Le tatouage, un mode d’expression

Le tatouage, un mode d’expression

Inscrit dans notre patrimoine traditionnel, il avait fini par être oublié. Aujourd’hui, malgré le regard dépréciatif qu’elle peut susciter, cette pratique enthousiasme quelques jeunes Algériens.

Une journée et une exposition ont été organisées à la maison de la culture Aïcha-Haddad de Bordj Bou-Arréridj sur le thème du tatouage. Des conférences et des ateliers ont été animés par des spécialistes et artistes. Le tatouage est un mode d’expression du corps, connu dans les civilisations les plus anciennes. Il porte la trace d’une culture qui s’imprègne sur le corps et rend la peau médiatrice entre l’intérieur et l’extérieur de la personne tatouée. En Algérie pourtant, l’art du tatouage est mal vu par la société. D’un point de vue religieux, pas précisément dans le Coran, mais clairement dans de nombreux dits prêtés au Prophète (QSSSL), il est déconseillé, voire illicite de modifier son corps, cela pouvant être considéré comme une altération de la création divine. Au-delà, il s’agit aussi du respect des “bonnes mœurs”. Ailleurs ou en d’autres temps déjà, on a accolé aux tatoués une longue liste de stéréotypes négatifs : vie décousue, consommation de drogue ou encore délinquance. Un comble lorsqu’on sait que l’Algérie possède une véritable culture du tatouage traditionnel qui a traversé les siècles. “Elles sont âgées et affublées de tatouages sur le visage. Toutes sont nées dans les années 30, dans l’Algérie coloniale. À quoi ressemblent leurs tatouages ? Des lignes et des points. Sur les mains, les mollets, les bras, le front, le menton, parfois les joues. Quand on s’aventure à leur demander ce que cela signifie, ces vieilles femmes répondent : ‘’J’étais petite, je ne me souviens plus’’”, dira Hacène Zekhnine, un artiste plasticien et initiateur de cette journée. Pour le professeur Zahia Benabdellah du CNAPH, le tatouage est un art abstrait esthétiquement structuré, bien qu’il soit formé de points et de traits apparemment élémentaires, mais qui en réalité s’inscrivent dans un “discours plastique” sous la forme d’une combinaison d’éléments géométriques simples, organisés en espaces visuels fermés ou ouverts, jamais figuratifs. L’espace visuel fermé est constitué par l’assemblage de lignes qui déterminent des figures géométriques élémentaires : carré, rectangle, losange, et plus rarement le cercle. Chacune de ces figures géométriques porte un nom. Par exemple, le carré dans le tapis s’appelle eddar (maison), le triangle équilatéral el-foul (fève), le losange el-aïn (l’œil), le point qui est un cercle dont la surface est pleine, el-hebba (grain). L’espace visuel ouvert est constitué de lignes qui prennent toutes les directions (horizontale, verticale, diagonale…) et s’associent selon d’innombrables positions, sans former des surfaces géométriques par leurs intersections. Quelques-uns parmi eux le sont encore effectivement, d’autres ont perdu leurs sens. Certains, peu nombreux, persistent encore : formé de cinq points sur le dos de la main, il protégerait contre le mauvais œil ; sensla (chaîne), formée d’une série de losanges se touchant par un angle, protégerait contre l’adultère… La localisation du tatouage est très variable selon qu’il s’agit d’un homme ou d’une femme. Chez l’homme, sa place peut être le nez, la main ou le bras droit. Dans ce dernier cas, il est censé donner à l’homme la force dans des situations périlleuses et le protéger des dangers. Chez la femme, plusieurs parties du corps peuvent être tatouées : le front, le menton, les joues, la poitrine, le cou, les bras, les pieds, et parfois le pubis. Les femmes arabes et amazighes, plus rarement les hommes, se rendaient chez des tatoueuses. Pour marquer leur appartenance tribale ou afin d’éloigner le mauvais sort et les maladies à grand renfort de symboles, agencements de points, de lignes et de formes géométriques. Le tatouage se fait au cours d’une cérémonie familiale pour marquer certains moments privilégiés de la vie d’une femme, puberté, mariage, naissance du premier enfant… Il est réalisé par une femme, plus rarement un homme, qui ne sont pas obligatoirement des professionnels et qui sont sollicités pour leur compétence et leur connaissance de la signification des signes. Pour l’imam Mohamed Tayeb Ben Zeouaoui, cette pratique est interdite par la religion. “Il faut l’interdire”, dira-t-il.

Chabane BOUARISSA