Hier, il y avait une ambiance de siège autour de l’APN. Motif : les députés opposés à la loi de finances — votée — tentaient d’y tenir un point de presse.
Les passants étaient à peine interloqués par l’inhabituel dispositif de sécurité. Puis, ils poursuivaient leur chemin sans se sentir obligés d’en savoir plus. La distance est énorme entre l’ambiance de “saloon” qui anime les institutions et le train débonnaire de la rue. Les Algériens sentent que quelque chose de décisif se joue dans la stratosphère politique, mais n’y voient pas le rapport avec leur situation ou leur destin. Ils savent vaguement que le prix du pétrole a baissé et que cela aura un effet sur leur vie, mais sans saisir dans quelle mesure ils vont en pâtir.
Le 31 décembre, ils feront le plein pour reporter l’impact des nouvelles taxes sur le carburant, puis attendront la première facture d’électricité de la nouvelle année pour se faire une idée sur son effet sur le budget familial.
En haut, c’est l’échauffourée. Et les ténors du sérail ont de la peine à maintenir un minimum de forme. Avec une opposition politique légale réduite à sa plus simple expression par des années de répression et d’étouffement, il ne restait que la révolte maison pour s’opposer aux effets irréparables d’une dérive de plusieurs années. Même si les enjeux sont, pour certains d’entre eux, de nature stratégique, il y a peu de doute sur l’issue de ces discordes familiales : c’est l’option de l’autorité qui dispose, légitimement ou pas, des instruments institutionnels qui l’emportera. Les mécontents politiques peuvent prendre acte d’avoir dénoncé des abus ruineux, des décisions antinationales ou antipopulaires, le peuple n’entend que du vacarme. Pour beaucoup, seuls les préoccupent le destin de l’opération relogement, de l’AADL, les subventions du pain, du lait et les soutiens au prix du sucre et de l’huile, le sort réservé à l’Ansej, l’avenir du commerce informel, le futur des entreprises publiques employeuses…
Avec tous ces “acquis” conservés, les chômeurs, les travailleurs comme les affairistes — et ceux qui sont l’un et l’autre à la fois — sont parés pour affronter les difficultés annexes que représentent quelques surtaxes. Ce n’est pas demain que les troubles au sommet emporteront l’intérêt de la base. Pour le bradage de la rente et du patrimoine infrastructurel et foncier, cela fait longtemps que les Algériens s’y sont faits. Sinon, ils n’auraient pas été, depuis plus de quinze ans et variablement, 15 à 20% à aller voter.
Exclu des choix stratégiques, le quidam a appris au grappillage du peu qui s’échappe du système rentier. Il glane ce qu’il peut, tout ce qu’il peut. Le projet global, qui n’existe pas, l’indiffère. Ce climat de révolte et de mutinerie sur fond d’affaissement institutionnel et économique ne l’engage pas. À peine se distrait-il du spectacle.
M. H