«Au chef, il faut des hommes et aux hommes, il faut un chef.» Proverbe africain
Encore une fois, les pays africains sont invités en bloc à venir parler de leur avenir auprès d’une puissance coloniale qui, en juillet 2007, déniait à l’Afrique toute contribution à la civilisation, engluée qu’elle était dans «les temps morts» décrits par Hegel.
A défaut de faire le procès de cette doxa occidentale fruit du racisme des races supérieures, citons tout de même à ce propos, ce morceau d’anthologie que nous propose Mohamed El Amin Thioune: (…) Le Président Wade est conscient du fait que les théoriciens de la mission civilisatrice et les idéologues, de la trempe du philosophe allemand Hegel et de l’habitant de la Gaulle, Clemenceau, n’ont jamais cessé de mettre l’Afrique en marge de l’histoire humaine et l’ont considérée comme un Continent ahistorique, pour qualifier ses fils d’êtres non-humanoïdes.
(…) La vérité historique et scientifique déclamée par le «Pharaon du Savoir», Cheikh Anta Diop, est venue confirmer les certitudes et les espoirs. «L’Afrique a dominé le monde jusqu’au néolithique, avant que les barbares ne l’anéantissent et n’aient fini d’en faire des victimes de l’Eurasie.» A ceux-là, marqués du «fer rouge» pour paraphraser l’auteur du «Roi Christophe», il est ainsi aux antipodes de la vérité de vouloir dire qu’ils n’ont «rien inventé». Ni Platon, ni Pythagore, ni Euclide considérés comme source du savoir occidental n’ont démenti, eux qui ont eu à aller se sourcer pendant plusieurs années en Egypte ancienne auprès des prêtres noirs. Le temps a déroulé son tapis. Les aléas sont venus bouleverser les ordres établis, en défaveur du Continent noir. Des vérités demeurent. Comme celle-là sortie de la bouche de Frantz Fanon, disant que
«L’Europe est une création du Tiers- Monde». (…) Si, aujourd’hui, il est admis que la pleine maîtrise des données scientifiques et technologiques constitue la condition sine qua non pour le décollage économique et l’accès à l’épanouissement intégral, les espoirs sont aussi permis. (…)
Quand il s’est agi de dresser la panoplie des inventions et des acquis des peuples de la terre dans tous les domaines et qui portent le sceau de l’Afrique et de la race noire, ils ont tenu avec force à ce que soit brandie la vérité scientifique, comme quoi «l’Afrique est non seulement le berceau de l’humanité, la terre des pyramides, mais aussi des philosophies et mathématiques anciennes»….) C’est là où se trouve véritablement l’espoir pour l’établissement, enfin, d’un «nouveau paradigme d’égalité des nations, de respect des cultures, de coopération mutuelle. Pour l’édification d’une civilisation panhumaine de paix, garantissant le plein épanouissement de tous les peuples et de tous les être humains sur terre.»
(1) Nous disions dans une livraison précédente que l’Afrique est un immense continent qui «un jour», à l’instar de la Chine, s’éveillera sans vouloir renier l’immense part de responsabilité des dirigeants africains à partir des indépendances formelles; il faut tout de même signaler que le retard de l’Afrique n’est pas linéaire, il est à bien des égards, exponentiel si l’Afrique s’entête à suivre le même chemin balisé par les pays occidentaux, et que bien après les conflits, les imaginaires sont toujours aussi écorchés et les pannes dans l’action ne peuvent pas être surmontées d’un coup de baguette magique car on ne peut pas rentrer dans le développement par effraction.
L’Afrique n’a pas eu le temps de maturation nécessaire qui a permis aux nations occidentales, pendant plus d’un siècle de sédimenter et de produire les sociétés évoluées actuelles.
L’Afrique, continent en déshérence, devient à partir du Traité de Vienne, puis de la Conférence de Berlin en 1884, la proie de l’Europe. Les pays tombèrent en esclavage dans les escarcelles des puissances du moment: l’Angleterre, la France et à un degré moindre, la Belgique, l’Italie et l’Allemagne.(2)
Malgré les efforts actuels, l’Afrique est économiquement le continent le plus pauvre du monde: le PIB global de l’Afrique n’étant que de 1 621 milliards de dollars en 2008 soit 2,62% du PIB mondial, estimé en 2008 à 62.250 milliards de dollars.
L’Afrique de 2010 vient de franchir le seuil du milliard d’habitants: elle abrite désormais, 1 humain sur 7, alors qu’elle n’en accueillait que 1 sur 10 en 1950, et en hébergera 1 sur 5 en 2050, soit 2 milliards d’habitants. Ce n’est qu’un des signes qui font de l’Afrique, principal creuset de misère, une source de croissance et la matrice de notre avenir.
L’Afrique est aussi le poumon écologique de la planète, de ses forêts, qui couvrent environ 22% du continent (et même 45% de l’Afrique centrale, en particulier avec le bassin du Congo, deuxième forêt tropicale du monde) dépendent la maîtrise des gaz à effet de serre, la protection de la diversité, la stabilisation des sols, la qualité et l’écoulement des eaux.
Pourtant, l’Afrique est l’un des moteurs de la croissance mondiale, ce qui n’est pas assez pour empêcher des millions d’Africains de tomber dans une pauvreté extrême. C’est le continent le plus riche en matières premières (pétrole, minerais, produits agricoles). C’est aussi le plus jeune: 43% des Africains subsahariens ont moins de 15 ans et pourtant, il est en panne.
L’Afrique et le nouveau partage du Monde
A bien des égards, le fait que des grandes puissances (Etat-Unis, Chine,) et des anciens pays colonisateurs (Grande-Bretagne, France) arrivent à réunir à leur gré et selon leur vision spécifique 50 pays africains, quelque part, on peut penser que le syndrome du colonisé qui fait que l’on réponde docilement à des injonctions des maitres, est toujours là.
C’est à non point douter, un signe d’allégeance mâtiné selon le cas des idées généreuses américaines mais qui au fond, mènent une lutte sourde – une guerre sans mort dirait François Mitterrand- pour la conquête de marché et d’espace comme l’hypothétique commandement «africacom», c’est aussi, «l’aide désintéressée de la Chine» qui s’est permis elle aussi, de recevoir toute l’Afrique chez elle et promettre monts et merveilles en échange de matières premières.
C’est aussi des réunions nostalgiques comme au bon vieux temps des colonies, de la Grande-Bretagne avec son Commonwealth et la France avec l’inévitable France-Afrique «véritable Highlander» des temps modernes qui n’en finit pas de mourir et de renaître avec toujours le «refoulé du Y a bon Banania» aussi bien dans l’imaginaire français qu’africain.
A l’ouverture du Sommet, rapporte le Nouvel Observateur; le président français a appelé la communauté internationale à «faire une place à l’Afrique dans la gouvernance mondiale», en ouvrant le 25e Sommet Afrique-France à Nice.
«L’Afrique est notre avenir (…) longtemps en marge, le continent africain s’impose chaque jour davantage comme un acteur absolument majeur de la vie internationale.
Le formidable dynamisme démographique de l’Afrique, ses ressources considérables en font la principale réserve de croissance de l’économie mondiale pour les décennies à venir», a-t-il plaidé. «Je suis intimement convaincu qu’il n’est plus possible d’évoquer les grandes questions du monde sans la présence de l’Afrique», a insisté Nicolas Sarkozy.
«Ce qui fonde nos convictions, c’est la claire conscience que nos destins sont indissolublement liés. L’échec de l’Afrique serait le drame de l’Europe», a-t-il poursuivi.
Evoquant les «crises institutionnelles en Afrique», il a tenu à rappeler que la démocratie et les droits de l’Homme n’étaient «pas des valeurs occidentales (mais) des valeurs universelles». «En Afrique comme ailleurs, le déficit de démocratie et les violations des droits de l’Homme alimentent la violence et l’instabilité», a-t-il jugé.(3)
Nous y voilà! La question qu’il faut se poser est pourquoi les interférences ont «accompagné» les indépendances.
Pourquoi «les dictateurs qu’il faut soutenir selon la boutade de Jacques Chirac, pour qu’ils fassent des élections» sont maintenus par toutes les combines possibles et imaginables contre le gré justement d’une nouvelle génération de leaders d’Africains qui aspirent à la modernité? Pourquoi la première vague de présidents à vie sur mesure (Bongo, Senghor, Eyadema…) adoubés par la France, a-t-elle donné lieu à une deuxième vague de présidents héritiers biologiques et mentaux de leurs pères, vague là encore protégée par les anciennes puissances coloniales avec naturellement une curée en règle des richesses de ces pays? (…)
L’Afrique, qui représente 27% des Etats membres des Nations unies, ne dispose que de trois sièges de membres non permanents au Conseil de sécurité, dont une réforme pour prendre en compte les nouveaux équilibres mondiaux est bloquée depuis des années.
La presse française ne peut s’empêcher et pour cause, de faire référence à la «FranceAfrique» que le président Sarkozy vouait aux gémonies à l’époque- avant d’être élu-.. «La France. L’Afrique. Le fric». Ce triptyque a longtemps été baptisé du joli nom de Françafrique. Depuis l’époque du Général et jusqu’à aujourd’hui, sa réputation a été sulfureuse.
(…) Nicolas Sarkozy avait promis d’en finir avec cette diplomatie incestueuse. Las, il n’en a eu ni le courage, ni l’envie. Pour Dominique Quinio du Journal La Croix «(…) De nombreux pays émergents s’intéressent aujourd’hui à l’Afrique, à ses richesses naturelles, ses minerais, son pétrole, ses terres, et ses habitants, fabuleux marché de consommateurs potentiels: il s’agit de ne pas leur laisser le champ libre.»(4)
Autre son de cloche aux antipodes: pour Jean-Paul Piérot de L’Humanité «(…) Les objectifs dits du Millenium que l’ONU a fixés à la «communauté internationale» pour faire reculer la misère, la faim, la mortalité infantile et maternelle, pour la distribution de l’eau et de l’énergie ne sont pas respectés par les États les plus riches, si pingres en matière d’aide au développement.
Quand la crise financière commença avec la faillite de Leyman Brothers, en septembre 2008, la session de l’assemblée générale des Nations unies fut occupée par l’agitation du président français sur la moralisation du capitalisme au détriment de l’aide au développement.
Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy met l’accent sur l’aide au secteur privé. Dans le capitalisme en crise, tout fait ventre: le développement d’un continent maltraité par la domination coloniale promet de juteux profits pour les colons du CAC 40.(4)
Pour François Martin du Midi Libre, on parlera business. Il faut dire que l’Afrique change. Certes, le bilan de cinquante ans d’indépendance n’est pas glorieux. Mais la mondialisation et le multilatéralisme lui façonnent une nouvelle image.
La France a tout intérêt, si elle veut garder des liens privilégiés, à redéfinir sa politique africaine. Exit le comportement néo-colonial. Dans le demi-siècle qui s’annonce, le continent noir sera incontournable.
Il comptera deux milliards d’habitants. Les plus grandes superficies de terre. Les plus importantes ressources naturelles. Il est donc temps de refaire des affaires avec l’Afrique. Des vraies affaires, cette fois.(4)
Matthieu Verrier de la Voix du Nord a un langage plus réaliste, Il tord le cou à la France Afrique et aux intrigues de la politique française en Afrique et pense à des relations équilibrées
«(…) La Françafrique est devenue le théâtre de complicités où les réseaux politiques et financiers malsains s’activaient en coulisses. Plusieurs fois, les responsables ont annoncé la fin de cette ère. Nicolas Sarkozy l’a aussi promis. Cependant, quand Paris se félicite de l’élection d’Ali Bongo, les bonnes intentions s’effacent.
(…) La France a besoin de réinventer son lien avec l’Afrique. Le crédit de l’ancienne métropole s’est érodé au fil des décennies. Le continent noir est pourtant sa principale zone d’influence, en témoigne sa présence militaire.
Il peut être aussi un fort potentiel de débouchés pour la production française ou encore un fournisseur de matières premières et d’énergies – l’uranium servant au si précieux nucléaire français vient en grande partie du Niger.
La France doit poursuivre et intensifier ses efforts pour sortir l’Afrique de l’ornière. (…) La mutation d’une Françafrique en une véritable Eurafrique diluerait peut-être les passions au profit de l’efficacité et de la justice.»(4)
L’atelier du Monde
Que faut-il retenir de ce sommet qui a rassemblé les représentants d’un continent de 1 milliard de personnes disposant du quart des richesses de la planète? Sans bruit, malgré toutes les interférences, l’Afrique sort du sous-développement.
Le continent noir a remboursé en 6 ans, la plus grande partie de ses dettes et depuis les années 2000, les capitaux qui entrent en Afrique sont supérieurs à ceux qui en sortent. Par ailleurs, 5% du PIB de l’Afrique est assuré par le flux d’épargne que la diaspora africaine envoie vers l’Afrique, ce qui représente…50 milliards de $ par an.
Ce chiffre est supérieur à l’aide au développement qui va annuellement au Continent noir. La démographie est aussi devenue un atout pour ce continent.
C’est dire qu’entre les 71 hab./km2 de l’Europe et les 33 hab./km2 de l’Afrique, l’Afrique est un continent vide mais qui se peuple.
Ce peuplement devient un atout car, dans moins de 20 ans, le quart de la population active du monde sera en Afrique, ce qui en fera l’atelier du monde comme l’Europe l’a été dans les années 1920 et comme la Chine l’est en ce moment. L’Afrique, qui recèle des matières premières exceptionnelles, exporte également de plus en plus. A l’avenir, l’Afrique discutera d’égal à égal avec l’Europe
Côté business, le 25e sommet, présenté comme celui du «renouveau», a permis la participation d’entreprises. Les affaires sont les affaires, tout le reste est du décor. Cinq ateliers ont regroupé des représentants de 150 entreprises africaines et 80 françaises.
Pour le reste, des voeux pieux d’une hypothétique représentativité de l’Afrique au Conseil de sécurité De plus, s’agissant des relations avec la France, la preuve est définitivement faite qu’il n’y a rien à attendre du locataire actuel. Nous devons prendre notre parti.
En définitive, ce Sommet a permis d’une certaine façon, au président français de rebondir dans les sondages en France. Pour nous autres Algériens, il faut attendre une nouvelle équipe moins marquée par la nostalgérie et qui décide réellement d’avoir des relations sur un pied d’égalité pour le plus grand bien des peuples algérien et français.
(*) Ecole nationale polytechnique
(*) enp-edu.dz
1.Mohamed El Amin Thioune 8/04/2010 //www.lemessagersn.info/
2.Chems Eddine Chitour //www.mondialisation.ca/index.php?context=va&aid=19323
3.Sommet France Afrique. Nouvelobs.com avec AFP 31.05.2010
4.La Presse Française et le sommet France Afrique: Courrier International 31 mai 2010
Pr Chems Eddine CHITOUR (*)