour au moins trois raisons essentielles : d’une part, éviter de cristalliser les critiques des manifestants qui l’ont pris pour cible ces deux dernières semaines, malgré le fait que la revendication soit frappée d’un black-out délibéré de certaines chaînes de télévision ; d’autre part, veiller à ne pas rompre, par une encombrante présence, le lien avec la population, et, enfin, éviter le scénario soudanais où l’omniprésence de l’armée a fini par susciter les critiques des puissances étrangères.
Et durant cette période, Abdelkader Bensalah a tenté autant que faire se peut de remplir la mission que lui confère son statut de chef d’État par intérim : réception de lettres de créance d’ambassadeurs, désignation de responsables à la tête de certains organismes et message à la nation à l’occasion de la Journée de l’étudiant. Mais faute de charisme, de contraintes constitutionnelles ou en l’absence de marges de manœuvre, Abdelkader Bensalah ne s’est pas hasardé à des messages musclés à la manière de Gaïd Salah. A peine a-t-il évoqué furtivement la situation du pays en promettant des élections libres : “L’Algérie vit une période augurant de perspectives prometteuses pour un avenir où la parole sera donnée au peuple souverain pour le choix de ses dirigeants dans le cadre de réelles garanties d’une rivalité honnête et juste, à même d’asseoir les fondements d’une bonne gouvernance et de conforter l’État de droit.”
Des propos qui tranchent singulièrement avec ceux du chef d’état-major dont le ton emprunte à celui développé dans un pays sous l’empire de l’état d’urgence : rejet du slogan “yetnahaw gaâ”, dont le sous-entendu doit probablement le concerner, nouvelle critique contre ceux qui déploient le drapeau amazigh, rejet de la proposition de Taleb Ibrahim, d’Ali-Yahia et de Benyelles, déni et surdité à l’égard de toutes les propositions formulées par l’opposition, la société civile et certains intellectuels, et ordre, à peine voilé, aux manifestants de revoir la manière d’organiser les manifestations et auxquels il recommande de dialoguer avec les “institutions”, en dehors de l’armée — comprendre Bensalah et Bedoui —, et enfin mises en garde à l’encontre des comploteurs et de tous ceux qui ne sont pas dévoués “à l’armée et à la patrie”. C’est à se demander s’il ne s’agit pas d’un casus belli, d’un coup de force, de l’expression d’un désarroi ou simplement d’un bras de fer dans le sérail qui se prolonge. Les prochains jours, avec la fin du délai de dépôt des candidatures, s’annoncent, à n’en point douter, palpitants.
Karim Kebir