Dans cet entretien, le président du FJD, Abdallah Djaballah, dresse un état des lieux de la situation politique et socioéconomique du pays, à la lumière de la récente promulgation des lois ayant trait au régime électoral et à la commission indépendante de surveillance des élections. Il s’exprime également sur les prochaines échéances électorales et sur la participation de son parti aux différentes structures de l’opposition, ne manquant pas d’évoquer le rapprochement interpartis islamistes.
Liberté : Lors d’une récente activité de votre parti, vous avez abordé la conjoncture socioéconomique et politique du pays. Pouvez-vous nous dire ce que vous en retenez ?
Abdallah Djaballah : Pour aborder notre activité dédiée au rôle et aux devoirs de la jeunesse, nous avons estimé utile de faire un diagnostic de la situation actuelle du pays dans ses différents aspects. Nous avons démontré qu’il existe une hostilité apparente de la part du régime en place depuis l’indépendance, et surtout durant les deux dernières décennies sur les éléments qui composent les constantes nationales, notamment la religion et la langue arabe, que nous avons citées en exemple. Parmi les formes de ces atteintes aux constantes nationales, on retient le débat qui a lieu au ministère de l’Éducation nationale quant à l’éducation islamique, matière proposée à l’élimination de l’examen du baccalauréat pour les filières scientifiques et d’en faire une matière facultative, avec l’histoire-géographie et la langue amazighe, pour les filières littéraires. L’éducation islamique, du point de vue de la religion musulmane, ne peut être comparée à d’autres matières et ne peut être mise sur un pied d’égalité avec ces dernières.
Pour ce qui est du volet relatif aux libertés et aux droits, nous avons évoqué les atteintes sous toutes ses formes aux droits et libertés des citoyens, qu’il s’agisse des libertés politiques ou de celle de l’information. Les exemples que nous pourrions citer ont trait notamment à la loi portant le régime électoral et la commission relative aux élections, ainsi que les pressions exercées contre certains médias. Concernant le développement économique dans le pays, il est clair qu’il n’y en a aucun, que ce soit en matière d’industrie, d’agriculture ou des services. Le régime, impliqué dans la dilapidation des biens et la corruption, a recours aux taxes et impôts que le peuple paie tant qu’il en a les moyens. Mais le régime, qui ne peut se contenter de cela, imposera de nouvelles augmentations, jusqu’à ce que le peuple ne puisse plus y subvenir. À ce moment-là, il se soulèvera. Cette démarche que suit le régime ne peut mener qu’à un soulèvement, qui n’aura peut-être pas lieu à court et moyen terme, mais qui finira par arriver si cette même politique est poursuivie.
Intéressons-nous, si vous le voulez bien, à la nouvelle loi électorale. Certaines formations politiques brandissent l’éventualité d’un boycott des prochaines échéances. Qu’en est-il pour votre parti ?
Je me suis déjà exprimé à ce sujet, lors de la promulgation de cette loi, que j’ai considéré comme une tentative de mettre fin au pluralisme partisan et à la consécration de l’unicité sous le couvert du pluralisme. Une tête et plusieurs corps, car les amendements de cette loi ont été introduits sur la base des élections de 2012 qui étaient trafiquées, comme tout le monde en témoigne, dont la commission nationale politique de surveillance des élections. Dans le rapport qu’elle a présenté, elle a démontré la fraude et les différentes formes dans lesquelles elle s’était déclinée. Mais comme à l’accoutumée, le régime, qui évolue toujours à contresens des revendications de l’opposition, a fait abstraction de tout cela, et s’est dirigé vers le pire en officialisant ces résultats, pour en faire ensuite une référence.
Cela veut dire que les partis qui ont boycotté les élections de 2012 ne peuvent plus y participer à l’avenir qu’à travers la récolte des signatures. De même pour les nouvelles formations, ou alors celles qui ont participé, mais ont été tétanisées à travers la fraude. La position la plus utile serait, dans le cas de l’existence d’une opposition forte, celle à laquelle j’ai appelé en ce temps-là. Si on m’écoutait au sein de l’opposition, je les aurais appelé à déchirer les agréments, lors d’une grande cérémonie politique et médiatique, qui sera un témoignage des partis devant l’opinion publique interne et internationale sur la gravité du crime du régime à travers les amendements apportés dernièrement à une série de lois. Ma proposition n’a pas été prise en compte. Je m’y attendais. L’opposition, regroupée au sein de l’Instance de coordination et de suivi, a décidé de tempérer et d’évoluer par étapes. Cette position relève, certes, d’une faiblesse, mais c’est mieux que rien.
Cette position n’a-t-elle pas fragilisé davantage les rangs de l’opposition ?
L’opposition n’est pas une seule entité. Elle est à l’origine fragmentée, constituée de différents partis, cependant, elle essaie de se trouver des dénominateurs communs pour coordonner ses actions. Qu’elle réussisse une fois et échoue par d’autres moments, il lui est recommandé de toujours travailler et de faire l’effort. Mais, le résultat dépend des conditions existantes. Pour ce faire, il faut être pratique et réaliste dans la formulation des revendications. Nous allons proposer nos idées en toute clarté au sein de cette instance (Icso) et nous prendrons la position qui s’impose en temps opportun.
Envisagez-vous d’autres cadres de concertation, en dehors des structures existantes de l’opposition ?
L’hostilité du pouvoir n’est pas dirigée uniquement contre l’opposition, car limiter le conflit au pouvoir et à l’opposition est une erreur. Et cela donne plus d’occasions au régime d’aller loin dans son arbitraire. Le véritable conflit est entre le pouvoir et le peuple. Un régime qui s’impose par la fraude au peuple est illégitime, et tant qu’il reste au pouvoir, il exercera l’injustice sur le peuple.
Aujourd’hui, le peuple a pris conscience des dangers qui le guettent, une conscience assez appréciable mais qui a besoin de beaucoup d’efforts pour s’approfondir. La fonction des partis et des médias est de développer cette conscience et de la propager au sein de la société. Ce n’est qu’une fois cet objectif atteint que les partis et les médias seront à la hauteur de leurs responsabilités. C’est à ces conditions-là qu’il y aura un équilibre entre la force du peuple et celui du pouvoir. Et cet équilibre aboutit nécessairement à des solutions.
Où en est l’initiative de réunification prise par Boulahia ?
Elle a réussi. Ses membres sont des cadres au FJD et d’autres au conseil national et dans les bureaux de wilaya, etc.
Quid des alliances inter-islamistes lors des prochaines élections ?
C’est trop tôt pour en parler. Nous n’en refusons pas l’idée, mais nous ne la recherchons pas non plus, elle sera discutée en son temps.