Le cœur de la mère des réformes : Position du problème

Le cœur de la mère des réformes  : Position du problème

Alors que de nos jours nous attendons des signes forts du changement de cap de nos politiques économiques, monétaires et financières, autorisant nos institutions et notre édifice social à affronter le tsunami généré par l’affaissement régulier, prolongé et irréversible, dans la décennie actuelle de nos recettes d’hydrocarbures, l’on peut constater le silence-radio de nos ténors politiques, médiatiques ou intellectuels, sur le sujet.

L’on voit, ici ou là, quelques gesticulations politiques (politiciennes?) sur tel ou tel point le Projet de Loi des Finances 2016 (ministère des Finances) ou le Projet de loi relative à la promotion de l’Investissement (ministère de l’Industrie et des Mines) sans que quiconque ose soumettre des propositions alternatives et crédibles.

Cette faiblesse des projets économiques d’Alternance ne date pas d’aujourd’hui. Elle est ancienne, datant de l’orée de notre Indépendance – avec un FLN «socialiste», un FFS «socialiste», un PRS «socialiste, un PCA, etc. La raison est donc simple : il n’y a pas de parti d’opposition digne de ce nom, avec un parti de gouvernement.

La majorité gouvernementale, quand elle est «élue», reste immuable ; plus ou moins élargie à des transfuges du «parti majoritaire». Les formations politiques gouvernementales, au pouvoir, sont ainsi traversées par les mêmes courants : d’un côté le «courant réformiste» (au plan économique), en partie issu de l’aile «libérale» UDMA, ayant intégré le FLN, de l’autre le «courant étatiste» que comprend deux ailes «conservatrices» – la «socialo-autogestionnaire» (aux premières années de l’indépendance) et «islamo-arabiste» (incarnée par l’arrivée au parti FLN de Mohamed Salah Yahiaoui).

Le courant «étatiste» a, fortement, marqué notre histoire récente : avec la prise de pouvoir par le «clan d’Oujda» – conglomérat de dirigeants politico-militaires de toutes les régions du pays (ses dirigeants les plus illustres Boussouf ou Boumédienne ne sont pas de l’Ouest). Son principal marqueur politique n’a pas varié : le mépris (et la mise à l’écart de la prise de décisions stratégiques) des dirigeants politiques civils, en particulier ceux gérant l’appareil du parti FLN. Pour tout membre de ce «courant étatiste», tout se joue dans l’Armée et l’ANP est la clé de voûte du système politique et institutionnel algérien. Quiconque oublie ce donné politique structurant ne peut comprendre la démarche du président de la République actuel.

Si Hamid Temmar, tenant depuis peu une Chronique dans le Quotidien d’Oran – Alternative (au singulier, svp !) – nous a honorés d’une remarquable contribution sur (ce que nous appelions alors, dans son premier Cabinet ministériel de 2010) : «la mère des réformes», celle du système monétaire, bancaire et financier. Réforme donc de l’économie «monétaire» – en opposition à l’économie «réelle», celle de la production des biens et services. Rappelons que jusqu’en 2012 M.Temmar était le «bras droit» économique du Président, d’abord chargé de la gestion des «participations de l’Etat», soit le représentant officiel du Domaine privé de l’Etat dont la mission avait été de trouver les voies et moyens de la mise à niveau des EPE, quitte à en céder «une partie» (à travers les opérations d’ouverture de capital) ou «la totalité» (privatisation intégrale).

La période 1999-2012 a été une période d’intenses luttes politiques larvées, marquée par des invectives, des accusations et d’atteintes graves à la dignité et l’intégrité. Les questions abordées étaient celles de l’articulation des réformes : économie, monnaie, administration, justice, éducation, santé etc., alors qu’on braquait l’opinion sur ces «coopérants» qui veulent brader nos entreprises aux étrangers. Oubliant de dire que l’octroi, sur un simple coup de téléphone, de lignes de crédit (en dinars et en devises) permettait aux barons d’avoir beaucoup plus qu’une cimenterie branlante !

Tout cela, aujourd’hui, est oublié. La «bulle rentière spéculative» avait permis d’écarter, du radar, la réalité crue de notre économie et notre société : une économie peu diversifiée et une société où les écarts de revenus, de richesses et de patrimoine sont insoutenables. Aujourd’hui que nous nous retrouvons, au milieu du gué, entre réalisations d’infrastructures socio-économiques gigantesques et impasse budgétaire stoppant net ces réalisations, resurgit la question des «réformes», des «priorités dans les réformes» et des politiques de relance, dans la phase descendante du cycle Kuznets.

Si Temmar est probablement le seul – parmi celles et ceux qui s’expriment publiquement – à sentir que l’on se doit, non pas de «colloquer» (CNES, Banque Mondiale…) ou de «cheffer» (remaniement ministériel partiel/total, régime de l’après-Bouteflika, etc.) mais d’agir au plus vite. D’agir dans les sillons des mesures réformistes prises précédemment : par Hamrouche (1990), par Zeroual (1996), par Bouteflika., et arrêtées depuis.

Dans une précédente publication: «Pourquoi ça n’a pas marché ?» (in Q.O du14 septembre 2015), j’avais déjà interpellé le ministre Temmar sur les obstacles politiques qu’il a rencontrés, dans la mise en œuvre d’un aspect important des réformes économiques : la politique industrielle. Ces obstacles – l’angle-mort de son analyse (avais-je dit)- sont toujours là.

Si, pour le secteur public productif marchand, des difficultés immenses ont surgi pour sa mise à niveau, sa diversification et son ouverture sur le privé international – de renommée mondiale, au triple point de vue de la compétitivité, du savoir-faire et… de sérieux – pour nos banques, assurances et autres établissements financiers, les embûches sont et seront d’un tout autre genre. Car ce qui a, pour le système monétaire et financier public, à tout prix, à éviter, c’est de copier-coller les recettes appliquées au premier. Les entités de ce système, notamment les banques primaires, ne sont pas de simples «Entreprises Publiques Economiques». En copiant-collant les recettes valables pour les «producteurs de biens et services» aux «créateurs de monnaie» – les banques- l’on se trompe, non seulement, de cibles mais aussi sur la nature même de l’activité que sur les besoins internes, propres, inhérents à ces entités (certes «entreprises publiques» au plan juridique).

Il serait trop long de revenir en détail sur ce sujet. Je tiens plus humblement à indiquer que je remercie Si Temmar d’avoir posé, en cette étape difficile de contraction de l’activité économique, les jalons d’un débat, absolument nécessaire. Débat qui se doit d’être balisé par les experts du domaine – et ils sont peu nombreux et, de toutes les façons, se connaissent de longue date. Il nous a manqué ces dernières années l’entrain, le dynamisme et l’ouverture d’esprit pour la confrontation des idées – même dans des cercles restreints, comme cela a été le cas, en pleine crise 85-86. Au plan du débat économique, il n’y a pas de chef d’orchestre car tout a été happé par la fascination pour le Pouvoir – Argent, Savoir et Politique- où quelconques diplômes, quelques prébendes assignent la fonction de dit «expert» et donnent du «statut» social.

LE CONTEXTE HISTORIQUE

Aujourd’hui le fait que notre système monétaire et financier (SMF) s’est diversifié avec l’installation de banques et assurances privées nationales et … étrangères, est présenté comme une «grande victoire». On oublie que ce système l’était déjà avant 1968, avant que le courant étatiste se lance dans des nationalisations à tous azimuts (tant dans l’industrie que les banques et assurances). Cette étatisation s’est effectuée en deux/trois ans ; la désétatisation dure depuis plus d’un quart de siècle ! C’est dire combien Monnaie, Banques et Finance est le point névralgique de toutes les institutions socio-économiques : l’on peut changer de constitution – le «deal politique» – comme on change de chemise mais l’on ne peut triturer le «lien social fondamental» de toutes nos sociétés modernes : la monnaie – et, par conséquent, ses créateurs (les banques).

Quand feu Kaïd Ahmed (alors ministre des Finances) s’est opposé de toutes ses forces, pour laisser coexister, dans l’Algérie indépendante : banques privées et banques publiques (pour aller vite car il y avait aussi tout le secteur coopératif et mutualiste qui essaimait le territoire et … qu’on n’a jamais réussi à revivifier, alors qu’il aurait été le principal pourvoyeur – et contrôleur – des micro-crédits, aux agriculteurs, aux artisans, aux Toutes Petites et Moyennes Entreprises et aux jeunes). Mais il est venu buter sur le nœud gordien de tout SMF : le contrôle des opérations bancaires internationales ; nœud toujours à l’ordre du jour comme le montre, de nos jours, les débats parlementaires et, aussi, l’asséchement du marché local des devises (principalement par les grandes sociétés privées – nationales et internationales).

Passer donc d’un système monétaire et financier (SMF), institutionnellement, structuré en un circuit monobanque (à la soviétique) avec un Trésor public hyper-puissant (pourvoyeur et planificateur de toutes les ressources financières), une banque centrale anesthésiée et des banques commerciales – sectorielles (BEA pour les hydrocarbures, la sidérurgie-métallurgie…, la BADR pour l’agriculture…, la BDL pour le développement local.., etc.) propriété de l’Etat et soumisese pieds et poings liés, au ministre des Finances – à un SMF ouvert, fluide, capable d’arrimer ses assises dans la confiance des acteurs économiques et des citoyens, le chemin est encore long, très long.

Cependant le système monétaire et financier (SMF) algérien ne peut échapper à sa mue. Non seulement au plan (juridico-institutionnel) de l’exercice de ses activités et de l’arsenal juridique et réglementaire de contrôle et de supervision – délivrance des agréments, règles prudentielles, comptables, etc. – qui les accompagnent.

Mais surtout au plan (économique) des impacts de l’efficience du financement de l’Economie (banques), ceux de la mutualisation des risques (assurances) et ceux, plus à long terme, des équilibres (outre des subventions «sociales» – ayant-droits des chouhada et moudjahidine) de nos systèmes de sécurité sociale et de retraite.

Depuis plus d’un quart de siècle – depuis la Loi sur la Monnaie et le Crédit d’avril 1990 – la gouvernance de nos banques (mais aussi assurances) s’est laissée absorber par le premier volet (juridico-institutionnel), pensant, certainement, que le deuxième (économique) serait une sorte de résultante, un fruit mûr de la moisson «réformatrice».

Dans un pays où règnent la pauvreté, le chômage et la stérilité du secteur productif – stérilité de générer son propre processus d’accumulation et ses ressources d’investissement qui l’accompagnent, de générer de la croissance donc – il est criminel de ne pas chercher à dépasser les entraves qu’un courant idéologico-politique, le courant étatiste a mis sur le chemin de notre développement, depuis maintenant cinquante ans (1965-2015).

Quand l’ère de l’autonomie de gestion aux entreprises publiques (y compris, donc, les banques et assurances) avait sonné, le faux débat de l’indépendance de la Banque centrale est venu fourcher l’envol de nos banquiers primaires vers des partenariats fructueux qui auraient déjà à l’époque: permis l’ouverture de leurs organes sociaux, le lancement des programmes de formation, la mise en place de contrats de performance; et concomitamment, assuré l’assainissement et la recapitalisation de leurs ressources, lors de la consommation de l’enveloppe budgétaire globale d’assainissement financier des EPE (qui, en 1991, s’était traduite par des allégements considérables des portefeuilles de créances échues et non réglées – et jusque-là non régularisables- détenues par les banques) ; puis enfin garanti l’ouverture irréversible de nos marchés bancaires et assuranciels à la concurrence étrangère et, en premier lieu, maghrébine par, seulement, l’implantation de banques et assurances, de leurs succursales et de leurs bureaux de représentation – sans aller, pour autant, jusqu’à la privatisation.

Ce programme de réformes Hamrouche-Hadj Nacer a été stoppé, tout de go, pour des raisons que chacun connaît. Il a fallu attendre l’éradication du «terrorisme résiduel» pour que la machine économique se remette sur les rails et que l’urgence de la refonte du «système économique » devienne criarde. Le lancement des «restructurations» du secteur productif public – y compris les privatisations – s’imposa comme une exigence, dès l’arrivée du Président Zeroual (entouré par les économistes feu Bouzidi et Hamel, entre autres) et a été amplifié depuis – avec des aller-retours entre vent «réformiste» et vent «étatiste» dont le ministre Temmar est l’un des observateurs des plus avertis.

Ce va-et-vient au plan de la politique économique entre «réformistes»» et «étatistes» dans une même équipe gouvernementale ne doit pas surprendre : il ne date pas d’aujourd’hui, comme je l’ai déjà indiqué pour la période 1965-68/69 avec les mésaventures de feu Kaïd Ahmed. C’est là même une dominante de notre histoire (plus ancienne d’ailleurs qu’on le pense). Jonchant le processus d’évolution de notre système monétaire et financier (SMF), ce dernier en emporte tous les stigmates. Le «lien social fondamental» qu’est la monnaie en garde toute la mémoire.

Les temps ont, certes, changé depuis l’ère du ministre des Finances Benhamouda (Boualem) où l’urgence n’était, nullement, la refonte du SMF – sa diversification et son ouverture aux capitaux étrangers – mais celle pressante … de l’arabisation des chèques, à l’ère actuelle dite de «monétique» où la citoyenneté se définit par la possession non de la carte d’identité infalsifiable mais de celle «qui fait sortir l’argent du mur», la Carte Bleue (CB). N’empêche que notre SMF reste atrophié, unijambiste, bancal : sans un marché financier digne de ce nom, un marché des capitaux et des valeurs mobilières, transformant l’épargne nationale des ménages et entreprises en investissements.

Alors qu’hier, ébranlant la confiance des citoyens en leur monnaie, les autorités monétaires (ministre des Finances et gouverneur de la Banque centrale) n’ont trouvé d’autres moyens pour drainer cette épargne dans le circuit officiel que… de changer les billets de banque – obligeant les «spéculateurs» a ramené en banque leurs «chakarates» – ; aujourd’hui l’on offre l’évasion fiscale comme «prime de précaution».

Les autorités, hier comme aujourd’hui, se sont avérées incapables d’adosser notre SMF à un marché financier robuste, à l’intérieur du circuit officiel. Ce dernier quart de siècle (1990-2015) n’a, en somme, servi qu’à combler une partie des retards accumulés, ces Restes à Réaliser (RAR) organisationnels du SMF algérien, dont les contrecoups sont ces défaillances constatées dans la gouvernance des banques, lors des exercices 1999, 2000 et 2001 avec, entres autres, les scandales des banques privées (Khelifa, BCIA, etc.). Ceci est le résultat d’une conception gradualiste des réformes avec ses «step by step» et «small is beautiful» : la politique des petits pas qu’a su imposé, car prédominant, le courant étatiste (au courant réformiste).