L’ordinateur quantique promet une puissance de calcul phénoménale. Rien ne s’oppose théoriquement à sa conception. Les géants de la high-tech y croient… et investissent.
Certains sceptiques lui ont trouvé un sobriquet : « The Klondike computer », en référence à la rivière qui attira jadis des milliers de prospecteurs d’or vers le Grand Nord canadien.
La ruée vers l’ordinateur quantique se déroule sous des cieux plus cléments, au coeur de la Silicon Valley californienne, mais elle suscite les mêmes folies : des sommes considérables investies en recherche pour trouver la veine aurifère qui fera la fortune de son découvreur. Après IBM, Microsoft, HP, Alcatel-Lucent et la Nasa, c’est Google qui a précipité la course cet été en annonçant la constitution de sa propre équipe de recherche pour explorer ce pan futuriste de l’intelligence artificielle.
La firme de Mountain View y met le prix : pas moins que le recrutement du professeur John Martinis du département de physique de l’université de Santa Barbara, pionnière dans le domaine. Le scientifique dirigera l’équipe Quantum Intelligence, avec pour mission d’être la première à concevoir une puce supraconductrice, brique primordiale de l’ordinateur du futur.
Le défi est inouï. « Personne ne sait même ce à quoi ressembleront les ordinateurs quantiques », explique le prix Nobel de physique Serge Haroche. Une certitude suffit cependant à entretenir l’espoir des scientifiques : cet ordinateur est théoriquement possible.
C’est un autre Nobel de physique, Richard Feynman, qui a imaginé en 1982 cette machine capable de « simuler la physique » en tirant avantage des propriétés quantiques. Son intérêt : s’affranchir des limites mécaniques de la gravure qui plafonnent la miniaturisation et la performance des puces telles qu’on les connaît actuellement. Avec cette nouvelle génération de machines informatiques, il sera possible d’exécuter, à des vitesses phénoménales, des calculs encore inaccessibles aux machines actuelles, comme la simulation de modèles de prévision météo universels, le comportement d’une aile d’avion en vol ou celui d’un plasma.
Des agences gouvernementales, comme la NSA, l’agence de la sécurité américaine, s’y intéressent aussi dans l’espoir de décoder facilement n’importe quelle communication cryptée. Un seul ordinateur quantique pourrait ainsi parvenir à craquer en quelques secondes une clef de chiffrage de 700 bits, performance que des scientifiques suisses ont mise presque un an à réaliser en utilisant la puissance de calcul de 400 ordinateurs interconnectés ! « C’est l’arme de décodage ultime des grands mystères de la science », veut croire François Mallet, du Quantum Electronics group, physicien au Laboratoire Pierre Aigrain de l’Ecole normale supérieure.
Superposition
Une trentaine d’équipes de recherche fondamentale comme la sienne travaillent dans le monde sur le design du hardware nécessaire à la conception de ce Graal informatique, un système complexe qui utilise les particules (atomes, ions, électrons ou photons) comme vecteurs de l’information, en en exploitant les propriétés quantiques. A commencer par la « superposition ». Pour afficher des photos comme pour transmettre un mail, nos ordinateurs codent l’information en une série de 0 et de 1. Selon que les transistors électroniques qui les composent reçoivent ou non un signal électrique, ils génèrent une réponse binaire traduite par deux états : le courant passe ou ne passe pas.
C’est plutôt efficace quand il s’agit de faire des calculs séquentiels ; mais pour rechercher une information parmi des millions, un système binaire doit passer chaque donnée au crible, l’une après l’autre. C’est long, et, pour certains calculs, c’est même impossible.
La superposition quantique ajoute un état au 0 ou 1 : les deux à la fois. « Contrairement au bit informatique qui considère seulement deux pôles sur une sphère, le qubit (ou bit quantique) occupe toute la surface du globe et il peut donc calculer simultanément en tous points.
C’est incomparablement plus efficace », explique encore François Mallet. D’autant qu’une autre propriété quantique renforce cette performance : l’« intrication », qui permet de lier plusieurs particules entre elles pour agir simultanément sur l’ensemble. C’est la combinaison de ces phénomènes intrigants défiant les règles de la physique classique qui offrirait une puissance de calcul phénoménale.
Presque une synapse
Pour le physicien Colin Williams, de la société canadienne D-Wawe Systems qui commercialise les premières machines prétendues quantiques, un ordinateur de 300 qubits pourrait effectuer en une fraction de seconde plus d’opérations qu’il y a d’atomes dans tout l’univers ! En extrapolant ce résultat, les scientifiques rêvent même de simuler le Big Bang…
La preuve du concept a été faite : avec des embryons d’ordinateurs quantiques qui simulent l’architecture de ces machines, les chercheurs sont parvenus à factoriser des nombres premiers relativement simples, un calcul particulièrement adapté à ce type de logique. Reste maintenant à fabriquer le hardware nécessaire, les futures puces quantiques qui équiperont cette intelligence artificielle.
Plusieurs options sont sur les rangs. Le laboratoire de François Mallet s’intéresse par exemple à la conception de circuits électriques supraconducteurs refroidis à quelques degrés au-dessus du zéro absolu (- 273 °C) pour contrôler la dissipation des particules. « Les physiciens sont d’avis que les ordinateurs quantiques ne présentent pas réellement de limites, ni en vitesse de calcul, ni en capacité de mémoire. Mais leur conception nécessite de relever un sérieux défi, résume François Mallet : conserver intacte toute l’information au cours du calcul. Nous pensons que les supraconducteurs sont la réponse la plus pertinente à ce problème. »
Si IBM et Google ont également choisi d’explorer cette voie, d’autres équipes s’intéressent à la technologie optique. Son avantage : les photons ont la capacité à se propager sur de grandes distances en interagissant très peu avec la matière, ce qui protège efficacement l’information qu’ils véhiculent. Une équipe de chercheurs israéliens de l’Institut des sciences Weizmann, dirigée par le docteur Barak Dayan, vient de faire une percée considérable dans ce domaine en élaborant le tout premier routeur photonique.
Dans la revue « Sciences » du 14 juillet dernier, elle décrit son mécanisme comme « l’équivalent photonique des transistors électroniques ». En son coeur se trouve un simple atome qui aiguille les particules élémentaires de lumière qu’il reçoit. Presque une synapse humaine…
Paul Molga
Chiffres clefs
10 Millions de dollars
Le prix de vente de l’ordinateur quantique de la société canadienne D-Wave Systems. Controversée, cette machine a fait l’objet en juin d’une publication de chercheurs de l’Ecole polytechnique de Zurich dans la revue « Science », affirmant que les performances du système sont identiques à celles d’un ordinateur classique. La firme canadienne soutient au contraire que sa machine est 3.600 fois plus rapide. Google et la Nasa en ont fait l’acquisition.
3.664 milliards de dollars
Le marché mondial de l’informatique en 2013. Depuis 2011, la croissance des dépenses consacrées aux technologies de l’information a ralenti. Elles ont même stagné l’an dernier. Le cabinet de conseil Gartner anticipe pour cette année une croissance de 2,1 %. La vente de terminaux (smartphones, tablettes…) représente 18 % du marché.