Le foncier agricole a subi, un préjudice considérable, résultat de la décennie noire où tout était permis.
La vente des terres agricoles sans l’aval des autorités était monnaie courante et le béton envahissait petit à petit des superficies destinées à la production.
D’où l’intervention de l’Etat aujourd’hui pour tenter de sauver ce qui reste de ce patrimoine qui chaque année se rétrécit de plus en plus.
C’est le projet de loi qui fait parler de lui le plus lors de cette session de printemps des deux Chambres, l’APN et le Conseil de la nation. Il s’agit du projet de loi fixant les conditions et modalités d’exploitation des terres agricoles relevant du domaine privé de l’Etat qui constitue pour beaucoup un grand pas dans l’histoire agraire de notre pays. Sa préparation n’est pas passée inaperçue et a suscité même quelques frictions de certaines parties qui le contestaient dans la forme.
L’article limitant la durée de l’exploitation à 40 ans renouvelable est le plus décrié alors que d’autres voix s’élevaient pour parler d’une volonté de l’Etat de nationaliser les terres agricoles, mais qui ne dit pas son nom. Dans cette bataille qui a duré des mois durant avant que le projet n’atterrisse à l’APN, il y a lieu de relever que les affaires liées à la dilapidation du foncier agricole sont devenues légion devant les tribunaux.
L’Etat entend ainsi passer à la vitesse supérieure pour remettre de l’ordre dans ce secteur sujet à des convoitises et à des détournements des terres de leur vocation. Une situation qui n’a que trop duré mettant ainsi en péril la sécurité alimentaire du pays, déjà très éprouvé par la facture des importations.
Le nouveau texte, soumis pour adoption, se veut à la fois un garde-fou pour freiner ces agissements, mais aussi un moyen de clarifier les missions de chaque partie. «La terre appartient à celui qui la travaille » est la nouvelle devise des pouvoirs publics qui sous-entend une récupération des terres restées en jachère. C’est dire qu’on a touché du doigt les intérêts des spéculateurs qui ont fait de ce secteur un moyen de s’enrichir en faisant fi des lois en vigueur.
L’Etat, unique propriétaire
Le foncier agricole a subi, de l’avis des responsables du secteur de l’Agriculture, un préjudice considérable, résultat de la décennie noire où tout était permis. La vente des terres agricoles sans l’aval des autorités était monnaie courante et le béton envahissait petit à petit des superficies destinées à la production.
D’où l’intervention de l’Etat aujourd’hui pour tenter de sauver ce qui reste de ce patrimoine qui chaque année se rétrécit de plus en plus. La nouvelle loi, qui va compléter celle d’orientation agricole entrée en vigueur en 2008, va consacrer le principe du maintien de la propriété de l’Etat sur les terres. Parmi les nouveautés, il y a le droit de jouissance de 99 ans qui sera abandonné au profit d’un droit de concession limité à 40 ans.
L’autre disposition concerne les exploitations agricoles collectives et individuelles (EAC et EAI) qui seront remplacées par des sociétés civiles d’exploitation agricole, soumises à une fiscalité adaptée à l’activité agricole. La nouvelle loi accorde un délai de dix-huit mois pour le dépôt des demandes de reconversion et l’opération aboutira dans trois ans.
En optant pour la concession, l’Etat est bien décidé à garder un oeil sur l’utilisation de ces terres, mais surtout éviter de tomber dans les erreurs du passé. La situation urge, il faut le dire, et le laisser-aller caractérisant ce secteur par le passé a beaucoup nuit au rendement. Mais ce qui est frappant encore, c’est la célérité avec laquelle les transactions se faisaient entre les différents spéculateurs.
Le nombre de dossiers qui se trouvent actuellement entre les mains de la justice renseigne sur l’ampleur de ce phénomène qui a pris des proportions alarmantes.
Près de 11. 900 exploitants devant la justice
Les dossiers de 11.900 bénéficiaires d’exploitations agricoles, sont entre les mains de la justice, le chiffre est annoncé par le ministre de l’Agriculture devant les députés.
«Le sort de ces exploitants sera décidé après le règlement de leurs affaires», a ajouté Rachid Benaissa qui reconnaît au passage que «cette situation a causé de grosses pertes aux pays et a mis en danger le sécurité alimentaire de l’Algérie».
Il est utile de rappeler que plus de 2,5 millions d’hectares ont été attribués à plus de 210 mille producteurs organisés en 96.629 exploitations agricoles collectives et individuelles (EAC et EAI). Distribuer les terres, ce qui est à l’évidence une stratégie adoptée par bon nombre de pays car comme cela est admis «l’agriculture est une activité privée».
Mais arriver à faire de ce foncier un fonds de commerce, c’est effectivement mettre en péril l’avenir de tout un pays. Le ministre de l’Agriculture a tenu à rappeler dans l’exposé des motifs ayant conduit à l’élaboration de cette nouvelle loi, que la «vocation agricole de nombreuses exploitations a été dévoyée par leurs propriétaires et/ou d’autres intermédiaires».
D’aucuns s’interrogent, d’ailleurs, sur le silence des pouvoirs publics sur cette situation durant des années alors que des mesures pouvaient être prises avant pour que la gangrène ne se propage pas. Le nouveau texte, est certes «salutaire» mais il a pris beaucoup de retard.
La réponse des responsables du secteur se veut rassurante le projet de loi est venu pour «sécuriser l’exploitant». Mais au sein de l’Union nationale des paysans algériens on défend l’exploitant et son président est monté au créneau à plusieurs reprises estimant que la vente des terres s’est faite dans certains cas en application d’une note interministérielle.
Une législation plus rigoureuse
La nouvelle loi est élaborée de sorte à pérenniser le rôle de l’Etat en tant que régulateur pour veiller à l’utilisation rationnelle du foncier agricole. Il est vrai que le travail à mener est rude et pourrait prendre encore des années pour aboutir peut-être à une situation totalement assainie. Le dossier est complexe et demande encore de nouveaux outils de surveillance.
Le recours à la création d’un office des terres agricoles est envisagé et sa mise en place interviendra prochainement. Sa mission principale est le «suivi des exploitations». En d’autres termes, passer à de nouvelles méthodes de gestion modernes et transparentes.
Deux aspects qui ont pour le moment fait défaut ayant ouvert la voie à toute sorte de trafic. Ainsi un cahier des charges sera mis en place dans lequel les droits et les devoirs de l’exploitant sont bien définies.
A titre d’exemple, la «résiliation administrative » remplacera la «déchéance par voie judicaire» dans le cas ou l’exploitant n’honore pas ses engagements. Il est évident qu’une telle démarche évitera les longues procédures judicaires et affirme par là l’autorité et le droit de l’Etat de restituer ses terres.
Car aujourd’hui que des affaires de détournement du foncier sont au niveau de la justice, il n’est pas exclu que leur aboutissement prenne des années. A travers ces affaires, l’Etat veut peutêtre donner un exemple à ceux qui doutent encore de sa volonté à aller de l’avant dans ce dossier stratégique. En attendant, l’application de la nouvelle loi concernera «200 mille exploitants agricoles déjà recensés» tenus de se conformer à la nouvelle orientation.
Sur quelle base sont-ils choisis ? Les responsables du secteur n’en disent pas plus, mais tout sera connu à la faveur des résultats qui seront réalisés. Le plus important est que réellement la terre ira à celui qui la travaille.
R.E.H